Dominique.
Tophe Harper
Chaque jour je profitais du trajet qui me menait à la gare pour faire un arrêt à la boulangerie de Benny. Je lui glissais quelques billets en douce et il me gardait ses invendus. J'avais un meilleur destin pour eux que la poubelle, l'estomac de Dominique.
Dominique était un homme qui vivait sur le Quai B de la gare de Nantes. Il n'était pas toujours là mais quand c'était le cas je venais lui tendre les viennoiseries de Benny. Au début, il ne les acceptait pas, gratuitement du moins. Il voulait gagner cette nourriture, ne rien me devoir. Je ne croyais pas en ce qu'il me proposait mais par respect pour ce veuf, père de trois enfants perdus, j'acceptais qu'il me fasse profiter de ses «dons».
Dominique offrait toutes sortes de choses aux gens qui attendaient leur train. Il leur lisait les lignes de la main, les mettait en garde contre un mauvais projet, un changement inopportun. Il jonglait pour les enfants et jouait du violon pour les plus âgés. Il défiait les racailles aux cartes pour les tenir loin des ennuis et offrait son escorte aux dames seules. Certaines gares sont dangereuses pour les dames seules.
Il passait les nuits d'hiver dans des hôtels miteux qui lui prenait plus cher pour une chambre insalubre, parce qu'il faisait peur à la clientèle. Il arrivait vers seize heures trente. S'installait sur le balcon quand il y en avait un, s'accoudait à la fenêtre quand il n'y en avait pas. Il attendait que le jour se fasse la belle, parlait aux étoiles en leur faisant son numéro de charme. Il n'avait plus quelles qui ne le rembarrait pas. Jusqu'à ce que la nuit pose son voile sur la ville, il communiquait avec le ciel.
Au petit matin, les yeux encore embués par les nuits pleureuses qui le chahutaient depuis le décès de sa regrettée Ingrid, depuis l'amputation de ses enfants, il plongeait dans les deux trois fripes pas si miteuses qu'il possédait encore. Il se voulait présentable pour aller gagner son quignon pain journalier. Pensant aux fois où il n'empochait rien il stoppait son geste, gardant son pull vert émeraude sur les coudes puis se fichait une claque mentale et finissait de se vêtir.
Quai B, jamais le A, celui qui donnait directement sur le bâtiment de la gare, les gens le piétinaient, pressés par la vie qui oppresse et le temps qui manque. Pas non plus le Quai C, trop loin et les passagers n'avaient pas le même égard auprès de lui. Le Quai B c'était son domaine à lui, celui où tous ces inconnus étaient ses habitués, peut-être un peu ses amis de fortune.
Jusqu'à son dernier souffle le soir il sera retourné dans ces chambres qui devenaient un peu sa maison. Ainsi était la vie de Dominique! Cet homme qu'on appelait «Le Magnifique». De son vivant on le cherchait de l'oeil, on le sollicitait. il était devenu une habitude pour les voyageurs du Quai B. De son vivant…
Dominique est décédé un jour de décembre gelé. Un jeudi de trop à ne pas être soigné. Il finit son existence loin de ceux qui le trouvaient magnétique. Personne n'a jamais demandé qu'était devenu Dominique.
Très émouvant
· Il y a presque 9 ans ·dreamcatcher
Merci!
· Il y a presque 9 ans ·Tophe Harper
Très beau texte qui rend hommage à ceux que l'on voit mais que l'on n'aide pas. Jusqu'à ce moment si fatidique qui rappel aux aveuglés et pressés de la vie que les Dominique existent.
· Il y a presque 9 ans ·Pauline Bo
Un grand merci pour vos lecture et commentaire. Je trouve important de traiter de certains sujets de sociétés pour raviver les mémoires et les consciences.
· Il y a presque 9 ans ·Tophe Harper