05 - DJIN SE CHOPE UN VIRUS
suemai
Il est 10h passé et la douche demeure toujours silencieuse. Il me prend une angoisse soudaine. Je grimpe les marches quatre à quatre… bon d'accord, deux à deux, et je me précipite au pied du lit. Djin semble rêvasser. Je lui pose la main sur le front. Oh lala! Plus de 40 de fièvre pour sûr. Je me mets aussitôt à sangloter. Une véritable lycéenne en peine d'amour; rappelez-vous que je suis de la vieille école.
— Je vais mourir… Là, y a de petits angelots du paradis et ils chantent pour moi. Chewing, offre-leur des sucettes, des blanches.
Sous le choc, je plonge ma main dans le sac… rien, pas un traitre bonbon. Je soupèse et le sac et mes mots. Rien.
— Djin il n'y a plus de sucettes !
Je lui tends le sac. Elle secoue, et il en tombe une ribambelle. Je demeure hébété.
— Chewing, tu leur en offres une chacun, d'accord.
— Non Djin ! Non ! Je ne veux pas te perdre ! J'appelle les services ambulanciers, de suite.
— Chewing ! Je te dis une pour chacun et je crois qu'il y a aussi une «chacune.» Alors ça vient !!
Me voilà à offrir des sucettes qui s'envolent toutes seules. Je n'y crois pas. Non. j'avoue. j'y crois. Djin ne ment jamais, elle ne sait pas encore le faire. Je lui dépose une serviette humide sur le front, aussitôt elle sèche. C'est la panique.
— «Dieu ! Dieu ! Dieu ! Par pitié, rendez-la-moi !» J'attrape le combiné. Djin ouvre les yeux et me dit :
— «Pas la peine, Chewing, je refuse de me faire tripoter par des beignets. Va plutôt à la bibliothèque et ramène tous les «Reader's.» Il y a de bonnes recettes de grand-mère.»
J'en demeure bouche entrouverte. La dernière mixture que ma grand-mère m'a fait boire, bien ça a mal tourné. Je me suis offert une «méningite spirale». Dix jours à jouer les beignets. Mais quelle sensation ces petits massages, je ne dis pas. Je tiens à signaler que je n'avais que 14 ans… ...
DRING… DRING…
Je déboule littéralement les escaliers. Quelques contusions. Heureusement la tête a tenu le coup. J'ouvre. Là je rêve à des pastèques. Timus se tient devant moi en costard trois pièces, un bouquet de fleurs d'une main et une boite de chocolat de l'autre. Son œil… bien, c'est n'importe quoi, multicolore et son nez, on dirait «Bourvil» dans ses dernières années. De plus, il s'est coiffé à la «Lino Ventura, sa période malabar» Il me salue avec politesse.
— Bonjour m'sieur, vous m'reconnaissez, c'est moi «l'Timus» comme que dit Djin. J'suis v'nu m'excuser pour l'autre soir.
Ne manquait plus que lui dans le décor. J'apprends que Max l'a recueilli et qu'il travaille au pub comme homme à tout faire et videur les soirs achalandés. Timus m'offre son sourire à quatre dents. De ce coté, ça ne s'est pas amélioré. Je l'invite à entrer, quoi faire d'autres. Je cherche un vase pour les fleurs.
— J'importune pas, m'sieur ?
Me voilà à faire la causette à ce «Touche pas à ma bécane» «Djin ! Djin ! Seigneur !» Dans la surprise, je l'oubliais. Je cours au salon et je ramasse tout ce que je peux de numéros de ces foutus «reader'zzz.»
— Djin… j'peux la voir m'sieur ?
— Non... oui... elle ne se sent pas très bien.
Je grimpe au premier suivi du Timus, portant dix fois ma cargaison de livres, les fleurs et sa chocolatière. Tout aussi paniqué, il me vole la vedette, ce musclor. Il s'agenouille et offre ses présents à Djin. Il ne manque que le prêtre pour l'union. Une véritable déclaration d'amour bidon, d'une foutue comédie sentimentale avec «Drew Barrymore» en tête d'affiche. Je les regarde, grognard.
— Timus ? Oh Timus !! C'est toi, dit Djin ouvrant les yeux, comme c'est gentil. C'est joli ce maquillage tout mauve. Tiens, voilà une sucette.
Le Timus, tout heureux, la suce. La sucette j'entends... le bonbon quoi… Il raconte toute son histoire. Voilà Djin qui en pleure pratiquement.
— Hey ! Regarde Timus, les petits anges reviennent, je vais te présenter.
— Ah ça Djin, c'est trop... trop… pour vrai !
Je suis le seul à ne pas les voir. Ça vous frustre un mec, vous n'imaginez pas…
— Allez, au boulot Timus, on cherche une recette de grand-mère pour soigner Djin.
Naturellement, il ne sait pas lire. Je me tape tout le travail. Je passe mes lunettes et j'attaque. Par chance, Timus ne se transforme pas en beignet, mais il tient la main de Djin et fait sécher des tas de serviettes humides que je lui ai fournies.
Le numéro de septembre 1963. Un article concernant «Michel le magicien.» [1] Je lis. Je connais bien ce type, j'étais un fan inconditionnel de «La boîte à surprise.»[2] Je décide de réciter la formule magique complète, utilisée lors des émissions, même si je ne dispose pas de la fameuse «poudre de perlimpinpin» : «Ali-Baba, pyjama, qu'est-ce que tu fais là ? Pingui, pingo, les noix, bibelin, bibelo, pompon la galipette.» Pouf ! Sous une fumée qui se dissipe, trois petits lapins blancs apparaissent. «Incroyable me dis-je.» J'en deviens quasiment gaga. «Je hais Lady Gaga, je vous l'avais dit ?» Djin m'exhorte à cesser mes «lapinages», même si elle les trouve mignons.
Je m'y remets. «Ah, voilà, m'écriais-je : Comment traiter tous les virus, par tante Adolphine.» Là, ça promet. Bon, novembre 1945, fin de la seconde guerre mondiale. Je repense à l'oncle Alphonse, qui y a laissé la vie. Pas une grosse perte, personne ne l'aimait dans la famille. Donc, je poursuis ma lecture. Dans une grande marmite, versez 378,3 centilitres d'eau à saveur de banane. Ajoutez, dans l'ordre, tout en remuant constamment : Un œil de triton, deux ailes de crapaud, le venin d'un reptile à six crocs, tout en veillant bien à tout diluer, à proportion égale, dans de l'huile de foie de morue, saupoudrez de sarriette, cari, romarin, thym, estragon et cannelle, ajoutez le blanc d'un œuf d'autruche, un zeste d'écorce de sapin de noël et finalement de l'urine d'un jeune poussin. Laissez frémir trois jours, et faites boire le malade, en n'omettant pas d'utiliser l'entonnoir. Tout en versant, récitez, trois fois, la prière ci-contre : «Foulécatima-contarissimoto-codaxixitanum-castrum-venitium-carnalescotatus.» En cas d'échec, consultez un médecin.
— «Non mais, c'est quoi ce foutu bordel ! Des ailes de crapaud maintenant et ça ressemble à quoi un triton…?»
— Théo, s'il te plait, me supplie Djin, je vais mourir !!!
— C'est pour sûr, m'sieur Théo, les serviettes prennent feu, là.
Paniqué, déboussolé et découragé à l'excès… à l'extrême, pardonnez-moi, je déboule, en larmes, de nouveau les escaliers. Ouche, mon lombago. Je m'apprête à quitter à la recherche d'ailes de crapaud, que j'entends Djin rire à s'en étouffer. Je grimpe de nouveau, en me soutenant fermement à la rampe d'escalier. Je les aperçois qui se tapent dans les mains à tour de rôle. Djin semble pétante de santé.
— Mais… mais… on peut m'expliquer, si je ne dérange pas …?
— Théo, jubile Djin, c'est Timus, il m'a fait boire une lampée de son flacon d'alcool et boung …! Me voilà en super forme.
— Qu'est-ce qu'elle contient cette fiole, Timus ???
— Ben, à vrai dire, un tas d'restes d'fonds d'verre des clients d'la semaine. J'ai rajouté un peu d'muscade et d'scotch pour le goût. Pas plus. J'vous l'jure.
«Beurkkkkkk!!!» Me voilà à la salle de bain à vomir comme un malade, évidemment... Je suis couvert de sueurs froides. Impossible d'appeler au secours. Je deviens tout verdâtre. Et là, j'entends totalement ahuri :
— «Hey Timus, on se fait un petit poker ?»
— Ben là, tu causes Djin, mais pas de coups bas d'accord ?
— Promis. Je reprends une petite gorgée, au cas où...
Je les entends qui s'éloignent. Je demeure aphone. Ça me donne l'impression de voir au travers d'yeux de tritons. Je reçois une sucette verte par la tête. Je les entends s'amuser et mes maux de cœur ne font qu'augmenter. Non mais… «Y a-t-il des limites à l'amour ?» Me voilà à pleurer, de nouveau, comme une…
On en reparlera.
[1] Michel Cailloux (1er octobre 1931 à Issoudun en France - 3 septembre 2012 à Montréal1,2) est un prestidigitateur, écrivain et scénariste québécois d'origine française. Il est titulaire d'un baccalauréat en lettres et en philosophie.
(...) C'est alors que Fernand Doré, directeur de la section jeunesse, lui propose (Michel Cailloux) de poursuivre sa carrière de magicien en devenant l'un des personnages de l'émission La Boîte à Surprise, qui allait prendre l'antenne à l'automne 1956. C'est ainsi qu'est né Michel le Magicien.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Cailloux
[2] La Boîte à Surprise est une émission de télévision pour la jeunesse québécoise (Canada) diffusée de 1956 à 1972 sur les ondes de Radio-Canada
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Bo%C3%AEte_%C3%A0_Surprise
Délirant, frais, amusant, d' l'humour quoi !
· Il y a plus de 8 ans ·Je pense beaucoup à toi Sue avec cette catastrophe au Canada, quelle horreur tous ces gens à la rue qui n'ont plus rien, et cette nature torturée...combien d'animaux n'ont pu échapper aux flammes !! Gros bisous ma grande !
Louve
alô Martine, toujours ce délire, en fait une réalité humoristique, je dirais.
· Il y a plus de 8 ans ·Pour ce que tu nommes le Canada, ici les provinces restent très isolées les unes des autres, pour ne pas dire étrangères. Ce sont de petits pays, qui se battent plus souvent qu'autres choses pour des questions monétaires et contre les magouilles du gouvernement central. Chaque province mène sa barque et (se fout) des autres territoires; davantage le Québec pour raisons linguistiques et son indépendance. Bien sûr, il existe une certaine compassion, mais pas plus. Il faut voir le Canada comme de petites entités, chacune se battant pour le butin final. Donc, tu comprendras que, toutes ces animosités entravent toutes formes d'empathie réelle. Bise, Sue
suemai
Merci sue pour cette leçon d'histoire, de géographie mais aussi de politique. Je vois que les magouilles du gouvernement sont partout les mêmes ... bises à toi !
· Il y a plus de 8 ans ·Louve
quel beau délire coloré...;-)
· Il y a plus de 8 ans ·Patrick Gonzalez
alô, beau jeune homme, heureuse de lire que tu n'es pas daltonien. On s'est perdu quelque peu de vue. Faudrait relancer la machine. Une bise à toi et ta famille, Sue+++
· Il y a plus de 8 ans ·suemai