Depuis que tu es parti

Tu vois, avant, mon regard souriait. Il vivait, il était animé. Mais aujourd'hui, les braises se sont éteintes. J'ai juste l'air d'une morte quand je regarde le paysage dans le bus. Et je pense même avoir l'air d'une morte à l'école. Peut-être que j'arrivais à me contenter de savoir que tout le monde il est heureux et que tout le monde il est vivant. Aujourd'hui tout le monde il n'est pas heureux et toi tu es parti.

Je ne sais pas si je suis ainsi parce que la date fatidique arrive. Les nausées reviennent. Et j'avoue qu'en ce moment, je me dis que tout serait bien plus simple si j'étais là-haut. Je n'aurais pas à subir toutes ces merdes et à stresser comme jamais. Je n'aurais pas constamment envie de pleurer. Je n'aurais plus à faire semblant, à essayer de rester forte, à me répéter de ne pas baisser les bras. Les gens en prendraient un coup dans leur gueule vu qu'en ce moment personne ne remarque mon existence.

Je suivrais l'évolution de là où je suis, sans avoir à subir tout ça et en rattrapant le temps perdu avec toi.

Tu sais, y'a des jours où je me dis que si on avait été là-bas et qu'on t'aurait reconduit, on n'en serait pas là aujourd'hui. Et d'autres vont me rétorquer que ça aurait quand même pu se passer de toute façon. Je m'en fous. Si on avait été là à cette date-là, personne n'aurait eu un coup de poignard au coeur. On avait prévu de venir mais on ne l'a jamais fait. Et moi qui aimais tant aller manger là-bas, je pense que je ne saurais même pas y remettre un pied. Et pourtant je devrais pas penser comme ça. Le lieu ne m'a jamais rien fait et je me suis jamais dit que mon cousin travaillait là quand j'y allais.

Il y a quelques jours, je me suis rappelée de nos dernières paroles échangées… J'étais bêtement venue te demander si tu connaissais deux frères qui faisaient du tir à l'arc avec moi. J'ai essayé, Dimi. J'ai voulu renouer contact. Même un bête échange ainsi aurait pu être un simple signal. Et dire qu'avant on se parlait tout le temps sur MSN ! Je comprends pas. Ca ne nous concernait pas !

Je vais faire comme pour Mamie, je vais t'accuser de tout. Mais entre l'adolescente de 14 ans et la p'tite femme de 21 ans, y'a eu de la maturité entre temps. Alors je me retiens. Je sais qu'on est tous responsables mais je ne comprends pas. Et j'en ai marre d'avoir des regrets. Qu'est-ce qui me dit que tu en aurais eu à mon égard?

C'est quand même ironique quand on pense que l'année d'après nous nous sommes dévisagés comme si nous nous rencontrions pour la première fois. En plus de ça, on s'échangeait tout le temps des regards, j'ai envie d'espérer que cela signifiait que ça te titillait aussi qu'on ne soit plus les p'tits inséparables qu'on était. Mais je ne veux pas me faire de film. Et qu'est-ce qui me dit que ma mémoire ne me fait pas défaut?

Toutes ces images me tuent, Dimi. Tu sais, j'étais toute fière de jouer un Dimitri dans une scène de théâtre pour l'école et que l'on me surnomme Dimitri Ducarom pour un délire avec des amies. Je l'étais vraiment ! Aujourd'hui, je ne veux même plus entendre ce nom, c'est trop dur à porter. Et tu n'imagines pas tous les garçons qui peuvent te ressembler ! Y'a un gars qu'on a surnommé “Kiki” en référence à ton nom de famille. Faut croire que malgré tout, tu étais ma fierté.

J'arrive encore à dire que j'ai deux cousins du côté de papa. C'est longtemps après que je me rends compte que j'ai fait une erreur. Parler de toi au passé, c'est compliqué. Enfin dans un sens c'est facile, les souvenirs se racontent toujours au passé. Mais parler de toi, aujourd'hui, au passé… C'est une torture.

Ô oui je pourrais utiliser de grands mots ! Je ne t'ai plus côtoyé pendant de nombreuses années, je n'avais plus ton numéro de GSM et ton adresse MSN, grand damn ! Quelle actrice je fais, hein? Mais si je l'écris, c'est que je le pense.

Je m'en suis voulue de ne pas être partie avant toi. Je m'en veux encore de ne pas avoir passé plus de temps avec toi. Mais à l'époque, c'était facile de se dire que tu voudrais sûrement me voir heureuse… Aujourd'hui j'en ai assez.