D’elle sans L.

absolu

1er jour :

Les yeux s’ouvrent, lourds, se referment. C’est trop tôt, encore. La nuit n’a pas fini de formater la mémoire.

Ils se rouvrent. Juste le temps de prévenir, que je ne serai pas là, aujourd’hui. Pas la peine de leur dire que c’est aujourd’hui qui ne sera pas là, pour moi.

Je me renfonce dans l’oubli.

Je me réveille, plus tard. Me lève, après avoir lutté contre l’inertie qui m’enserre, dans ses bras rassurants. L’absence ne s’est pas encore déclarée, elle marque son territoire, pour l’instant. Mais elle ne restera pas longtemps silencieuse. Je le sais.

J’effectue les premiers gestes matinaux, comme si de rien n’était. L’illusion fait encore effet, l’illusion d’un jour comme les autres. Banal. Quoiqu’ensoleillé.

Un grand verre d’eau, un café, j’allume le pc, on ne sait jamais. J’arrose les plantes, leur donne un peu de soleil. Tandis que la conscience s’éveille, à son tour. Je sais, qu’il ne m’embrassera plus. Mais je ne souffre pas, encore.

Je consulte ma messagerie, quelques offres d’emploi. Contrats CAE, ou de 3 mois, quelques heures par semaine, ici, là-bas. Rien qui puisse mobiliser suffisamment d’attention pour ne pas penser à lui, à la fin de nous.

Quelques gorgées de café réchauffent mes viscères, passent non loin du cœur, au rythme encore tranquille.

Le téléphone a sonné, tout à l’heure. Je l’ai laissé en silencieux, et moi sur répondeur. Aucun mot ne pourra dire le vide. Aucun mot ne pourra contenir la violence à venir. Même les larmes n’y suffiront pas. Je ne veux voir personne. Je ne veux pas de leurs mots, à eux, de leur opinion, sur le sujet. Il n’y a pas de sujet. Il n’y a plus que le verbe oublier, qui puisse avoir un quelconque intérêt. Et encore.

Je relis, ce que je viens d’écrire. Cet instant que je pose, sur l’écran, que j’inscris, du bout des doigts. Encore une fin. Une façon de lutter ? De prendre le recul nécessaire ? Des questions, déjà ? Non. Pas de question. Aucune réponse à apporter. Pas de mots, pour ça. Je l’ai déjà dit.

J’attends ma deuxième tasse de café en train de chauffer, me plante devant l’une des fenêtres du couloir, le soleil se pose un instant sur moi, évalue les dégâts, et fuit, derrière un nuage. Sans doute a-t-il eu peur de se perdre, dans tout ce néant. Je regarde la cour pavée, les yeux déjà fatigués. La mâchoire se serre, les dents tentent de retenir ce trop plein de noir. Le garder pour la nuit à venir, ça f’ra moins tâche.

Une dernière fois, je me dis que non, ça n’est pas vrai, tout ça. Que tous mes sens me jouent des tours. Mes yeux se sont trompés, il n’a pas pu m’écrire ces quelques phrases. Mon oreille a dû mal comprendre, oublié un mot ou deux. Mes mains sont en train de lui caresser la joue, là, effleurent son souffle, et pas le clavier.

Il va venir, planter son regard dans le mien, comme il l’a déjà fait. Me dire, avec ce doux mélange de vert et de marron clair, que c’est de la connerie tout ça. Que c’n’est pas juste de l’affection qu’il a pour moi, mais de l’addiction. Les ondes radio ont tout déformé. Ou alors elles m’ont mise en ligne avec quelqu’un d’autre, ces mots étaient destinés à anéantir un autre bonheur, dans une autre vie.

Le téléphone sonne, encore. Je prends ce qui me reste de gestes, je décroche. Et la réalité surgit, hors de ma bouche, fait déborder mes yeux, s’étale sur mes joues.

Je suis assise, face à l’écran, loin de la fenêtre. Le soleil est revenu.

C’est fini.

C’est le voyage au bout du jour qui commence.


2ème jour, et les deux suivants :

L’absence n’a pas attendu longtemps, ce matin, pour se faire remarquer. Elle était là, déjà, hier soir, entre les deux amis qui sont venus me voir, pour me changer les idées. Mais je peux pas, j’en ai qu’une d’idée, là, j’ai qu’une seule chose qui me reste en travers du cœur.

L’arrache-cœur et Chroniques d’un menteur se tiennent à la verticale l’un de l’autre, L’arrache-cœur debout toise le menteur de toute sa couverture. Lumière du monde lui sert d’appui, soutenu lui-même par Belle du Seigneur. On pourrait simplement y voir le soleil qui empêche l’arrache-cœur de s’en prendre à la belle en pleurs. Ou juste des livres. Que je n’arrive pas à ouvrir, chacun son histoire, après tout.

Un café, un bol de céréales, après avoir allumé le PC, rituel insupportable pour fuir ce qui ne veut toujours pas être un rêve. Aller jusqu’au fond, creuser encore un peu plus, essayer d’arracher les racines du mal, finir les mains pleines de restes de nous. Faire comme si je ne le cherchais pas, quelque part, sur le réseau. Je sais qu’il y vient, je ne sais s’il m’ignore, je cherche : encore, toujours, pourquoi. Comme un chapelet des derniers gestes d’une amoureuse désemparée qui s’égrène au fil de la journée. J’ai beau savoir, je tente la schizophrénie, la partie qui doute, qui pense n’avoir pas tout compris, ou pas entendu la/les vraies raisons, qui n’en peut plus de toute ces question, inutiles. Tenter de l’apercevoir, savoir s’il me reconnaît, encore au moins un peu. Et lui qu’est-ce qu’il ressent ? Il doit bien éprouver quelque chose ! Je ne peux croire ce qui arrive.  Ça partait bien, on s’laissait le temps, j’lui plaisais bien. J’lui faisais du bien même, il me l’a dit. Quelle erreur ai-je commise ? En ai-je voulu trop, pas assez ? La plus singulière de ses rencontres, qu’il disait… Et d’un seul coup ça ne comptait plus ! Il ne savait plus de quoi il avait envie… On ne change pas d’avis comme ça. S’est-il forcé pour adopter ce ton si froid ? Etait-il froid d’ailleurs ? Il voulait que notre relation évolue…

Ça hurle dedans…

J’ai les oreilles qui bourdonnent, un trou dans le corps, je vois la vie en gris, elle ne m’voit pas, dans toute cette pluie. Barbara, il pleuvait aussi sur moi, ce jour-là. C’est pour ça, qu’on n’voit pas mon chagrin, je le cache, tellement c’est pas humain. Je lutte, contre moi-même, pour avaler un morceau, ne pas ravaler mes sanglots, mais c’est toujours en vain alors la tempête se lève, mon café se noie je suis secouée j’essaie de boire une gorgée la violence des spasmes s’accroît l’épicentre n’est pas loin je suffoque le café se renverse je suis l’épicentre le corps s’effondre mais ne succombe jamais tout à fait comme s’il en réclamait encore jusqu’à la fin y a-t-il une fin même s’il a dit que ça s’arrêtait là…

Foutaises. Y a rien qui s’arrête.

Ça commence.

L’enfer recommence.

« Je savais pas, papa, qu’il pouvait faire plus noir que le jour de ton départ. Je ne savais pas, je te promets, sinon, j’aurais laissé les volets fermés. J’aurais ignoré les rayons qui s’infiltraient. J’me serais souvenu qu’après le beau temps ça rafraîchit. »

La chimie s’insinue, envenime les artères et se dissout, s’empare des dernières velléités thoraciques ; corrompt, pour quelques heures, la lucidité.

« C’était bon de donner à nouveau, cette légèreté qui soufflait, qui éloignait les galères, nos galères… de sentir le frisson d’une autre peau, savourer les dernières retombées du plaisir. Je ne l’ai pas inventé tout ça dites-moi … dites-moi que c’était bien vrai, ces baisers déposés sans compter, ces bras qui s’ouvraient si souvent à moi, tout ce lui, là, pour moi… Etait-ce une vision, juste un présage ? un mensonge des temps modernes, un fantôme tourmenté ? »

Je lui ai dit, un soir, au téléphone, que je n’avais pas l’habitude qu’on s’occupe de moi, que j’avais du mal, à me laisser aller. « Eh bien tu vas devoir la prendre, cette habitude », a-t-il répondu… alors je l’ai écouté.

Et maintenant, je fais quoi, avec tout ce laisser-aller, je m’en vais, je laisse la torture se démerder sans moi, je crève à p’tites larmes ? Eh oui, encore une tentative d’amour ratée… Impossible d’y mettre fin une bonne fois pour toutes, y a toujours sa voix qui traîne autour de moi, y a nos rires partout dans l’appartement.

« Le salon fut le théâtre d’une représentation nocturne, la veille de ton premier départ. L’écho des soupirs s’est glissé entre les persiennes, les meilleures répliques traînent encore au ras du parquet... Le bonheur improvisé, la musique devenue tactile. T’as pas pu mettre ça de côté, hein, dis-le moi, que tu n’as pas pu… »

L’atelier cuisine, les crêpes, au milieu de la nuit ; atteindre le matin, enlacés, au milieu du lit… 

« Dis-moi, que tu n’as pas encore oublié l’orchidée et ses amaryllis ? »

5ème jour

La chimie dédramatise quelques heures ; un bref rappel de temps à autre, juste le temps d’une buée sur le verre de mes lunettes, les muscles qui se crispent, les membres qui se replient. Offrir le moins de surface possible au souvenir. Ne pas se demander ce qu’il peut bien faire, là, me resservir un café, ne pas penser..

6ème jour

Il va se reconnecter bientôt, je le sais, demain, je pense, ça fera une semaine. Il me faudra quitter le groupe, ça ne sera pas vivable. Etre poli avec son pseudo, ignorer l’homme, derrière l’écran, ses mains si fines, ses doigts longs sur le clavier, les messages en bleu ciel, tous ses mots que je ne lirai pas, plus…

« Tu t’es reconnecté ce soir… corps abasourdi, les tempes martelées, l’univers assourdi par mon cœur bondissant hors de son logis.
Emue, de te revoir, de ne plus te revoir. Demain, je m’en irai
. »

7ème jour

Une semaine. Une semaine pour que le chagrin s’agrippe, m’entre dans les chairs, s’enroule autour de certains muscles jusqu’à les figer, jusqu’à la douleur. La mâchoire surtout, paralysée dans son mutisme. Elle tremble, parfois. Comme une crise de manque. Et se resserre. Cure de désamour.

« Certains me disent de t’oublier, que tu n’en valais pas la peine, qu’ « il ne sait pas ce qu’il perd », etc…D’autres sont du genre à me conseiller de foncer, te rassurer, de me battre pour te (re)conquérir. »

Et il y a les rares qui me regarderont, quelques instants, en silence. Il n’y a rien à ajouter, juste à espérer que le temps fasse son office. Mais quel office, à vrai dire ? L’oubli ? La folie ? On n’oublie jamais. On ne devient jamais assez fou pour ne plus souffrir. La mort ? Pas encore assez de vie à lui donner. Supporter ? Le non moins fameux « faire avec » ? C’est ça. Il faut « faire avec ». Je hais cette expression.

Elle ne m’explique pas pourquoi les papillons que j’avais dans le ventre sont remontés, et me font mal, éraflent tout sur leur passage avec leurs ailes maintenant affûtées.

8ème jour :

En fait non, je ne peux pas. je ne peux pas m’y résoudre. Je ne peux pas l’apprivoiser, maintenant. Elle est trop sauvage, cette douleur. Elle me terrifie. Elle guette mon réveil, se dilue dans mon premier verre d’eau, s’insinue dans ma première inspiration tabagique. Elle plonge dans mon premier café, écorche mes doigts sur chaque touche du clavier. Les muscles du visage se contractent, en vain, aucune larme ne sort. La mâchoire se resserre. Le corps se replie, fait l’appel des sensations heureuses, de plus en plus lointaines. Des caresses qui apaisaient, éveillaient, selon l’heure, selon l’humeur. Se rappelle la quiétude des jours avec lui. Le premier regard, matinal, encore plein de sommeil, déjà plein d’un beau voyage, jusqu’au soir. L’émoi de la première rencontre, les jambes incertaines, le cœur impatient.

L’entrée dans le hall de la gare.

Je le cherche, mes yeux s’arrêtent, sur une silhouette, de dos, qui finit son café. L’homme se retourne. C’est lui.

Je m’avance, maladroite, sourire fragile, ça se passe là, maintenant. Nos lèvres prennent l’initiative, effacent la dernière trace de virtuel. Nous prenons le chemin de mon appartement, démarche peu assurée, le cœur tremblant. Premiers échanges de tous les sens, encore anodins.

Une fois dans le salon, son sac posé, nos vestes ôtées, je m’approche. Il m’avait dit, un soir ou une nuit, au téléphone, ce qu’il ferait, quand on se verrait, la première fois.

« Tu disais vrai.
J’étais dans tes bras.
 »

 « Je suis sûre que les miens te cherchent, la nuit. Alors je m’endors dans le canapé, ne rejoins mon lit qu’à l’aube, et me recroqueville dans le murmure du jour naissant. »

9ème jour :

« Dis-moi, dis-moi qu’il y a autre chose, puisqu’il n’y a personne d’autre…Dis-moi, vraiment, pourquoi… »

10ème jour :

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