Derrière ces murs, nos rires.

joocks

Depuis le trottoir, le bâtiment n'a pas fière allure mais il n'est pas hideux pour autant. En vérité, il est quelconque, on ne lève pas forcément le nez. Il faut d'abord pousser une lourde porte que la voisine a fait refaire récemment, « pour plus de sécurité ».  Juste une voisine, une vieille dame, c'est bien. La plupart du temps c'est assez calme, pas de soirées arrosées ni de couples qui se déchirent à des heures impossibles, ça glace le sang ces choses-là. On reprochera juste à ses petits-enfants d'avoir pour passion la flute à bec, le piano et les hurlements. Une passion dévorante cela dit, elle les occupe tôt le matin et tard le soir, uniquement durant les vacances scolaires. On s'y fait, un peu.

Une fois les 2 étages gravis il faut ouvrir une porte à 2 verrous, la poignée grince légèrement et le boudin de porte offre une légère résistance à l'ouverture. Ca a son charme. On entre alors dans un grand couloir au papier peint à rayures verticales choisi avec goût, il y a des cadres au mur, ils ne sont pas identiques mais ils s'harmonisent parfaitement. Comme si les choses devaient être ainsi, il y a aussi une grosse commode avec un grand miroir rond, devant lequel on peut se maquiller à trois en même temps avant de sortir un samedi soir ou un lundi matin alors qu'on devrait « déjà être dans la voiture ». Il y a un énorme lustre au plafond, en cuivre, peinture blanche et en verre, déniché en brocante. Mais à vrai dire on l'allume rarement tant la lumière des autres pièces l'inonde. Passé ces sensations visuelles, ce sont nos sens olfactifs qui sont stimulés par l'odeur du lieu. Ca sent l'odeur des travaux, du nouveau papier peint et des nouvelles peintures, même sept ans après. Il y a aussi une odeur de linge propre, de vanille, de fleur d'oranger et en troisième gamme on sent une odeur de… cigarette. Cela peut paraitre repoussant mais c'est très délicat, insoupçonné presque, une senteur unique. Nos amis reconnaissent même cette odeur sur nous. A gauche il y a 2 chambres spacieuses et lumineuses. A droite il y a respectivement la salle de bain avec son WC séparé mais dans la même pièce, le ballet des portes dans ce petit espace écorcha bien des doigts par ailleurs et la cuisine avec son frigo toujours remplit.

Mais ma pièce préférée est celle la plus en retrait dans l'appartement : le salon. Il est terriblement lumineux. L'un des murs fait échos au couloir, avec les mêmes rayures. C'est un havre de douceur, de chaleur et de calme. A droite il y a de grandes portes de placard coulissantes du sol au plafond. C'est un leurre. Derrière il y a une immense chambre parentale que l'on peut ouvrir sur le salon. Et de l'autre côté de la pièce il y a un volumineux canapé en « U » avec de gros coussins moelleux qui ont vu défiler bien des fessiers, des bagarres, des taches, des pleurs, des siestes, des nuits, des diners, des gouters et même des convalescences. On a même coupé les pattes de la table pour qu'elle soit à la hauteur parfaite pour diner assis dans le canapé parce que c'est à table que l'on rit le plus. Mais, et l'intimité dans tout ça ? Pas besoin de s'embarrasser de murs et de portes qui couperaient toute l'énergie qui circule dans le lieu pour respecter l'espace de chacun; l'énergie des rires, des courses poursuites et des sketches improvisés, sans oublier les chutes! Le parquet est parfaitement lustré, toujours! Cette grande pièce nous permet d'être tous ensemble, la plupart du temps, chacun dans son coin ou entassés dans le même, l'important c'est que l'on se sente bien.

 A vrai dire c'est la particularité de ce lieu, on s'y sent instantanément bien. Les gens viennent avec leurs problèmes, aussi gros soient-ils, et en repartent soulagés et apaisés. Pendant 7ans ce fut notre havre de paix et de douceur, un refuge savamment meublé, que Maman aménagea petit à petit. Dans 10 ans, lorsque le vent s'engouffrera dans les rideaux, lorsque toutes les fenêtres seront ouvertes on entendra encore nos gazouillements et on sentira toujours notre odeur. Je n'ai pas pu m'empêcher d'essuyer mes yeux mouillés de nostalgie d'un revers de manche en fermant la porte de l'appartement pour la dernière fois. Une page se tourne, d'autres rires viendront et dans d'autres lieux et ils consoleront d'autres pleures, la vie continue. Deux tours de verrous dans un sens et la même chose pour le second ma main glisse de la clenche, dans un murmure je souffle « Merci Maman », elle n'aurait pas pu nous faire de plus beau cadeau. 

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