Des clous et du vice ...

poulpita

Il regardait le clou planté dans le mur depuis 3 minutes déjà. J'étais fière de mon clou, placé à un mètre soixante quinze, j'avais soigneusement mesuré. Symbole du bricolage du dimanche. De l'égalité de l'homme et de la femme. Le clou était impassible, sa tête ronde, plate, couleur argent, saillant d'un petit centimètre du mur blanc. Contre ce même mur, à terre, dormait un tableau. Il fit un pas vers le clou. Inclina son front à droite à gauche, semblant juger de la symétrie. Il se tourna vers moi. Je souriais.

- Tu as planté un clou ?

- Oui.

Je souriais.

- Pourquoi ?

Je ne souriais plus. Me fallait-il vraiment tout expliquer à cet ami de passage, un peu nouveau - disons, un amant d'une petite semaine. Pourquoi avais-je planté, chez moi, un clou. C'était l'objet de sa question. Je l'aimais bien. Je répondis.

- Je... Je balbutiais quand même un peu. Je ... voulais accrocher un tableau. Tu vois, celui-là. Je pointais un index vers le coupable. Espérant que le tableau se chargerait de le suite de la conversation.

- Mais comment ? Comment as-tu planté un clou ?

J'avouais, sans trop savoir si cela était grave.

- J'ai planté ce clou avec un marteau. Répondis-je calmement.

- Mon marteau ?

- Ton marteau, oui. Il avait déposé chez moi le matin même sa caisse à outils. Ton marteau. Qui est une pièce antique, par ailleurs. J'ai songé à t'en offrir un nouveau.

- Non !

- Je ne le ferai pas évidemment. Non, bien sûr. C'est trop délicat. Trop personnel.

Je regardais mes pieds. Il resta silencieux, un instant.

- As-tu fouillé dans ma boîte à outils ?

- Oui. Un peu, sans plus. Je cherchais au fond de ses yeux quelques indications qui m'aideraient à trouver la bonne mesure, le ton diplomate pour évoquer la fouille minutieuse et agacée de sa boite à outils.

- Qu'as-tu trouvé ?

- Hé bien. Donc. Cet antique marteau. Au manche sombre. Tête rouillée. Il …

- Oui, et puis. Il s'agaçait.

- Et aussi. Je respirais. Je gagnais du temps. Je dressais dans ma tête la liste des objets plus anodins les uns que les autres que mes doigts avaient effleurés. J'ai trouvé des vis. Plein de vis. De toutes tailles. Tous formats.

- Des vis. Voilà. Il semblait que ma réponse le satisfît.

- Je me suis demandée pourquoi tu en avais autant, d'ailleurs. Et aucun clou. Je cherchais un clou.

- Et tu as acheté un clou ?

- Je cherchais un clou. Je n'ai pas trouvé de clou. Je suis allée en acheter. Et j'ai planté un clou. Celui-là.

-  Tu as acheté un clou ?

- Plusieurs même. Une boîte entière. Une petite boîte, le rassurai-je. De cinquante. Je parlais doucement. Je murmurais. Mais je sentais bien que je l'avais perdu. L'agitation le trahissait.

- Un clou sur ce mur. Et quarante-neuf autres dans un placard. Mais où as-tu la tête ?

- Vissée sur mes épaules.

Il ne rit pas. Moi non plus. Pourtant, entre nous, j'étais assez contente de ma répartie. Il fit un pas vers moi. Il parlait bas, se contrôlait. Mais sa colère m'atteignit sus forme de postillons.

- Mais ne vois-tu pas que le clou, le clou c'est la lie de l'humanité ? Le souffreteux des outils nobles ! Le clou. C'est la préhistoire !

J'eus envie une seconde de plaider la cause de l'aiguille. L'aiguille, antérieure au clou de quelques milliers d'années. Mais ses mâchoires serrées et ses grands yeux flous m'en dissuadèrent.

- Le clou, c'est le rien. Un bâton plus le disque. Le niveau zéro de l'assemblage. Le groundfloor, le basement. Il accentuait son accent américain. Alors que la vis. Ses atouts. Inarrachable. Esthétique. Variable. La vis peut tout, elle. Quand le clou peine à suspendre ou assembler. La vis est reine. Il sortit une vis énorme de sa poche. Une fois la surprise passée, je l'observais, ainsi qu'il m'invitait à le faire.

- Admire ce pas de vis. La régularité de ce chemin. Le tranchant de cette spirale. N'est-ce pas merveilleux ?

Je dus reconnaitre que c'était pas mal foutu.

- Et puis on peut la visser, la dévisser, l'accompagner d'une cheville. C'est complet, une vis, tu vois ?

J'acquiesçai sans conviction. J'acquiesçai. Et je pris ma décision.

- Bon, dis-je. Peut-être pourras-tu m'aider à planter les crochets, alors. Je dois suspendre des plantes.

Il se figea.

- Un crochet. Tu utilises des crochets ?

Je hochais la tête.

- Oui. Mes yeux étaient ronds et innocents. Je battais des cils.

Son regard devint triste. Il pencha la tête sur le côté, en dodelinant un peu. Il ramassa d'un geste souple sa boîte à outils. Tout en me fixant, il fit quatre pas en arrière. Il paraissait désolé. Il saisit la poignée de la porte d'entrée en porcelaine. Et sortit brusquement.

Adieu, murmura-t-il avant de s'engouffrer dans l'ascenseur.

 

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