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Je me retrouve là, il y a encore quelques heures, j'étais chez moi, à me demander si je devais ou non ressentir quelque chose. Et me voilà à l'autre bout de la France maintenant, en me rendant compte que j'avais besoin de lui dire adieu

Je jongle entre fous rires et crises de larmes. À l'intérieur, quelque chose se passe, une prise de conscience peut être ou une évidence.

Il n'était jamais là, il ne l'a jamais été, et pourtant je ressens devant ce cercueil un vide profond. Je ne l'imagine pas dans cette boite, qui me semble tellement petite, je me souviens de lui si grand, si fort... Pour moi je me trouvais devant une erreur. Je savais que son corps était coincé là-dedans, ses beaux yeux rieurs que l'on n'avait pas pu lui fermer, comme s'il refusait la mort, comme s'il redoutait ses explications qu'il devrait peut-être fournir au Tout-Puissant... existait-il d'ailleurs, ce Dieu

J'écoutais sans grande conviction le diacre qui nous sortait la totale en cérémonie religieuse, les chants et les cantiques. Je m'arrête sur certaines de ses phrases, "un homme qui aimait sa famille", "d'amour et de pardons",  "le seigneur n'est que pardon", ce mot "pardon" m'écorche la peau, et j'ai presque envie de rire alors que je suis au premier rang comme la bonne fille que je suis.

Son amour, il est parti avec lorsque j'étais toute petite et je n'en ai plus jamais entendu parler. Jusqu'à la fin il aura échappé à ses responsabilités, à ses devoirs, car je suis là en grande partie pour payer... payer son cercueil, sa cérémonie et sa crémation, il n'avait évidement rien calculé, rien préparé pour soulager ses enfants. Quelle importance après tout, il s'était laissé vivre sans jamais s'inquiéter de ce que les autres et en particulier ses filles pouvaient bien ressentir.

Je suis au premier rang, et je sens sur moi les regards insistants, les murmures. J'aperçois pour la première fois ses amis, pour la plupart des copains de bar. Évidemment ils savent qui je suis, ce serait étonnant qu'ils l'ignorent, je lui ressemble tellement. J'ai appris par la suite que j'étais son portrait craché, j'avais presque oublié son visage, ma sœur qui de son côté est la carte d'identité de ma mère, je suis quant à moi celle de cet homme. Les petites phrases qui fusent "si on ne me l'avait pas dit, j'aurais su que c'était sa fille, elle lui ressemble tellement", oh, mais c'est la fille de..., qu'est ce qu'elle lui ressemble", "oui elle venait moins souvent que la grande, mais c'est sa tête" et c'est vrai, lorsque j'ai vu son visage dans la rubrique nécrologique, j'ai eu un tel choc, son regard un peu triste, comme s'il était ailleurs, j'avais l'impression de me voir dans un miroir, c'était presque effrayant. Alors j'avais droit à ça, des regards constants. C'était une situation plutôt cocasse, j'étais là alors que lui ne l'avait jamais été... Se serait il déplacé pour mon enterrement... Encore une chose que je ne saurais jamais.

Et le diacre qui continu ses simagrées, il n'en finit pas de le glorifier, allant jusqu'à embrasser le scaphandre qui l'emprisonne, en s'appuyant dessus de tout son poids.

Je voyais les roulettes qui maintenaient son cercueil bouger, j'avais cette appréhension, celle de le voir tomber, se briser, le corps décharner tomber à la renverse. Quand allait-il arrêter de se poser sur mon père comme s'il faisait partie de la famille, comme s'il était son ami le plus proche, j'étais jalouse, parce que moi sa fille je n'arrivais pas à le faire, déverser ma tristesse 

Il y a des chants, on chante, je lis plutôt, pour donner l'impression de m'intéresser, alors que mon esprit est parti ailleurs, lorsque j'étais petite et qu'il était là.

Je n'ai pas eu le temps de lui dire ce que j'avais sur le cœur, pour être franche, j'attendais un mot de sa part, j'attendais des excuses, qu'il me dise que je lui avais manqué, qu'il n'avait pas été à la hauteur, mais qu'il ferait tout pour se faire pardonner, même si je savais au fond de moi qu'il ne l'aurait jamais fait. Arrive l'aspersion du cercueil, les amis d'abord, la famille ensuite, j'hésite, je passe finalement à la fin, l'eau bénite dégouline sur le bois, mais je n'y tiens plus, je m'approche du cercueil à hauteur de sa tête, je me penche et je lui dis les mots coincés dans ma gorge, à voix basse pour n'être entendu que par lui, "si tu m'avais donné un signe, j'aurais pu te donner tellement d'amour". Il y a mes larmes qui tachent son cercueil, comme l'impression de souiller sa dernière demeure, il n'aurait pas à le supporter longtemps.

Le moment de la crémation me semble tellement caricaturale, un homme arrive avec sa télécommande, ouvre les rideaux sur une énorme télé, un vrai cinéma, j'attends presque les pop corns, comme s'il allait nous passer le film du siècle, c'est un peu ce que je ressens en fait

Le cercueil est poussé à une vitesse assez impressionnante dans ce four, comme catapulté, à peine quelques secondes, puis il éteint la télé, tout est fini dans une froideur presque grisante, comme si tous mes rêves que je me faisais étaient partis en même temps

Une fois chez moi, j'ai quelque chose de brisé... J'espérais vivre mes rêves dans les siens, mais la réalité était plus maussade, parce qu'il ne rêvait pas de retrouvailles avec ses enfants, il ne rêvait que de lui

 Il était maintenant trop tard pour avoir un père digne de ce nom, je le savais, mais je ne l'acceptais pas