...qui contient des gens pareils.
Salis
Après la sorcière, le Juif, l'immigré, l'homosexuel, le sidéen, le pédophile, l'islamiste, le monde occidental changea de cible. Ce fut le sociopathe. Froid, égoïste, imperméable à toute pitié et enclin à la violence, chacun vit en lui la racine du mal. On se félicita de l'évolution de la compréhension humaine basée sur des faits et non des peurs, et on se réjouit de ce pas nouveau sur le chemin d'une société plus juste.
Cela coïncida avec l'arrivée sur le marché d'un médicament capable de développer l'empathie, voire même de synthétiser un sentiment d'amour universel tout à fait acceptable. Il existait trois dosages différents. Même les cas les moins pathologiques pouvaient en bénéficier.
La chasse commença. Le diagnostic fut rendu obligatoire. Les cabinets des psychiatres ne désemplirent pas. Il y eu une vague de lettres de délation. Les délateurs furent traités.
Les patients étaient extrêmement dociles. Tous, après leur première pilule, furent horrifiés par leur ancienne personnalité et suivaient scrupuleusement leur traitement.
Les résultats furent fulgurants. En moins d'un an, il n'y eut plus de vols, d'agressions, d'actes de cruauté, de viols, de meurtres. Les prisons devinrent des centres de développement personnels. Le racisme disparut des opinions, et les plus virulents homophobes se marièrent avec une personne du même sexe, tous les pays ayant autorisé tous les mariages. Le monde devint si agréable que même les misanthropes sortirent de chez eux. Chacun vivait en bonne intelligence avec son voisin, dans un esprit de tolérance, de soutien et d'entraide mutuelles.
Ce fut très utile lorsque survint le krash boursier. Les banquiers, les traders, les assureurs, les patrons de multinationales ne pouvaient plus exercer sainement leur métier. La pauvreté gagna toutes les couches de la société. Des entreprises indiennes et africaines investirent dans cette main d'œuvre désespérée et bon marché. Les conditions de travail étaient abominables, chacun pleurait de voir sa famille et ses amis être si mal traités, et les grèves se multiplièrent. Les investisseurs fuirent. Les entreprises pharmaceutiques firent faillite. Le traitement ne fut plus produit. Les sociopathes revinrent.
L'économie fut rétablie en deux ans. Nous revenons lentement sur la scène mondiale et nous n'en bougerons plus. Nous avons pris la mesure de notre erreur et nous en avons trouvé la cause : en temps de paix, à défaut d'avoir un ennemi derrière une frontière, notre société se cherche un ennemi en elle-même. Nous cherchons toujours l'intrus. Le sociopathe était un étranger à la Camus. L'immense faiblesse de notre société réside dans notre absence de remise en question, et notre tendance à imputer nos propres fautes à des innocents.
Cela ne sera plus. Nous avons pris conscience que chacun possède quelque chose d'unique à apporter à la société. Nous vous présentons notre nouveau programme : chaque enfant à partir de trois ans sera stimulé, écouté et suivi, son profil psychologique, ses aptitudes intellectuelles et physiques seront détaillées et analysées afin qu'il soit intégré dès douze ans à la place où ses talents pourront s‘épanouir et être exploités. Nous prônons un sain retour au naturel. Nous nous félicitons de l'évolution de la compréhension humaine basée sur des faits et non des peurs, et nous réjouissons de ce pas nouveau sur le chemin d'une société plus juste.