Perdue

flezicra

Ce lundi matin, 8h13, mon sac est enfin prêt. Papa nous demande de monter dans sa vielle Twingo noire. J’aime bien prendre cette voiture plutôt que le gros 4X4 car dans celle-ci, je suis assez grande pour monter devant. Et puis quand il fait beau, papa déplie le toit ouvrant et je vois défiler au dessus de ma tête les branches des arbres qui balisent la route de l’école. C’est la dernière fois que je monte devant. Mon frère Clément et ma petite sœur Chloé sont à l’arrière, nous sommes au complet…

Papa démarre la voiture, dans trois minutes, la liberté.

Je regarde la maison s’éloigner dans le rétroviseur. Sans regret je quitte cette tragédie qui s’est abattue sur notre famille ces derniers jours et ces nuits passées à entendre les chats de nos voisins s’affronter et miauler comme des enfants qui pleurent.

Comme tous les matins, papa porte Chloé à son cou et accompagne Clément à la maternelle. Il me laisse devant la grille de l’école pour attendre que la directrice ouvre et nous laisse entrer. D’autres parents sont déjà là. Ils me regardent du coin de l’œil. Je sais qu’ils savent. Ils me plaignent et prennent un air désolé. A huit ans, on n’est plus tout à fait naïve. Tant de compassion m’agace. Oui elle me manque.

A 8h18 précise, papa m’embrasse sur le front. Il me souhaite une bonne journée, me dit de bien travailler à l’école et s’en va. Bizarre, habituellement, il conclut toujours notre séparation par « A ce soir ». Ce matin, rien. Il doit avoir l’esprit ailleurs. J’espère qu’il ne se doute de rien.

Je le vois s’éloigner doucement avec ses deux enfants devenus des fardeaux trop lourds pour lui seul. Je n’ai que peu de temps. Je dois faire vite.

Ca fait deux semaines que je prépare ma disparition. J’ai secrètement entassé de la nourriture dans ma chambre, des bonbons, quelques gâteaux et une bouteille d’eau. J’ai pris une petite bouteille comme celle que j’utilise pour mon cours de danse les mercredis. Elle n’est pas trop lourde et elle se cache bien au fond de mon cartable avec le reste. J’ai aussi pris mon petit sac à main avec des fleurs dessinées dessus. C’est un souvenir de maman. Elle me l’avait offert l’an dernier parce que j’avais bien travaillé à l’école. J’ai placé dedans cinquante quatre euros et vingt huit centimes. C’est la somme que j’avais dans ma tirelire et que j’emporte avec moi dans ma fuite.

Ces derniers jours, j’ai pris l’habitude de porter ma montre rose. Je sais à la minute près à quel moment la directrice viendra ouvrir la grille de l’école. Je sais aussi combien de temps il faut à papa pour se rendre à la maternelle et revenir à sa voiture garée un peu plus bas. J’ai donc deux minutes au maximum pour disparaître. 8h19. C’est parti.

Je repars calmement vers notre voiture. Elle est garée non loin de l’arrêt de bus. Je sais que je dois prendre le bus 504 qui pourra m’emmener vers la gare de train la plus proche. Je croise quelques copines qui se rendent à l’école. Elles me disent bonjour, je souris et réponds du mieux que je peux. De toute façon, depuis un mois et la mort de maman, je ne peux compter que sur moi-même. Papa n’a plus assez de temps pour s’occuper de moi.

Mon cœur s’accélère. Mon pas se fait plus pressé. J’aperçois au loin la nounou de ma petite sœur. Comme elle habite tout près d’ici, elle vient à pied à l’école avec Flocon, son chien tout blanc. C’est un peu la mascotte des petits. Elle vient chercher Chloé qui se trouve encore certainement dans les bras de mon père qui retourne vers l’entrée de l’école.

Elle se rapproche. Elle me voit au loin et comme je suis seule, je suis certaine qu’elle va me poser une question. Je dois trouver une idée, une réponse. Quelque chose à lui dire. Quelque chose de crédible. Pas n’importe quoi. Quelque chose qui tienne la route et qui lui évite de porter trop vite des soupçons sur ma fuite. Je sais qu’elle va retrouver mon père quelques secondes après. Je dois donc gagner du temps.

« - Bonjour Romane.
-          Bonjour.
-          Tu es perdue ?
Aie, aie, aie, la question que je redoutais..
-          Non, non. Je retourne à la voiture.
-          Ah bon ?
-          Oui, j’ai oublié mon sac de sport dans le coffre. Papa m’a dit que la voiture est ouverte.

-          Tête de linotte, tu sais ce qu’on dit, quand on n’a pas de tête, il faut avoir des jambes !
-          Oui, oui. A bientôt
-          A bientôt Romane »

Je continue ma route sans me retourner. Je marche plus vite et j’évite de me retourner. Une chance, la voiture de papa est stationnée sur le même trottoir. Je n’ai pas à traverser la rue. Il y a beaucoup de circulation et je ne suis pas habituée. L’arrêt du bus n’est plus très loin.  Il me reste cinquante mètres à faire et je le vois arriver derrière moi. Comme tous les matins, il a des difficultés à se frayer un chemin à travers les voitures alignées de chaque coté de la rue. J’accélère le pas. Je ne veux pas que papa me voit monter dans le bus en retournant à sa voiture. En plus, le chauffeur ne doit pas sentir que je fuis. Les parents qui accompagnent les enfants à l’école se font plus rares maintenant. La plupart sont ceux qui n’ont pas de voiture et qui prennent le bus pour se rendre à la gare. Je dois monter la première et me faire discrète.

Le bus arrive enfin. Je me place derrière les deux personnes qui montent. Je ne sais pas combien coûte un billet et je n’ai pas l’habitude de payer. Je me fais toute petite, je grimpe les trois marches et pendant que les voyageurs paient et discutent avec le conducteur, je vais rapidement m’asseoir au fond du bus, sans un bruit.

Les portes se referment. Le bus reprend son chemin. Je grimpe sur le siège pour me mettre à genoux. A travers la vitre, je vois papa arriver au bout du trottoir. Il pleure encore. Il a des larmes qui coulent le long de ses joues rebondies. Je le vois monter dans sa voiture. Il ne regarde pas le bus qui s’éloigne et m’emmène loin de lui. Il est 8h25.

SYNOPSIS :

Romane, une petite fille de 8 ans prend la fuite suite au décès de sa mère. Elle a tout prévu pour que rien ne transparaisse et que sa disparition soit facilitée.

Ce qu’elle ne sait pas, c’est que le jour même de sa fuite, son père a décidé de faire de même et d’abandonner ses enfants. Ce sont ses parents qui élèveront ses enfants car il n’en a plus la force...

Le livre alternera ainsi un chapitre de l’enfant et un chapitre de l’adulte jusqu’à ce que les deux protagonistes se retrouvent.

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