Delphine

petisaintleu

Quand j'ai commencé à travailler pour les fromages Loqueteux, j'avais la zone septentrionale qui comprenait les régions Nord-Pas-de-Calais, l'Ile-de-France et la Champagne-Ardenne. Je ne sais plus comment, j'y retrouvais Delphine.

Je l'avais rencontré lors du recensement de la population auquel j'avais participé dans le 12e arrondissement de Paris. Originaire d'un village près de Charleville-Mézières, elle était montée à la capitale pour travailler comme agent administratif aux Impôts, après avoir réussi un concours de la catégorie C. Elle n'avait guère d'autre choix que de rester quelques années dans cette métropole et dans l'espoir d'une mutation en région. Elle logeait dans un foyer propriété de son ministère.

Quand je me suis attaqué au recensement, elle m'ouvrit dans un peignoir qui laissait présager un redressement de toute autre nature que fiscale. Mais j'avais eu un doute. Après qu'elle m'eut payé l'apéro, je trouvais qu'elle faisait partie de la catégorie des chieuses, de celles qui sont à la limite de la dépression et ne vous lâchent plus. Je m'étais donc rabattu sur une de ses collègues, Christelle, et c'est Jacques qui s'y colla.

Quand l'été fut venu, je me trouvais fort dépourvu. Christelle avait rejoint sa Gascogne natale. Heureusement, Jacques était reparti en Bretagne et mon frère était parti faire du camping sur l'île de Ré avec Brice. Je n'avais donc pas de craintes à ce que j'aille lui rendre des visites amicales. Ce qui devait arriver arriva. Elle m'initia au fisc fucking.

Quinze jours plus tard, mon frangin était de retour. Quand il apprit que sa copine l'avait plaqué, il était en pleurs. Ce n'était pas des larmes liées à sa sentimentalité. Elle était étudiante en véto à Maisons-Alfort et il avait la rage alors qu'il s'imaginait déjà rentier à profiter de la bête.

J'eus la faiblesse d'avoir pitié et je lui indiquai l'adresse de Delphine lui assurant qu'elle avait au moins un point commun avec son compatriote Rimbaud. Bien qu'il n'ait jamais lu Verlaine, je ne doutais pas qu'il trouverait rapidement le chemin.

Le surlendemain, nous nous retrouvions tous les deux chez elle. Elle était assise en sandwich entre deux crevards qui voulaient en faire leur quatre heures. Alors que je caressais une main que je pensais être la sienne, elle se leva pour rouler le cinquième pétard de la soirée. J'eus un haut-le-cœur quand je découvris que je caressais les menottes de mon alter-ego. Très gentiment, Delphine nous proposa de rester tous les deux. Je laissai ma place au mâle dominant.

Elle finit par se faire muter aux douanes à Reims. C'était pratique pour elle de se servir directement dans le stock de haschich saisi. Quoi qu'il en soit, ses portes du paradis étaient toujours grandes ouvertes.

Un jour, je n'ai pu fuir la tentation de faire Calais-Reims alors que j'avais rendez-vous le lendemain matin à Boulogne-sur-Mer. Allez comprendre : en reprenant la route, j'eus toute la journée la vue de son arrière-train collé sur mon pare-brise. Le soir, je lui passai un coup de fil pour lui confier ma vision. Elle m'invita à revenir pour chercher une voie logique à ce mystère. J'étais bon pour rebrousser chemin et refaire à l'aube la route jusqu'à Dunkerque.

La dernière fois que je l'ai vue, elle avait invité un commercial en porte-à-porte qui lui avait vendu un aspirateur une fortune. Elle ne savait pas dire non … Il est dommage que ce garçon n'eût pas été représentant en couches d'incontinence. Alors qu'il avait un pétard entre les dents, il exhiba un revolver chargé. J'optai pour la technique du retrait et je me retirai prudemment.

Il y a une quinzaine d'années, j'ai eu de ses nouvelles en appelant la mère de Jacques. Elle m'annonça qu'il était marié avec Delphine. Je me souvins de sa promesse d'offrir sa main à celui qui réaliserait une de ses lubies. Mais à l'époque, je n'avais point de compétences en obstétrique et j'étais jeune et innocent. J'ai serré les poings et j'ai raccroché.

Signaler ce texte