Demain, enfin un autre jour...

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La Petite Limonade 78, nous l’avions écrite à six mains. Recueil de poèmes et de textes, elle reflétait les combats intérieurs et les espoirs de trois lycéennes frustrées. Une blonde aux yeux bleus, une rousse pétillante et moi, B.B. Traduisez Brune Banale, noire de surcroît, qui aspirait juste au respect de tous. A l’instar de mes amies, ma route semblait tracée. Depuis l’âge de quinze ans, telle la sœur de Lucky Luke, je tapais à la machine à écrire, mécanique s’il vous plaît, plus vite que mon ombre. Bac G1 en poche, j’allais devenir la perle des secrétaires, un des plus beaux métiers au monde. Sous la douce pression familiale, j’acceptai d’ajouter une corde à mon arc en suivant une formation dédiée au BTS, durant laquelle je m’ennuyai tant que je sortis de ma boîte à secrets mon premier roman intitulé Seize ans et vingt-huit dents. J’entends déjà les ricanements : un titre ridicule à souhait, je sais, qui ne freina pourtant pas un éditeur enthousiaste mais si modeste qu’il coula, engloutissant dans les flots mon futur best-seller et mon ambition d’embrasser une carrière d’écrivaine. Ecartant ce rêve désormais ô combien futile, je dus me résigner à conquérir le monde de l’entreprise et devenir une assistante de direction émérite, adulée par un prince qui, entretemps, m’avait enlevée et comblée en m’offrant à choyer deux bambins. Reconnaissance et Amour. Fin de l’histoire ? Non, car un licenciement me vit franchir, à trente-sept ans, la porte de l’université, bien décidée à muer en enseignante charismatique. La vue d’une affiche offrant de participer à des ateliers d’écriture raviva l’envie qui me taraudait de reprendre la plume. Mon premier texte, un regard franc sur ma négritude, me réconcilia avec ma différence et mes racines. Ecrire fut alors un exutoire me consolant d’avoir dû renoncer à apprendre à lire à des marmots pour retourner à mon bloc sténo. Le jour je vendais des joints… toriques, le soir je rédigeais. Au fil de mes pérégrinations, on détecta mon potentiel rédactionnel qui me vaut à présent de piloter des projets éditoriaux, mais mes textes trop longs sont allégés, mon humour réfréné, car non, tout ne se dit pas en entreprise. Dommage, car bien des années après notre hommage à Diabolo Menthe, mon écriture a mûri. Loin de s’apaiser, elle trépigne sous ses cheveux blancs, n’a de cesse de vouloir voguer à son gré. Laissez-moi boire à son calice, vivre d’overdoses de mots. Tel est mon nouvel eldorado, afin que demain soit enfin un autre jour.

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