Survivre
sam239
Concours Points de fuite 2012/2013
Texte :
Fuir. C'est la dernière solution.
Redevenir un semblant de ce que j'étais, oublier cette vie répétitive, triste, inutile, sans but. Partir loin. C'est lâche et égoïste, mais je n'ai plus la force de faire face. Alors, cramponné au volant de ma voiture, je roule, et roule encore.
Le paysage défile, grandiose et verdoyant. Les montagnes se dressent au loin, majestueuses, masquant en partie la vue d'un ciel éclatant qui s'étend à perte de vue au-dessus d'une forêt aux couleurs si vives qu'elle en semble presque surnaturelle.
Mais même toute la majesté de ce lieu me laisse indifférent, désormais. Mes yeux ne voient plus que la route, interminable, chaque kilomètre me séparant un peu plus de mon ancienne vie. Mais ce n'est jamais assez.
Leurs rires moqueurs résonnent dans ma tête, toujours plus forts, sans s'arrêter. Leur façon de me toiser, de me parler comme si je n'étais rien me hante, peu importe la distance que je laisse entre eux et moi qui augmente pourtant à chaque seconde.
Mes mains tremblent sur le volant. Ma tête est sur le point d'exploser, menaçant à chaque instant de me faire perdre le contrôle.
Je ne réfléchis plus et je m'arrête sur le bas-côté. La nationale est déserte, mais je ne veux pas prendre le risque de conduire dans un tel état.
J'ouvre la portière, sors de la voiture et tombe à genoux dans la terre humide, inspirant et expirant l'air pur de la montagne qui me traverse de part en part.
Je regarde autour de moi, contemplant ce paysage étranger et vide dans lequel je me trouve.
Sa beauté m'écrase, moi, pauvre être qui n'a pas su faire face à ce qui se présentait à lui et qui se retrouve maintenant perdu dans un monde inconnu, battu par cet enfer qu'est la vie en pensant qu'il n'avait besoin de personne pour s'en sortir.
Quel idiot !
Avais-je réellement besoin de parcourir plusieurs centaines de kilomètres et rouler deux jours entiers pour réaliser que je venais de faire une énorme erreur ? Tous ces gens qui faisaient mon quotidien, toutes ces choses que je croyais acquises pour toujours m'ont filé entre les doigts et je n'ai rien fait pour les en empêcher.
Le feuillage dense des arbres ondule doucement sous la brise fraîche qui me caresse la peau. Mes ongles s'enfoncent dans la terre et mes yeux se ferment, refusant de voir une seconde de plus à quel point cet endroit est magnifique. Les montagnes sont là, immuables, me dominant de toute leur hauteur, indifférentes à ma souffrance.
J'espérais que vivre loin de tout me sauverait. Mais pour vivre quelque part, il faut déjà savoir où s'arrêter.
Hors, je ne sais même pas où je suis. Je pourrais rester là une éternité sans bouger, sans penser. Mais leur souvenir me hante, me faisant mesurer un peu plus à chaque instant ce que j'ai perdu.
Tout est ma faute... les rires continuent, mêlés à des hurlements qui se déchaînent dans mon crâne. Des voix s'entremêlent, toujours les mêmes : ma fille, ma femme, mes collègues, et tous les gens que j'ai bien pu rencontrer durant ma vie ayant un minimum compté pour moi.
Je deviens fou. Le vacarme est si puissant que je n'entends plus rien d'autre. Il vibre dans tout mon corps en même temps qu'un flot de souvenirs me revient en mémoire.
Soudain, je sursaute. Un grondement lontain m'annonce l'arrivée d'une voiture.
Les cris se sont tus. Je me reprends immédiatement, infiniment soulagé de ne plus entendre rien d'autre que le souffle du vent. Si l'automobiliste me voit ainsi, il risque de s'arrêter, de me prendre pour un fou et de m'emmener à l'hôpital ou dans je ne sais quel autre lieu où, je le sais, je resterai enfermé jusqu'à ma guérison.
Je me relève, donne quelques coups sur la toile de mon jean pour en retirer la poussière et remonte dans mon véhicule en quelques secondes. Oubliant ma ceinture et me souciant à peine plus de fermer la portière, j'enfonce les clés dans le contact et démarre.
L'automobile que j'entendais apparaît en grondant et disparaît aussi sec, le grésillement de son moteur s'attardant un instant dans l'air, de plus en plus lointain. Puis tout redevient silencieux.
Je me dégage de la chaussée en manoeuvrant et me relance à l'assaut de la nationale, fiévreux. La tête me tourne, et la folie me menace.
Est-ce donc cela, fuir ? Être trop faible pour faire face et s'en aller avant de perdre totalement la raison ? Je réalise maintenant que si fuir se résume à être faible, alors j'ai fuis toute ma vie. Et que lorsqu'on est fou, peu importe le nombre de kilomètres qu'on peut bien parcourir, on le reste pour toujours. Notre acte nous poursuit, nous rattrape, nous consume, car pour peu que j'en sache, on paie toujours pour le mal que l'on inflige aux autres. Compte tenu de tout le mal que j'ai pu faire autour de moi depuis ma naissance, je devrais être mort depuis longtemps.
Mais en attendant, je continue à rouler.
Je remarque en levant les yeux que le paysage s'est assombri : d'épais nuages noirs s'ammoncellent dans le ciel pourtant si bleu il y a quelques minutes à peine. En redirigeant mon regard vers la route, j'aperçois les phares éblouissants d'un camion qui arrive par la voie d'en face. Je tiens ma chance.
J'appuie sur le bouton afin de retirer ma ceinture, en me souvenant que je n'ai pas pris le temps de la mettre en montant tout à l'heure. Les mains serrées sur le volant, le pied frôlant la pédale d'accélération, je regarde le poids lourd se diriger lentement vers moi. La lumière jaune des phares que je fixe sans ciller depuis plusieurs secondes déjà me brûle les yeux et le faisceau se rétrécit au fur et à mesure.
Il s'approche. Un peu plus. Encore un peu plus. Mon corps, poussé par l'instinct de survie, me hurle de tout arrêter. Mais mon cerveau, lui, est décidé : il n'est plus question de faire marche arrière.
Le camion n'est plus qu'à quelques mètres de moi, je peux même entrevoir le visage du conducteur. Pauvre de lui. Je le condamne avec moi sans qu'il n'ai rien demandé, mais je ne serai plus là pour voir sa famille le pleurer, pas plus que je ne verrais la mienne. De toute manière, elles ont déjà tellement versé de larmes lorsque j'étais encore ici qu'elles seront sûrement plus soulagées qu'attristées de ne plus me savoir de ce monde.
Plus le temps de penser. Il est là. Au dernier moment, avant même que le chauffeur ne réalise ce que je suis entrain de faire, je dévie ma trajectoire pour me diriger droit sur lui. J'appuie sur l'accélérateur, et je vois mon véhicule le percuter de plein fouet.
La douleur, terrible, lancinante mêlée à la certitude de ne pas s'en sortir. La chaleur intense qui m'enveloppe et la vue des flammes qui me consument au milieu d'éclats de verre et de tôle broyée. Mon corps incapable de bouger, mes membres qui ne répondent plus. Ma vue qui se brouille, et mes oreilles qui n'entendent déjà plus rien. Mon incapacité à respirer. C'est la fin.
Au moins, je ne ferais plus souffrir personne. Dommage que je n'y ai pas pensé plus tôt.
Synopsis :
Dès la fin de ce bref chapitre qu'on pourrait considérer comme un prologue, on assiste à un retour en arrière assez important puisqu'on revient sur la jeunesse du personnage, encore étudiant à cette époque. Le lecteur comprend facilement que ce qu'il vient de lire est en réalité la fin tragique du roman et non son commencement. Comment le personnage principal a-t-il pu arriver à atteindre un tel état mental ? De quoi se sent-il coupable vis-à-vis de sa famille au point de s'enfuir et de se suicider ? Toutes les réponses se trouvent dans ce récit de la triste vie d'un homme qui a vu son état se dégrader lentement au fil des mois et des années jusqu'à basculer dans la folie, pour finalement commettre l'irréparrable. Un roman qui dévoile toute la cruauté de la vie et qui nous démontre également que rien n'est jamais acquis et qu'on peut nous l'arracher à chaque instant.
L'histoire de Daryl Cooper, des longues études littéraires dans lesquelles il s'est lancé pour finalement réaliser qu'aucun métier intéressant ne l'attendait au bout.
De sa petite amie de lycée, Vicky Hills, et de leur idylle éclatante qui s'épuise au fur et à mesure jusqu'à ce que cette femme avec qui il voulait passer sa vie en vienne à le haïr.
Les rêves d'un jeune homme pétri de principes, d'idées, qui s'écroulent pour le laisser seul face à cette vie qu'il a raté. Mais il est trop tard pour revenir en arrière désormais, et le temps ne lui laisse aucun répit, efface les derniers morceaux d'espoir qu'il pouvait encore avoir en lui pour le laisser seul et désarmé. Tout ce qu'il aime lui échappe, se dérobe, l'histoire traitant d'abord
de sa vie de jeune lycéen, de sa rencontre avec Vicky et du fait que, même en ayant obtenu son diplôme, il se rend rapidement compte que son existence est vouée à l'échec. Sans emploi, ne réussissant à vivre qu'avec l'argent de Vicky et étant donc forcé de s'installer avec elle beaucoup trop tôt, il se lance dans la recherche de nombreux petits boulots. Sans succès. De plus, sa relation avec la jeune fille devient trop pesante et le lasse rapidement. Il décide en secret et sans lui en parler de se lancer dans une affaire risquée qui peut cependant lui rapporter gros. Et il n'attend que le moment où il aura suffisamment d'argent pour la quitter. Après de nombreux mois de travail, d'arrangement avec ses embaucheurs, il parvient à obtenir ce qu'il désire. Mais alors qu'il s'apprête à laisser Vicky seule pour mener sa nouvelle vie, elle lui annonce qu'elle est enceinte.
C'est à partir de ce moment qu'à dix-neuf ans à peine, Daryl Cooper voit son monde s'écrouler. Il hait Vicky. Mais il décide de rester pour son enfant, ce qui le mène à un mariage et à une vie rangée qu'il n'a jamais désiré.
Ce roman n'est pas la simple histoire d'un pauvre homme, mais plutôt celle de sa lutte constante dans cette jungle qu'est la vie où, il l'apprendra à ses dépends, on ne peut compter que sur soi-même pour survivre.