Quel cinéma !

tromatojuice

--- texte présenté au concours "Point de Fuite" ---

DEBUT DU LIVRE

Mais qu'est-ce que je fous encore dans une merde pareille ? Toute ma vie j'ai eu le chic pour me fourrer dans des situations pas possibles. Des sacs de nœuds inextricables. Au bout d'un moment, on pourrait croire que l'on va s'habituer.

Que dalle !

A dire vrai, à chaque nouvelle tentative, on se surprend à dépasser ses capacités à s'y mettre jusqu'au cou. Et cette fois, je dois avouer que c'est tellement tordu, que j'en serais presque fier. Sauf qu'au final, je vais crever sans gloire, dans cet endroit immonde. L'odeur d'urine et de pourriture est tellement forte que quand j'ai repris connaissance, j'ai vomi tout ce que j'avais dans le ventre. C'était pas grand chose, vu que je n'avais rien mangé depuis presque trois jours, mais ce n'en est pas plus agréable !

OUVERTURE

Pour vous dresser le tableau, je suis actuellement enchaîné à un pilier d'un vieil immeuble à l'abandon. Dehors, une tempête se prépare. Les vieux volets en bois qui ont survécu jusque-là, battent à s'en briser contre les murs. Tout le bâtiment grince, craque et gémi. Par moment, un mélange de plâtre et de poussière tombe du plafond. Quand la tempête déchaînera toute sa puissance, je serai enseveli sous des tonnes de gravas. Il n'y aura personne pour pleurer ma mort, croyez-moi ! Quant aux pompiers qui retrouveront mon cadavre, ils enverront mon corps à la morgue, où je serai déclaré « mort victime d'un règlement de compte ».

Vu les signes étranges dessinés au couteau sur mon torse, j'ai dû servir de toile à un gang d'excités du canif. Ou alors j'ai participé à une messe noire. En vérité, tout cela est sans importance, Bloods ou satanistes, un, ils ne savent pas dessiner et deux, ils ont des goûts de chiotte. Sérieusement, faut vraiment pas être en pleine possession de ses moyens pour graver des trucs aussi moches sur le premier venu.

Ça, c'est l'histoire de ma vie : j'ai toujours été ce premier venu. Enfin, plus maintenant, mais je ne regrette rien. Si c'était à refaire, je referais tout ! Et si je peux me permettre : que le dénouement malheureux de cette histoire ne vous rebute pas, si vous avez la moindre envie de fuir alors fuyez !

Au fait, moi c'est Thomas. Si vous croisez le fossoyeur, dites-lui que sur le marbre je veux une citation de Bukowski ou de Philip K. Dick. Et des fleurs. Mais pas ces horribles choses en plastique ; j'en veux des vraies, des qui fanent, flétrissent et meurent. Pour votre peine, je vais vous raconter mon aventure depuis son début... ou presque.

FONDU AU NOIR

A l'arrière du vieux taxi à la peinture terne et l'aile avant droite cabossée, c'est moi. J'ai le teint pâle et une belle paire de cernes. Avec la lueur blanchâtre des lampadaires qui m'éclaire le visage par intermittence, je ressemble à Bela Lugosi. Sauf que je n'ai ni canines, ni accent hongrois ; juste une tête de déterré fraîchement débarqué de sa Transylvanie natale.

Avec la tronche que je me paye, j'aurais bien besoin de changer d'air. Mon boss m'a dit « vous avez l'air fatigué Thomas » avant de me jeter un regard suspicieux quand je lui ai demandé de partir à 19h. Ma copine m'a dit « tu ferais mieux de te coucher plus tôt, Thomas » avant qu'on fasse l'amour et qu'on éteigne la lumière à 1h45. Mon conseiller financier m'a dit « vous devriez faire attention à vos dépenses » avant d'essayer de me vendre une assurance vie.

Alors j'ai sauté dans le premier taxi et j'ai dit « à l'aéroport ». Le vieux chauffeur africain m'a regardé un instant dans le rétroviseur. Il a hoché la tête en marmonnant quelque chose, puis il a tchipé et la voiture a démarré.

Sur le périphérique, je me suis dit « le changement, c'est maintenant ».

CUT

A l'aéroport, j'ai foncé au premier guichet de compagnie low-cost que j'ai trouvé.

- un billet pour le prochain avion en partance pour ailleurs, j'ai demandé à la guichetière.

Elle m'a regardé d'un drôle d'air. C'était une jolie blonde, plutôt jeune. Il était écrit « Nathalie » sur un bout de plastique épinglé sur son sein gauche. Après quelques instants passés à me dévisager, elle a dû décider que je ne représentais aucun danger immédiat pour sa personne et s'est penchée sur son écran d'ordinateur. Ses doigts ont pianoté agilement sur les touches de son clavier.

- J'ai un direct pour Londres qui part dans... elle regarde sa montre. Cinquante minutes. Si vous n'avez pas de bagage à enregistrez, vous pouvez encore l'avoir.

C'est comme ça que je me suis envolé pour Londres. Pourquoi Londres ? Moi-même, je ne sais pas très bien. Ça m'avait l'air pas trop dangereux, pas trop loin, presque familier. La destination idéale pour commencer ma crise de la trentaine. Comme je n'ai jamais rien pu faire comme tout le monde, j'ai pris un peu d'avance sur celle de la quarantaine.

- Monsieur, vous voulez boire quelque chose ?

L’hôtesse qui m'a arrachée à mes pensées, me regarde en souriant. C'est une belle et grande blonde d'une quarantaine d'année. L'uniforme de la compagnie aérienne lui colle au corps d'une très belle façon. D'après son badge elle s'appelle Elisa.

- Un whisky coca s'il-vous-plait...

Elle ouvre un tiroir de son chariot, et en sort une canette de coca et une mignonnette de whisky.

- Autre chose ?

Je la regarde droit dans les yeux en imaginant prononcer une invitation coquine, mais rien ne sort. Ses yeux semblent m'encourager. Peut-être qu'elle n'attend que quelques mots pour me donner l'adresse de son hôtel... ou peut-être même m'entrainer aux toilettes. D'un autre côté, peut-être que je suis le dixième lourdaud à lui faire des avances, et qu'elle n'a qu'une envie, c'est qu'on la laisse faire son boulot.

- Non ça ira, merci.

Je ne sais pas si elle a eu l'air un peu déçu, ou si mon imagination m’a joué des tours, mais elle est repartie en poussant son chariot jusqu'à la rangé suivante.

L'alcool m'est monté à la tête et j'ai fini le voyage comme dans un rêve. J'ai repris mes esprits en émergeant du métro londonien, le tube.

SYNOPSIS

Thomas n'est ni vieux, ni jeune. Il n'est ni brillant, ni idiot ; ni riche, ni pauvre. En bref, Thomas est médiocre. Ni plus. Ni moins. Admirable de banalité, c’est le monsieur tout le monde par excellence : la seule chose qu’il inspire à son prochain, c’est l’indifférence.

Pour l’heure, Thomas n’est recherché pour aucun crime, et l'humanité supporte encore sa présence : il traverse sa vie et celle des autres, sans faire de remous. Avant qu’il ne casse sa pipe, son grand-père lui disait souvent : « t'es comme un pet sur une toile cirée, tu pars sans qu'on s'y attende mais tu vas pas plus loin que le bout de la table ». Dénué de tout esprit d’aventure, prendre une décision aussi simple que « frite ou salade » est déjà pour lui une épreuve.

Comme il en avait marre de n'être qu'un anonyme, Thomas a décidé de devenir quelqu'un d'autre. Selon toute vraisemblabilité, il sera toujours personne, mais un autre personne. Alors il a pris ses clics, ses clacs, et le large.

Malgré sa volonté de remettre les compteurs à zéro, il y a bien deux ou trois petites habitudes dont Thomas aura du mal à se débarrasser : son obsession pour les fortes poitrines, une haine farouche envers les « cons » qui peuplent cette terre, ainsi qu'une légère propension à l'hypocondrie. A cela s’ajoute une passion dévorante pour le septième art, mais jusqu’alors, aller au cinéma n’a jamais fait de mal à personne.

Première escale : Londres. Il se promène dans la ville, va beaucoup au cinéma et tente de trouver une nouvelle vie, paisible et enrichissante. L'atmosphère brumeuse de la capitale d'Angleterre semble lui remettre les idées en place. Tout se passe pour le mieux, jusqu'à ce que, lors d'un dîner dans un restaurant indien, le vieux cuisinier vienne le voir pour discuter. La rencontre change profondément la perception que Thomas a de la vie. Les sages conseils prodigués par le vieil homme, résonnent avec violence dans son cœur et son crâne : Thomas se sent gagné d'une nouvelle énergie avec laquelle il va enfin pouvoir affronter la vie, la vraie.

Petit coup de canif dans le contrat, alors qu'il croque sa nouvelle vie à pleines dents, il lui semble que les cons se multiplient. Alors pour ne pas les laisser porter atteinte à son bonheur tout neuf, Thomas va continuer sa fuite en avant. Tel un rouleau compresseur lancé à pleine vitesse dans un magasin de porcelaine, plus rien ne semble l'arrêter. Il ne veut plus qu'une chose : profiter de chaque instant. Et pour cela, il faut savoir faire des choix. Se mettre des pans entiers de la population mondiale à dos ? Devenir l'homme le plus cynique de tous les temps ? Se comporter comme le pire des goujats ? Même pas peur ! Un ongle incarné ? Un point de côté ? Direction l’hôpital.

Accusé d’avoir fomenté une révolte contre la famille royale, aidé d’un groupuscule de retraités tiré d’une maison de retraite chic de Nothing Hill, Thomas est contraint de fuir le pays. Par souci d’économie, il se rend en Irlande. Là, il s’éprend d’une sublime rousse, qui se révèle être la fille d’un ancien membre de l’IRA reconverti en catholique intégriste. Persuadé que Thomas est l’antéchrist en personne, il lance une croisade contre lui.

Décidé à changer d’air pour de bon, et porté par un optimiste qu’il ne se connaissait pas, Thomas s’envole pour les Etats-Unis…

A la recherche de lui-même, Thomas, affublé de sa myriade de contradictions, va tenter de survivre à la vie. Pas de chance, elle court plus vite que lui !

Quand la vie rattrape Thomas, elle le jette entre les mains d'un gang d'individus qui semblent tenir à le sacrifier à tout prix.

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