eblouissement
zulma-merrcedes
EBLOUISSEMENT
Jardin des plantes, juin. Après-midi de juin. Sur les miels des parterres, les abeilles s'enroulent en spirales solaires, dans l'éblouissement des roses qui croulent de chaleur. Les oiseaux, affolés d' une telle aubaine de miettes, se grisent de la manne dispensée par les pique-niqueurs.Fragrance de vacances. e ville s'agite mollement dans l'effervescence de sa proche désertion. La mer et la montagne déjà au loin se font plus séductrices. A peine effrayés par le souffle court et épuisé de joggers écarlates, moineaux et merles se contentent d'invectives pour ces empêcheurs de picorer en rond. Oeil fixe et rond des pigeons, entre mépris et frayeur. Arrêt des coureurs, mains sur les genoux, corps cassés à la taille. Retrouver la respiration qui ne sait plus son chemin. Pluie de sueur sur les chaussures douloureuses. J'aime m'abîmer dans la torpeur de l'ombre opaque des platanes. Sur le banc, en face, un livre somnole à la main d'un universitaire à chevelure homérique. Les pages se soulèvent au souffle léger, surprise du lecteur qui ne retrouvera plus son fil. Je lis, moi aussi, d'un oeil inattentif. Wajdi Mouawad, Littoral. Clignement des paupières au ras de l'assoupissement. L'heure est peu propice à l'attention. Cette lecture par sursaut trouble ma perception. Rêve et réalité en fusion dans la mollesse de l'ombre.
L'année a été longue, aux fleurs de ce jardin.Depuis presqu'un an, je viens ici, plusieurs fois par semaine, sur ce banc ou sur l'autre là-bas près de la ménagerie. J'ai connu l'automne aux ocres des feuilles, au flamboiement des dahlias, à la pluie à travers les ramures des arbres de plus en plus avares de feuilles, aux étudiants de Jussieu et de Censier qui se découvraient.J'ai grelotté l'hiver face aux parterres labourés, terre noire ou couverte de neige, sable des allées collant aux semelles des bottes. Mon sandwich, encore plus froid sous la bise qui me dévorait les doigts, me glaçait l'intérieur. Les passants, touaregs en foulard de laine, se hâtaient sans un regard. Même le stegosaure de l'entrée a soumis ses plaques de bronze à la blancheur de la neige en janvier. Il y eut aussi ces jours où le jardins glacé se refusait, visiteurs prisonniers de grilles gelées. Puis, j'ai connu le printemps dans au fade parfum des tulipes insolentes, dans les trompettes à fraise d'opale des narcisses. L'explosion rose et blanche des prunus éclairant soudain les allées d'un frippement de guimauve, derrière les barrières de course cycliste. Les étudiants de Jussieu et de Censier y venaient deux par deux avouer leur bonheur au printemps triomphal.D'autres fleurs. Ajouter leurs tâches à la palette des jardiniers. L'ombre a gagné les allées. Sous les voûtes végétales, les étudiants de Jussieu et de Censier s'enlacent avec plus d'urgence. La fin des partiels les exilera loin l'un de l'autre, solitudes estivales où l'on recherche de plus en plus vainement le visage qui troublait.
Derniers jours de juin. On ne quitte plus guère le couvert des platanes. Des grappes d'enfants s'ébrouent sur les pelouses, ribambelles cacophoniques aux mains des adultes, dans le brouillard de sable de leurs minuscules piétinements. Les bras écartelés au dossier du banc. Abandon à la chaleur, regard à contre-feuille, la tête dodeline, livre délaissé.Le héros de Mouawad prend un bain, je nage dans la chaleur de juin. Son père mort apparaît, simplement, fantôme de chair, comme ça, pour un petit bonjour, courtoisie d'une visite post mortem. Et il lui parle.
« Taty Vanille »
Appel du fond des temps, souvenirs résurgents, qui courrent du coeur aux lèvres. Oui, je fus autrefois « Taty Vanille » pour un jeune Cyprien, dont les baisers d'enfant voletaient sur mon cou au ras de l'encollure du pull, au ras de la ligne basse des cheveux, abeilles attirées par mon parfum de vanille. Il était une fois, là-bas.
Taty.
Echo de la question. Entre hésitation et insistance. Devant mon esprit réveillé, un jeune homme brun, deux yeux qui trouent d'un bleu de nuit un visage sec, barbe d'un jour. Son regard dans le mien, en quête d'une confirmation.
Cyprien ?
Taty Vanille ?
La voix me prend dans ses bras. Mon regard l'embrasse. Nous restons, lui debout, moi àl'inconfort de mon siège. Plus proche que dans mes souvenirs.
Qu'est-ce que tu fais à Paris ?
Je vais entrer à Jussieu . Et toi ?
Paris 3, Censier, Sorbonne nouvelle.
Ah ?
Reprise d'études.
Le parc est plus étouffant qu'au sortir du pique-nique. Naufrage des mots et des pensées dans la touffeur. Les souvenirs comme un tsunami. Quelques ruines du présent flottent dans la conversation. Ne pas laisser revenir les baisers oubliés et les bercements nostalgiques.
Alors l'an prochain ?Tu seras là aussi ?Au jardin des plantes, à l'abri des autos qui passent boulevard de l'Hôpital, nous nageons le temps à contre-courant. A l'abri des hauts bâtiments de la rue Buffon, entre une géode d'améthyste et un mammouth statufié, une baby sitter et un baby-sitted rejouent Littoral de Wajdi Mouawad. Au jardin des plantes, les étudiants de Jussieu et de Censier vivent au saisons des fleurs et des arbres attendris.