Demain
nyckie-alause
La mer s'est retirée jusque derrière les épis depuis déjà une heure. Adeline se demande si, à force de patience, elle va la voir regagner du terrain. Elle observe. Une voile ou une sorte de voile, très loin à l'horizon qui monte qui descend ; ou est-ce une aile d'un oiseau marin non identifié qui s'étire et se replie au gré d'elle ne sait quoi. Voilà. Elle commence à avoir froid, assise sur le parapet, l'humidité remonte comme aspirée par son immobilité. Elle est libre. Libre d'attendre encore ou de se lever, et partir. Se lever, ramasser une à une ses possessions, l'inventaire qu'elle vient de faire de son sac à main : un agenda d'il y a deux ans dont l'année a été corrigée ; un répertoire, mais qui utilise encore un répertoire ? Elle vient d'ailleurs de le parcourir au hasard et si elle avait trouvé un stylo elle aurait pu raturer les noms devenus inutiles. Il y a ceux qui sont morts, ceux qui ont déménagé, celles qui se sont fâchées elle ne se souvient plus pourquoi, et ceux et celles qui lui ont claqué la porte au nez, en quelque sorte.
Et bien entendu, Adeline a pris son téléphone, un de ces appareils tellement modernes qu'elle persiste à dire qu'elle ne sait pas s'en servir. Depuis qu'elle s'est installée, plusieurs fois elle l'a allumé. Un observateur pourrait croire qu'elle consulte sa messagerie, qu'elle regarde qui l'a appelé ce matin, ou hier ou même avant, qu'elle veux envoyer un message qu'elle hésite encore. Mais rien de cela. Elle a réglé l'option minuterie et chaque quatre ou cinq minutes elle ouvre l'application photo et fait un cliché, toujours dans la même direction, l'épi et l'aile ou la voile qui flotte au-delà. Clic ! elle regarde, juge et s'il le faut recommence. Les images glissent d'un coup de doigt latéral qui, avec une identique dextérité, appuiera sur le signe poubelle pour se débarrasser d'un éventuel intrus.
Plutôt que de faire toutes ces photos, elle aurait pu choisir de contempler la mer, l'échappée océane, et prendre la décision de partir. Mais quelle est-elle ? Son départ changerait-il son destin ? De meilleurs lendemains ? Elle observe ces petits crustacés qui s'agitent et creusent avec un désespoir renouvelé. Ils creusent pour retrouver la mer qui tarde à rentrer. Pour Adeline c'est tout pareil. Pour commencer, aujourd'hui et seulement aujourd'hui, elle pourra tarder à rentrer et nous verrons bien ce qui se produira.
L'humidité s'insinue, glisse, remonte, gagne du territoire, glace. Le sable déposé se cramponne aux poches arrière de son jean devenu humide. Adeline s'est levée puis, la minuterie la rappelant à l'ordre, elle reprend sa vigie, et la photo suivante. Clic. Si au moins un rayon de soleil s'attardait sur ses cheveux, les promeneurs qui déambulent sur la promenade, baisseraient les yeux et remarqueraient combien cette femme est belle. Son doigt nerveux, glisse et détruit, et reprend possession du paysage. Ce paysage qu'elle s'approprie, qu'elle capture comme une émotion que l'on note pour ne pas l'oublier, un bonheur que l'on retient quoi qu'il en coûte.
Elle semble prête à lâcher un sanglot puis elle se reprend et éclate de rire. C'est pour tout ce qu'elle a stocké dans la machine moderne qu'est son téléphone : des souvenirs, sa vie mise en scène, Adeline et ses amours, Adeline a des chagrins. Et même son chat Joseph qui un jour s'est enfui. Sur la photo 1 il est de dos dans l'allée et il pourrait être en train de la quitter mais, la photo 2 le montre lascivement s'étirer dans un rayon de soleil sur la table du salon. Ce n'est que plus tard qu'il aura disparu, plus tard.
Elle pense que tard, il est déjà tard en regardant non sa montre comme on pourrait le croire mais l'indicateur de charge de la batterie du téléphone. Le bruit change. L'océan, un moment incertain, retrouve du caractère, cogne sur l'amoncellement minéral des épis, mousse et éclabousse. Adeline, quand elle le constate, pousse un soupir et un sourire. Tout est bien à sa place.
Le triangle blanc de la voile ou de l'aile, comment savoir, n'a pas bougé d'un pouce. Il doit s'agir de quelque chose échoué derrière les rochers, ou de quelqu'un, ou d'un oiseau, mort.
Aussi déterminée que les vagues qui remontent vers elle, elle fiche dans son sac tout ce qu'elle avait déballé, coupe le rappel de minuterie, frotte des deux mains ses fesses glacées, tape sur un coin de l'escalier qui rejoint la promenade ses chaussures sableuses. Etonnée de croiser tant de monde elle louvoie jusqu'au kiosque. Aujourd'hui, elle ne sait pas pourquoi justement aujourd'hui, elle change sa vie. Le vendeur de boissons/glaces/sandwiches a fermé mais n'a pas rentré sa poubelle. Elle repêche au fond du sac, entre une bouteille d'eau vide et un foulard noué, le répertoire. Elle le brandit comme un trophée, fait un tour sur elle-même et sans plus de regret elle en arrache les pages une à une. Pour chacune des pages une déchirure transversale « zip ». A l'instant ultime ne lui reste entre les doigts que le « clap » de carton rouge et sa spirale dorée et « clap » et « clac » elle referme la poubelle. Le couvercle métallique sonne comme le gong du ring. Libérée. Demain, s'il fait beau, elle descendra à nouveau jusqu'à la plage, elle s'assiéra sur le parapet, elle videra son sac à côté d'elle. A l'heure de la marée basse, un à un, elle effacera tous les contacts de son téléphone. Demain. Elle passera aussi s'acheter un agenda de l'an prochain. Seulement si demain, il fait vraiment beau.
Emouvante Adeline, qui regarde partir son passé, sa vie ? Et tourne définitivement la page...Qui est sous cette voile qu'elle photographie ? Un amour ? Ou son histoire ? Tu nous interroges....Et c'est touchant.
· Il y a presque 7 ans ·momo84
Très belle écriture. Un plaisir à lire
· Il y a presque 7 ans ·nehara
Merci de ton passage. L'écriture est maitrisée mais est-ce que l'histoire t'a plue ?
· Il y a presque 7 ans ·nyckie-alause
L’histoire est intéressante, je reste sur ma faim car je me pose des quesrions sur le personnage. Que fait elle là? Qu’est qui l’a amenée là ? Ou veut elle en venir? Ah ah ah...bref, ça a ma bien plu et absorbée !
· Il y a presque 7 ans ·nehara