Des eaux troubles

cyantoine

Des eaux troubles

Port du Havre, 31 octobre 2012.

« La victime s'appelle Grégoire Leutin, il a trente-huit ans. Nous avons pu l'identifier grâce à ses papiers qu'il portait dans la poche intérieure de sa veste. » dit le médecin légiste en s'adressant à Diane Laffont et Henry Marin, le duo d'officiers de police qui venait d'arriver sur le ponton où était allongée la victime, à proximité de containers du port. « Il est marié depuis dix ans et est père de deux petites filles. Un bel Halloween en perspective. Le pauvre aura bu la tasse en plus d'être massacré, poursuivit le médecin.

- Que voulez-vous dire, Bérénice? » demanda Henry.

« Qu'un fou furieux l'a noyé et découpé dans l'eau. On lui a ouvert sauvagement l'abdomen et enlevé le foie et les boyaux. L'équipe sous-marine s'apprête à explorer les eaux pour voir si elle retrouve de quoi manger...

- C'est d'un goût... » répondit Diane.

« Vous dites ça avec tellement de calme et d'empathie pour la victime... » dit Henry à Bérénice d'un ton tout aussi cynique.

« Vous commencez à me connaître, maintenant. Je vis seule depuis trois ans. Etienne vit à Melbourne et il s'en fout pas mal de savoir comment va sa mère. Luce est retournée vivre chez son connard de père... il ne restait plus que ma sœur, avant que sa passion pour les deux roues ne l'emporte avec elle. Donc permettez moi de me sentir aussi vivante pour les victimes... » répondit Bérénice.

« Excusez-moi Bérénice, je n'voulais pas...

- Y' a pas d'mal. Je vous laisse accéder aux pièces à conviction et déterminer la liste des suspects. Vous voulez un café?

- Non... non ça ira, merci Bérénice. » répondit Diane en s'éloignant de la scène de crime avec Henry.

« Elle n'a jamais été particulièrement chaleureuse, mais là, ça devient sérieux quand même... » dit l'officier à sa collègue.

« Et ce n'est pas prêt de s'arranger. Allons donc en apprendre plus sur notre ami sans abdomen...

- Et sans foie...

- Ni boyaux...

- Le pauvre, il est bien troué quand même. Heureusement qu'il a gardé son portefeuilles. » dit Henry.

« Vous allez finir aussi aigri qu'elle... » répondit Diane en souriant. « Les containers ont-ils été tous fouillés?

- Vous plaisantez?

- Oui, mais vous avez quand même eu le doute.

- On devrait quand même avoir des éléments pour interroger l'entourage. » répondit Henry avant qu'ils n'inspectent les différentes pièces à conviction.

L'interrogatoire des proches d'une victime prend beaucoup de temps, et ça, le duo d'officiers le sait très bien. Ce qui le passionne et l'anime, c'est quand des pistes prennent un tout autre aspect et conduisent à des suspects.

Romain Lamy était l'un d'eux et fut interpellé dans la journée, un laps de temps merveilleux pour Henry et Diane.

« Arrêtez votre baratin, vous ne le connaissiez pas personnellement! » dit Diane en pointant Romain du doigt, qui était assis sur une chaise, tout tremblotant. Une table séparait le suspect des deux officiers, qui restaient debout.

« Je... il m'a contacté pour une petit annonce... » dit le suspect, hésitant.

« Oui, une putain de fausse annonce de vente de véhicule! Vous trempiez tous les deux là-dedans! » s'exclama Henry.

« N... non, il cherchait à...

- Cette bagnole n'existe pas! C'est un subterfuge pour vendre votre daube, votre putain de came! Et il le savait très bien lui aussi!

- Je ne... Non...

- Nous sommes remontés jusqu'à vous en un rien de temps. Nous vous conseillons de nous dire la vérité tout de suite, tant qu'il est encore temps pour vous de nous aider dans notre enquête. Après ça, les juges ne vous épargnerons pas... » dit Diane, d'un ton sec.

« Il commençait à être un régulier... » commença à dire Romain.

« Merci, on vous écoute, le coupa Henry.

- J'ai cru comprendre qu'il avait perdu son taff, il commençait à faire son commerce... moi j'ai juste vendu ce qu'il me demandait, 'y a pas eu d'embrouilles... » dit le suspect pendant que les officiers communiquèrent en échangeant un regard.

« Vous vous êtes rencontrés combien de fois? » demanda Henry.

« Je sais plus trop... quatre ou cinq fois...

- Est-ce quatre ou cinq fois?

- Je sais plus... c'est pas important, c'était toujours la même chose!

- On vous arrête, dit Henry en sortant des menottes de la poche extérieure de sa veste.

- Hein? Hey mais vous êtes pas bien, j'ai rien fait! J'ai pas tué c'type!

- C'est pas bien important, c'est toujours la même chose...

- Vous pouvez pas m'arrêter comme ça?!

- Un homme a été assassiné, on mène une enquête. On ne peut pas se permettre d'être dans le flou, on veut des exactitudes. Alors tâchez de faire des efforts pour vous souvenir de tout. Entendu? » demanda Henry, toujours aussi sévère, tandis que Diane laissa esquisser un petit sourire.

« D'accord... d'accord... » répondit Romain, qui remuait ces jambes, stressé. « Euh... Cinq fois, on s'est vus cinq fois.

- Où?

- Toujours au même endroit.

- OÙ?!

- Sur le ponton... là où il a disparu...

- Voilà qui est intéressant... » dit Diane. « C'est plutôt là où il a été retrouvé mort...

- Bordel, dites nous ce que vous lui avez fait. Avouez dès maintenant, ça soulagera votre conscience. » dit Henry avant que Romain ne se mette à craquer.

« C'est pas moi! Je lui ai rien fait! » s'exclama Romain en pleurant.

« Alors c'était qui?! » demanda Henry, furieux, qui poussa la table pour qu'elle touche Romain dans les côtes. Ce dernier ne répondit pas, effondré. « Allez-y, c'est l'moment d'chialer! On vous embarque...

- Vous n'allez pas me croire!

- On n'vous croît déjà pas, alors essayez toujours!

- C'était un poisson, un gigantesque poisson. » dit Romain, ce qui fit pouffer de rire Henry. « Il l'a attrapé, j'ai eu les jetons, je me suis barré aussitôt, j'ai même laissé ma came...

- On a vu oui. C'est ce qui nous a permis de vous coincer. » dit Henry. « Maintenant arrêtez de vous foutre de ma gueule, et avouez.

- Je vous dit la vérité! Il y a quelque chose de bizarre dans l'eau!

- Peut-être un foie et des boyaux. » répondit sèchement Diane. « Il a été sauvagement ouvert, d'ailleurs l'équipe sous-marine a inspecté les eaux, et elle n'a rien trouvé. Pas de gros poisson. Désolé, mais il va falloir trouver autre chose...

- On pourrait peut-être aller fouiller chez vous... » dit Henry.

« Non! Non surtout pas, j'ai ma fille avec moi cette semaine...

- Vous n'allez plus l'avoir avec vous bien longtemps si vous ne vous montrez pas très coopératif. » dit Henry.

« J'ai trop de beuh planquée chez moi...

- Intéressant et très sain pour votre fille. Les services sociaux seront ravis de l'apprendre.

- S'il vous plaît, laissez moi une chance...

- Alors aidez nous! On se fout de votre drogue pour l'instant, Monsieur! » s'exclama Diane. « On veut attraper celui qui arraché l'abdomen d'un homme, vous comprenez?

- Il faut que votre équipe sous-marine cherche encore, il y a forcément quelque chose dans l'eau... » répondit Romain. Henry fit alors un signe de tête à Diane et tous deux sortirent de la pièce. « Qu'est-ce que j'fais moi maintenant?

- Vous restez ici, vous ne bougez pas, lui répondit Henry.

- Mais... je n'peux pas faire autrement que rester ici si vous m'enferm...

- Je sais. » répondit Henry en refermant la porte.

La nuit était déjà tombée sur le Havre quand Henry et Diane retournèrent sur les lieux du crime.

« L'équipe sous-marine s'apprête à revenir. On commence par le hangar désaffecté? » demanda Henry.

« Oui, à moins que vous vouliez ouvrir les containers un par un, répondit Diane en souriant.

- Ça va aller, je vous remercie. » répondit Henry.

Le hangar était vide, très poussiéreux et dépourvu d'électricité. Henry et Diane durent s'éclairer avec des lampes torches.

« J'ai toujours rêvé de vivre un film d'horreur, surtout le soir d'Halloween. » dit Diane.

- C'est notre quotidien. Je monte sur la passerelle. » répondit Henry qui éclaira celle-ci qui était perchée tout en haut du hangar, accessible par un escalier de fer en colimaçon.

Lorsque Henry arriva sur la passerelle, il sentit un courant d'air froid, provoqué par l'air extérieur qui passait par des gros trous tout en haut des murs du hangar, dont la vieille tôle ondulée était particulièrement abîmée.

L'officier se déplaça jusqu'au bout de la passerelle et regarda à travers le trou, qui donnait vue sur les quais et la mer. Il vit alors une silhouette énorme se déplacer dans l'eau. Elle sembla se courber, et il cru voir la peau d'un gigantesque serpent sortir légèrement de l'eau avant de s'y enfoncer de nouveau.

« Bordel... Diane! Vous êtes là?! » demanda Henry, paniqué, mais il n'entendit pas de réponse car une voix aiguë se mit à chanter. « Qu'est-ce que... » dit Henry avant de faire demi-tour et de redescendre l'escalier. « Diane, où êtes-vous? » demanda-t-il avant de voir la lumière de la lampe de Diane.

« Je vous ai déjà répondu, mais qu'est-ce qu'il vous arrive? Vous n'avez pas l'air bien...

- Vous n'entendez pas?

- Entendre quoi?

- La chanson!

- Euuuh... Non... Vous êtes sûr que ça va? » demanda Diane avant qu'un cri strident surgisse de nulle part, faisant exploser les morceaux de tôle dans le hangar.

Diane et Henry lâchèrent leur lampe, se bouchèrent les oreilles et s'inclinèrent en avant, souffrant du bruit particulièrement fort.

« Putain c'est quoi ça?! » s'exclama Diane.

« On se tire! » dit Henry qui se mit à courir pour rejoindre la porte par laquelle ils étaient entrés, désormais visible à travers la pièce, dépourvue de tôles.

Les deux officiers sortirent du hangar en tentant de savoir d'où provenait le cri, mais il était si puissant qu'il semblait être présent partout sur terre.

Il s'arrêta net quelques secondes plus tard.

« Vous saignez... » dit Diane à Henry en voyant du sang couler de ses oreilles.

« Vous aussi... » répondit-il alors qu'elle saignait également.

Le chant se mit à reprendre mais seul Henry pouvait l'entendre.

« La musique... vous ne l'entendez toujours pas?

- Je crois que mes tympans viennent de péter, donc non, mais ça m'étonne que vous entendiez encore quelque chose. » dit Diane en grimaçant de douleur.

Henry se dirigea en direction du chant, à savoir l'eau où il avait aperçu la mystérieuse silhouette des mers.

« Qu'est-ce que vous faîtes? On rentre, Henry! » dit Diane, inquiète, en constatant que du sang coulait encore de ses oreilles.

L'officier ne lui répondit pas et Diane le suivit, agacée.

« Henry, vous ne pouvez pas aller sur la scène du crime comme ça! » s'exclama Diane alors que l'homme traversait le ponton sans l'écouter. « Putain, Henry! Revenez, merde! »

La voix était si mélodieuse et semblait flotter dans les airs. Aucun instrument n'était nécessaire, la voix en elle-même était si douce, si pure.

Arrivé au bout du ponton, le regard d'Henry était figé sur l'eau, et il ne bougea pas d'un millimètre lorsque quelque chose sortit de l'eau à vive allure, le fouettant d'une vague rapide qui ne le fit même pas reculer.

Diane hurla en voyant le corps écaillé sortir de l'eau, long d'au moins trois mètres et sans forme, désarticulé, tel un serpent ou une gigantesque murène. Du haut de ce corps, une tête hideuse au visage particulièrement blanc et en forme de ballon de rugby. Le front et le menton étaient eux écaillés, et les yeux de la créature étaient longs et fins, en ayant pour forme un éclair de couleur bleu marine. Le nez était lui aussi long et fin, ressemblant davantage à une cicatrice. Une large mâchoire laissait apparaître des dents longues et aiguisées, aussi impressionnantes que celles d'un requin. Des longs cheveux noirs d'au moins un mètre flottaient dans le vent.

« Elle est si belle... » dit Henry qui contemplait une femme au visage angélique, aux yeux de biche et qui dansait dans l'eau en lui chantant toujours la même chanson.

« Elle est belle? Qui? Ça? Vos goûts en matière de femmes m'ont toujours étonnée, mais là... » dit Diane, à l'autre bout du ponton, horrifiée.

Henry était comme hypnotisé, et Diane vit la créature se courber vers l'arrière pour prendre de l'élan.

« C'est une sirène, Henry! Ça ressemble à une sirène!

- Taisez vous, Diane. Ne dîtes pas n'importe quoi, écoutez moi cette mélodie.

- Putain, ma grand-mère avait raison, ça existe... la veille et le soir d'Halloween... elle est arrivée... une seule sirène serait capable d'anéantir une ville aussi grande que Paris. Henry, foutez le camp d'ici, elle hypnotise les hommes avant d'aller dévorer... leur foie et leurs boyaux dans l'eau, je suppose! Elle ne ressemble pas à ce que vous voyez! Revenez ici!

- Elle m'éblouit par sa beauté, ça c'est sûr... » dit Henry alors que la sirène s'élança droit vers lui.

« HENRY! » se mit à hurler Diane avant de courir et que la créature se jette sur l'homme en le happant au niveau de l'abdomen, avant de s'engloutir avec lui sous l'eau. « Oh non, putain, Henry! » s'exclama Diane qui arriva trop tard à l'autre bout du ponton.

Paniquée, elle chercha désespérément Henry avant que la sirène ne revienne à la surface en propulsant son corps sur le ponton.

Diane se précipita vers lui et vit le ventre de l'homme déchiré, sans foie ni boyaux.

Elle se retourna vers la sirène, sortit son revolver et se mit à lui tirer dessus à quatre reprises. Celle-ci résista aux balles et poussa de nouveau un cri strident pour attaquer Diane, avant de replonger dans l'eau.

La jeune femme s'approcha alors du ponton et tira à plusieurs reprises en voyant la silhouette se déplacer dans l'eau.

Elle se déplaçait si vite qu'il était difficile de l'apercevoir clairement. C'est alors qu'elle cru distinguer deux silhouettes, puis trois.

Diane leva les yeux et regarda vers le large. Elle aperçut alors des centaines de silhouettes se déplacer lentement vers le port, et se mit à faire demi-tour... puis courir.

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