Ebloui par la nuit

theghostwriter

*** Texte ***

Des impatiences, des crampes, mon cœur qui bat. Je ne tiens plus en place. Impossible de me calmer. Je frappe le sol de mes talons depuis le début du concert.

Je dois le faire, maintenant. Je suis comme hors de mon corps, au ralenti. Je me redresse, je suis en sueur, mes jambes me soutiennent à peine. Des chuchotements outrés me parviennent de tous côtés. Peut-être des cris, je suis comme sourd, je n’entends qu’un bourdonnement lointain. Le premier violon attaque le solo du printemps, mon cœur accélère, j’ai l’impression que mes côtes se fendillent et transpercent mon thorax.

Ma femme me regarde, interloquée, elle articule en silence : « Qu’est-ce que tu fous ». Je suis moite. Vite, fuir cet endroit avant de changer d’avis, avant de m’affaiblir, quitter ces gens, respirer de pleines bouffées d’air frais, être libre. Mes beaux-parents me fixent avec stupeur, encore un peu plus déçus qu’à l’accoutumée. Pas par moi, ils savent que je ne viens pas de leur milieu. Non, c’est le choix de leur fille qui les atterre un peu plus chaque jour.

« Pardon, excusez-moi, je suis désolé ». Je sors du rang, je quitte la salle, mes pieds foulent le sol du parvis de la Madeleine, j’inspire à pleins poumons, je suis libre.

Les bruits de la ville parviennent jusqu’à mon cerveau. Je sors du coma. L’odeur acre de la pluie ruisselant sur le bitume me donne un haut-le-cœur. Je suis en vie, pour la première fois depuis longtemps.

Je cours, comme si ma liberté retrouvée en dépendait. Je suis déjà devant l’Opéra. On ne me retrouvera plus maintenant. La ville m’a reconnu, elle me guide, m’appelle, chuchote à mon oreille, tourne ici, marche plus vite, hâte-toi, fuis, ne te retourne pas. Elle m’avale. Je me noie dans le flot des passants. J’aperçois une bouche de métro. J’accélère le pas. J’ai envie de m’engouffrer plus profondément en elle, dans ses boyaux, de m’y perdre un peu plus.

Il fait chaud et ca sent le chien mouillé. J’ai l’impression d’être dans les artères de la capitale.

Je remarque un groupe de jeunes, des punks probablement. Je les suis. Je suis intrigué par leur look, leurs manières, attiré par leur liberté. Une des filles est particulièrement jolie. Mes yeux s’attardent sur elle alors que nous attendons la rame. Elle porte un tee-shirt, déchiré juste au dessous de ses petits seins, elle n’a probablement pas de soutien-gorge. J’aime voir son ventre nu, elle est assez mince, mais son petit bidon est très sexy. J’aperçois un piercing à son nombril. Ses collants, rayés de blanc et de noir lui arrivent à mi-cuisse, et elle porte une jupe si courte qu’elle laisse apparaitre le bas de ses fesses quand elle se pend au cou de ses amis. Elle m’excite. J’imagine mes mains caressant la bande de chair dévoilée en haut de ses jambes. Avec ses cheveux roses, elle me fait penser à de la barbe à papa, ou à un bonbon acidulé. J’ai envie de la laisser fondre sur ma langue. Je me demande si elle porte une culotte, comment est sa chatte. Je pense à ma bouche qui goute son corps, jeune et ferme. Elle m’a vu, me jette un coup d’œil de temps à autre, je tente un sourire, elle me retourne son majeur tendu.

Le wagon arrive, je prends place en face du petit groupe. Elle est assise non loin de moi. Je n’arrive pas à en détacher mes yeux. Je suis dans son champ de vision. Elle embrasse sa voisine. Son voisin lui tripote les seins à travers son tee-shirt. Son amie lui glisse une main entre les jambes. Je sens un regard lourd se poser sur moi. C’est elle qui me fixe. Ses yeux sont d’un bleu extrêmement clair, et lui donnent un air sévère et inquisiteur. Brusquement son visage change, elle devient provocatrice. Elle me sourit, passe la langue sur ses lèvres, écarte largement les cuisses, et remonte légèrement sa jupe. Je n’ai plus aucun doute sur le fait qu’elle ne porte aucun sous-vêtement. Ses yeux sont toujours plongés dans les miens, par bravade. Je vais exploser.

Le métro s’arrête station Oberkampf, le groupe de punks se lève et sort. Si elle se retourne, je les suis. Putain, retourne-toi. S’il te plait, retourne-toi ! Jette au moins un œil par-dessus ton épaule. Je m’approche de la porte, j’attends.

Au moment où les portes se referment, elle se retourne enfin, et soulève son tee-shirt, passant sa langue entre son majeur et son index. Je bloque la porte avec le pied, et me précipite sur le quai. Elle rit. Ils se mettent à courir, je les suis à distance. Elle vérifie régulièrement que je ne suis pas à la traine. Oublié ma femme, le concert, mes cons de beaux-parents.

Retour à la surface. La pluie s’est arrêtée. La bande rentre dans un pub, je m’y engouffre aussi. Vu la cohue, l’endroit doit être à la mode.

Une fois à l’intérieur je me sens mal. Mon cœur se remet à me défoncer la poitrine, je serre les poings nerveusement. Trop de monde, trop de jeunes, je ne suis pas à ma place. Je m’installe au comptoir, tente de retrouver un peu de contenance. Un whisky me fera du bien. Au deuxième, tout va mieux. Finalement un troisième ne sera pas de trop. La tête me tourne, mais mon cerveau est enfin calme.

Ma petite punkette embrasse à pleine bouche un gars sur lequel elle s’est vautrée à califourchon. J’aimerai être à sa place, mettre mes mains sous sa jupe, caresser ses fesses, lécher ses lèvres. Je suis jaloux, mais pas d’eux en particulier. J’ai juste l’impression que le monde entier est libre et me nargue. Je suis à nouveau oppressé. Je suis trop vieux pour refaire mon adolescence. Je ne suis plus à ma place ici. Je traverse la foule compacte pour retourner dans la rue. Au moment où je franchis le pas de la porte, un gars me propose quelque chose pour « m’éclater un peu ». Bof, pourquoi pas. Il me demande de le suivre dans les chiottes des mecs. La transaction est rapide, me voilà délesté de cent euros, la poche remplit d’un petit sachet. Il me demande si je sais comment faire. Pas de soucis, je lui dis. Au moment où je prononce ces mots, la punkette apparait. Elle me prend par la main, m’attire dans les toilettes, et tourne le verrou.

*** Synopsis ***

Le narrateur est de retour à Paris pour les fêtes de noël. Lui, sa femme, et sa belle famille sont à l’église de la Madeleine pour assister à un concert de musique classique. Il quitte sa place, pris d’une subite crise de panique.

Il déambule en ville, se réveille petit à petit. Il plonge dans le métro et, attiré par une jeune punk, il se retrouve dans un bar avec elle. Il boit trop, elle l’excite. Il finit par acheter de la coke à un dealer qu’il sniffe avec la jeune fille, dans les toilettes. Il l’embrasse et couche avec. Il discute un peu au bar, compare leur préoccupation, lui demande s’il peut la revoir, elle rit et se moque de lui. Il retourne aux toilettes, s’isole un moment. Quand il revient, la fille est déjà avec un autre mec. Il comprend qu’il n’est pas à sa place ici non plus.

Il reprend un peu de drogue à un dealer dans la rue, reprend sa fuite par le métro et s’endort. Il se réveille en sursaut, c’est le matin. Il a une dizaine de messages et de texto de sa femme en colère, et inquiète. Elle lui demande s’ils peuvent parler de tout ce qui leur arrive. On comprend à demi-mot qu’il a découvert que sa femme l’a probablement trompé, il y a une dizaine d’année, avec son frère qu’il déteste et avec qui il n’a que de très rares contacts.

Il répond par un texto : m’en aurais-tu parlé ? Est-il de moi ?

Il réalise qu’il est assez proche de chez son père. Il ne lui a plus jamais parlé depuis son adolescence. Il repense à son enfance. Il a très peu parlé de sa jeunesse à sa femme. Son père est sur le point de mourir. Il est très diminué par son cancer, il est sous respirateur. Son père lui propose de petit-déjeuner avec lui. Il demande à son père pourquoi il ne l’a jamais aimé, il lui reproche le suicide de sa mère et d’être un alcoolique. Son père lui dit que sa mère s’est tuée pour un autre homme, et qu’il n’est peut-être pas son fils.

Ils finissent par s’engueuler. Pendant que son père est aux toilettes, il pique une bouteille de whisky, et décide de partir. Il se rend chez son frère, pour lui casser la gueule. Il arrive saoul. Au moment où la porte s’ouvre, il voit que son frère à lui-même un jeune enfant, et une famille. Ils descendent prendre un café ensemble. Il lui reproche d’avoir couché avec sa femme, et lui demande pourquoi il la voulu le salir. Son frère répond que c’était par jalousie car leurs parents ne voyaient que par lui. Il lui avoue que leur mère ne s’est pas suicidée, qu’elle est morte dans un accident de voiture avec son amant. Il finit par lui dire qu’ils ne sont pour rien dans tout ca, qu’ils doivent se laisser vivre, que c’est la vie qui les a rendu sales, qu’il est désolé d’avoir couché avec sa femme, qu’à l’époque il se droguait. Ils se quittent assez calmement.

Il est bizarrement serein. Il pense au suicide, ne voit pas comment il pourrait s’en sortir, comment retrouver une vie normale, que finalement tout le monde serait plus heureux sans lui. Il marche dans la rue. Il tombe sur un groupe de clochards, et se met à discuter avec eux. Il est bientôt midi, il les invite à déjeuner dans un restaurant. Ils rient beaucoup, comparent leurs vies respectives. Il reprend goût à la vie.

Au moment où ils sortent du restaurant, une voiture explose (tout au long du récit, des allusions seront faites sur de possibles menaces terroristes contre la France).

Il est sauvé car les clochards sont passés devant lui pour sortir et les malheureux lui ont servis de boucliers.

Il se réveille à l’hôpital où sa femme et son fils sont à des côtés.

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