Départ en Vacancie

Comme chaque année, j'avais remis les compteurs à zéro.  Dans mon esprit,  j'espérais que cette fois-ci ce serait la bonne,  que le chemin serait pavé de bonnes intentions. C'est la raison pour laquelle je n'avais presque pas fermé l'œil de la nuit. Ma tête était pleine de soleil,  de vertes prairies et de sourires.

À deux heures, je n'avais pas eu besoin d'un réveille-matin. Les hurlements de maréchal des logis de mon papa me suffirent amplement. Nous aurions appris que la nuit nucléaire était sur le point de s'abattre sur nous que le degré de panique n'aurait pas pu dépasser ce paroxysme.  Chez moi s'éveillaient les souvenirs des vacances précédentes,  la visite du Struthof et les déportés sortis de leur paillasse à coups de matraque par les kapos.

Mon papa était comme ça.  Il avait décidé que nous partirions à 3 heures, pas à 3h01. Il avait préparé le parcours avec minutie, sur des cartes Michelin. Au passage,  il ne s'était pas gêné pour mettre en exergue mon crétinisme.  Lorsqu'il me demandait de calculer les distances entre deux points,  je m'embrouillais,  mes yeux s'embrumaient.

2h59, tout le monde était fin prêt,  sans broncher. La route serait longue,  à la fraîche.  L'ambiance était suffisamment suffocante dans l'habitacle. Dès le troisième croisement,  les ronds-points n'avaient pas encore été financés par les chaînes d'hypermarchés,  mon papa déversait déjà sa hargne sur ma maman, victime expiatoire.  Il franchissait avec allégresse la ligne blanche de la goujaterie.

De mon côté,  j'essayais vaguement de sommeiller, le dos en compote, les coudes de mon frère encastrés dans mes côtes,  ma sœur affalée sur mes cuisses. Le nom des villes traversées me rappelaient vaguement des lectures du Quid, des batailles, des villes industrieuses. Je regrettais que nous ne soyions pas passés par le périphérique parisien. Je me souvenais que nous l'avions franchi quand nous étions allés dans les Pyrénées.  La lumière orange des tunnels nous donnait un teint blafard.  Je savais déjà que le jour viendrait de me faire happer par la capitale. J'avais compris que son anonymat m'appellerait  pour me sauver.

À quatre heures, nous étions entre chien et loup. Je parle ici de l'aube. Je pensais aux Inuits qui connaissaient le jour perpétuel,  le temps d'une saison.

Fort heureusement,  un accident vint détendre l'atmosphère. J'étais fasciné par le motard allongé,  par la flaque de sang. Personne n'aurait eu la pudeur d'en noter l'indécence pour un enfant de neuf ans. Mon papa se permit une remarque sur ce connard qui avait eu l'indélicatesse de le doubler quelques minutes plus tôt.

La pause arriva. Après avoir déversé une bouteille d'eau sur mon visage, il me frictionna, énergétiquement est un euphémisme,  avec une eau de Cologne bas de gamme, dont l'odeur se mélangeait avec le kérosène des camions.

Enfin, la ligne bleue des Vosges se dessina. Encore une éternité de lacets, autant de sacs remplis de vomissures, et nous atteignions notre destination, exsangues. Mon papa retrouvait le sourire à l'idée de l'apéro qui l'attendait en guise de bienvenue.

Comme chaque année, les pendules ne seraient pas remises à l'heure. Je serrais les poings, faisant contre mauvaise fortune hauts le cœur.

PetiSaintLeu

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