Demain.

Jesus Romanov

  Un revolver se cache dans mon armoire.

Je l'ai rencontré un jour ni bleu ni gris : un jour sans âme de ceux qui peuvent ressembler à la journée de demain ou à celle d'hier. Qu'importe, j'ai déjà oublié de m'en souvenir. Je sais juste qu'un homme me l'a tendu, marmonné un prix semblant bien dérisoire pour posséder la mort à bout de doigts. 

J'en ai pris possession.

Assis sur mon lit j'observais cette nouvelle énigme qui se présentait à moi. Est-ce si simple? Il suffirait d'un coup, puis tout s'arrêterait? Nous ne serions donc pas forcés d'aller plus loin.

  Mais peut-on vraiment choisir le jour de son dernier soubresaut?

Toutes ces années à m'égosiller, brailler, hurler, parmi ces sourds, à tant espérer de la vie, de mes semblables.

Quelle naïveté.

J'ai arrêté de croire en ces idéaux fictifs, arrêté de compter les jours, de regarder l'heure. J'ai décroché tous les miroirs de mon appartement. Mais depuis quand? 

  Je vous hais non pas pour qui vous êtes, mais pour ce que nous sommes.

Mon plus grand dégout? Ce n'est pas vous, arrêtez un instant de vous donner de l'importance, car dans ma misérable vie je ne pourrais jamais tous vous apprécier, vous découvrir et vous détruire.
Inutile de parcourir le monde pour le trouver, Il est à bout de bras, Il est Moi. Y-a-t-il pire châtiment que de se retrouver enfermé dans le tableau de ses plus atroces cauchemars? Que de participer bien malgré soi à cette scène, bloqué dans cette apparence étouffante? 

  Ton existence se partagera en plusieurs chapitres, mais n'espères pas en être l'auteur.

J'avais des rêves. On a tous des rêves. Faire véhiculer le rêve et l'espoir, quelle belle idée. Quand l'institutrice me demandait en cours préparatoire quel métier aimerais-je exercer plus grand, je répondais médecin. Elle semblait ravie, pleine d'entrain, me sermonnant qu'il faudrait bien travailler à l'école.
Tout bien réfléchi, plus jeune j'avais la volonté de réussir, de vivre au milieu de cette maison toute déformée, de ce grand soleil rond et de cet oiseau en forme de V dessiné sur ma feuille. Des attentes simples. L'abnégation est admirable chez l'enfant, le monde lui appartiendra. Plus tard le petit garçon voudra épouser Maman et la petite fille Papa. On se lève docilement pour manger ses céréales dans son lait, passionné par l'arrière du paquet, on s'habille, on prend son sac. Béatitude.

  J'apprécie toujours autant leur compagnie. Ils ne sont pas encore tourmentés par tous les paradoxes sur lesquels nous tenons en équilibre.Ils ne cherchent pas à être autrement qu'eux même.
Puis d'un seul coup, crac. Une première fissure. Mon petit chat est mort et aucun super-héros n'est venu le soutirer à son sort.

  Les chaines qui m'enfermeraient dans mon rôle se resserraient autour de moi. Quand elles auront finies de me clouer sur place, elles s'enrouleront jusque autour de mes yeux et je ne rêverais plus.

Le plus étrange dans cet enchainement qui nous entraine avec entrain à enclencher le pilote automatique, c'est qu'on ne s'en aperçoit pas vraiment. On garde les mains sur le volant, persuadé d'influencer notre destinée. On aurait pu se méfier quand petits, les adultes nous répétaient sans cesses que le temps passait trop vite en grandissant. Une infime partie d'eux même, enfouie sous une jungle impénétrable, leur crie d'arrêter.

  Nous qui pensions être plus que de simples bêtes, arguant notre conscience comme un trophée, nous voici aussi bien dressés qu'un vulgaire troupeau beuglant.

Après la constatation vient le temps de l'adaptation. La première réaction, d'une durée indéfinie, nous amène à penser qu'il faut faire abstraction de notre ressemblance déroutante à un cancer dévorant notre habitat en relativisant. C'est vrai, la majorité vit heureuse, se contentant du rôle pour lequel elle aura auditionnée depuis toute petite, l'assurant le jour, dormant la nuit et s'éclatant le weekends. Puis les enfants arrivent, on vieillit, on compte les jours avant noël et pâques, on ne lit plus sans ses lunettes, notre dos nous fait mal, on ne baise plus, on perd la tête. Fin.
Si eux s'en contentent je devrais aussi pouvoir vivre simplement sans me poser trop de questions. Après tout je ne vaux pas plus que les autres.

  Parfois la sécurité se résumerait à rester enfermé au milieu de ses chimères. On appelle ça le déni, mais c'est sans doutes une connerie.

Je ne suis pas de ceux qui peuvent s'abrutir sur le long terme et après avoir boucler mon cycle supérieur, après avoir passé tout mon temps à m'abreuver pour assécher mes pensées, à me projeter dans l'irréel, suffisamment à l'ouest pour vivre sans remords, je me suis réveiller. Seconde réaction.

  Peur, angoisse, solitude.

Rage exubérante, délires, éclatement volontaire de mon image sociale, dislocation totale. Puis ce bourdonnement. Impuissance. Félicitations, tu n'es rien de plus qu'un insecte,  misérable et répugnant. Esclaves de nous même, aveugles avançant vers le vide, on se répète : "ça va, jusque là tout va bien." 

  Les mots me répugnent, voilà quelques temps que je ne m'exprime plus que par volonté de paraître invisible.

J'ai choisi de n'incarner personne. Pour tenir, chaque jour après m'être scrupuleusement préparé, je sors de l'armoire mon arme accompagnée d'une unique balle. Mes pas m'entrainent machinalement sur mon balcon. J'admire une fois encore la beauté chaotique qui habille notre monde. J'ouvre alors le barillet, insère la cartouche, referme, tourne, verrouille. Détente tendue, canon collé contre la tempe. Mes paupières tremblantes se ferment.

Clic.

Rien. Aujourd'hui je supporterais encore sans broncher ces monstres qui m'entourent, vous, mes semblables. Aujourd'hui, on va encore faire les mêmes choses qu'hier, que demain. Puis un tour sur nous même, retrouver nos cauchemars.

 

  Mais demain. Demain peut-être que tout sera différent.


 

  • Un mal être déchirant et poignant. La seule chose qui sauve, c'est que tout pourrait être réécrit en négatif. L'immensité de noir deviendrait alors blanche, et les pointes de blancs des ilots de noirs.

    · Il y a presque 9 ans ·
    Ananas

    carouille

  • Hier n'est plus, demain n'existe pas.
    Ce "je" en refus d'incarnation a au moins le mérite de ne pas fuir au cœur de ses mots de propos...
    La traversée, c'est ici et maintenant alors reste debout et continue d'écrire car c'est bien !

    · Il y a presque 9 ans ·
    Ange

    Apolline

Signaler ce texte