Douceur au clair de lune

J'ai la chance d'avoir grandi dans un environnement familial sain. Très tôt, les codes pour briller en société m'ont été livrés, que j'ai admirablement bien appliqués. Aucune question à me poser, j'ai obtenu sans difficulté : bac, diplôme, travail. Pour parfaire le tableau, j'ai rencontré un merveilleux petit ami, devenu successivement fiancé, puis mari. Un homme adorable, attentionné, cultivé, drôle, et même agréable à admirer, dont j'aime autant les qualités que les défauts.

En somme, c'est une vie parfaite, construite avec beaucoup de soin et d'attention ; une mélodie du bonheur dont je possède la partition, bien rangée, bien réglée.

Et puis, il y a toi... . Caché quelque part, tu attends le moment opportun, pour venir frapper à ma porte. De préférence la nuit, c'est mieux. Personne ne peut nous voir, personne ne peut nous entendre. Personne ne peut savoir...

Je me souviens, la première fois que tu es venu vers moi... j'étais en fin d'adolescence. Intriguée par cette rencontre, j'en ai parlé à mes parents. Fâchés, ils m'ont interdit de te revoir. Comme si j'y pouvais quelque chose... Lorsque tu choisis ta proie, personne ne peut s'y opposer, c'est un fait.

En bonne fille, j'ai tout de même essayé de te rejeter, de fermer les yeux, de t'ignorer. C'était dur. Et ça n'a jamais marché...

Alors on a continué à se fréquenter, mais je n'en ai plus parlé. Tu espaçais tes visites, au début. Je me demandais toujours, dans un coin de ma tête, quand tu allais revenir... et si tu n'allais pas finir par te lasser. Mais tu es toujours revenu. Et quelque part, je crois que tu m'as toujours fascinée.

Plus les années passaient, et plus tu venais me voir souvent. Certains, parfois, se sont doutés de quelque chose... mais je niais, je niais ouvertement, je mentais comme je respirais pour protéger notre petit secret. « Ah bon, tant mieux alors. Tu me rassures... » me répondaient-ils, dans un sourire, soulagés de ne pas voir un seul coin d'ombre dans le beau tableau qui sert de décor à ma vie. Et pourtant, on ne faisait rien de mal.

J'ai appris à vivre au rythme de tes visites, à conjuguer mon quotidien avec tes caprices. Aujourd'hui, je suis même capable de sentir à l'avance quand tu vas venir frapper, tout doucement, à la porte de ma chambre conjugale... Je sais que tu viendras ce soir, quand mon mari sera profondément endormi, après qu'il aura joui. J'aurai ma nuisette de satin, celle dont la caresse est aussi douce que lorsque tu m'enlaces dans la fraîcheur de la nuit. Quoi de plus agréable, comme prélude au moment où tu me soustrairas des bras de Morphée ?

Comme d'habitude, dans un léger souffle que je serai la seule à percevoir, je me réveillerai. Je vérifierai qu'il dort bien, enveloppé de son léger ronflement chaud et régulier. J'inspirerai pleinement l'air frais de la nuit en observant le rayon que la lune tracera depuis la fenêtre. Et je m'éclipserai tout doucement du lit, pour te rejoindre.

Alors, toi et moi, on ira fumer une cigarette ensemble, comme au bon vieux temps... Douce insomnie.