Dialogue amoureux

Alice Neixen

- Tu me manques quand tu me parles pas.
- Tu me parles tout le temps ! J'ai même pas le temps de te manquer, ni même celui de te parler d'ailleurs !
J'aime bien quand tu saisis un prétexte pour me balancer tes doléances.
- J'ai peur des silences.
L'excuse me semble convaincante.
- Non, tu as peur de tout.
Tout de suite, elle me semble beaucoup moins crédible. Tu fais dans l'évidence aujourd'hui.
- Bien sûr, en même temps qui n'a pas peur de tout ?
- Ben, tout le monde. Tout le monde moins toi, quoi.
Ah. Je me sentirais bien unique, sans le ton de reproche.
- C'est une réaction instinctive, ça protège, tu vois.
- Ouais mais le baromètre doit être déréglé chez toi, c'est pas possible. T'as peur de tout et de son contraire, c'est plus de la protection à ce rythme...
Analyse psychologique maintenant. Génial.
- Panophobie.
- Quoi ?
- La peur de tout, c'est la panophobie. Les concepts, ça rend moins con.
- ... C'est malin.
Je dois me retenir de rire.
- Pardon, mais je t'apprends quand même des choses, dans mes phobies incessantes.
- Ouais, faudrait penser à te soigner quand même, ou à voir quelqu'un.
Y'a des gens qui ont pas d'humour. L'autodérision, ça te parle à toi ?
- Je te vois toi déjà assez souvent comme ça.
- Je parlais d'un psy ! Merde, tu le fais exprès ?
C'est plus de l'autodérision là, c'est de l'intelligence en barres énergétiques qu'il te faudrait.
- Je plaisantais, oh, on peut même plus rire avec toi.
- Rire de ça, non, c'est pas drôle.
Tu dois être en première place des français cyniques qui consomment le plus de Zanax.

Il fait la gueule maintenant, visage fermé, sourcils froncés sur regard désabusé. Je le regarde longtemps, jusqu'à temps d'avoir des colonies de points noirs dans les yeux qui tordent et distendent son visage. Je le regarde, énervé ou indifférent, et derrière, en arrière-plan, la boîte de Zanax sur la table.

Je me retourne, la glisse dans mon tiroir de mon chevet et je dis à haute voix:
"Demain j'enlève ce miroir de ma chambre."
Schizophrène, va.

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