Un voisin qui n'en est plus un

ambermoon

    Je l’avais déjà croisé quelques fois dans le quartier et dans la cour de l’immeuble, mais je n’avais jamais entendu le son de sa voix. Je le trouvais bel homme ; grand, mince, le regard d’un bleu pénétrant et un air légèrement négligé qui rajoutait à son charme. Il me paraissait jeune, pas beaucoup plus que moi mais un peu malgré tout.

Je savais qu’il habitait mon immeuble. Quand je l’apercevais, j’essayais de m’imaginer quelle était son activité, sans succès. Pour moi, il aurait pu tout faire… Son image traversait furtivement mon esprit, puis plus rien un long moment.

    C’était au mois de mai. Les beaux jours étaient de retour. Je rentrais d’un long voyage dans les pays de l’Est qui m’avait apporté beaucoup d’un point de vue personnel. La rupture douloureuse qui m’avait fragilisée deux saisons plus tôt n’était plus qu’un lointain souvenir. Un mot était scotché sur la porte de l’immeuble, il annonçait la Fête des voisins pour le 26 mai. Je notai la date et n’y pensai plus. Ma vie parisienne reprenait son cours.

    Ce soir-là, j’étais fatiguée. La température avait chuté brutalement et je n’étais plus très sûre de vouloir participer à cette fête. Pourtant, l’année précédente, j’y avais passé un moment très agréable. Pour me motiver, j’invitai deux amies à se joindre à moi. Équipées d’une bouteille de vin et de quoi grignoter, nous rejoignîmes le petit groupe déjà formé. Les langues se déliaient, les regards se croisaient, la soirée battait son plein.

Mais très vite le froid me gagna et je proposai à mes amies de continuer la soirée à l’abri chez moi.

    C’est le moment qu’il choisit pour me parler, un peu hâtivement, comme si j’allais lui échapper. Nous échangeâmes des mots, mais nos regards en dirent plus long. Je lui proposai de nous suivre. Plus rien n’existait autour de nous. Nous étions isolés au milieu du groupe comme dans une scène de film où la caméra se focalise sur un personnage rendant le reste flou.

    La soirée achevée, chacun rentra chez soi. Je n’avais pas son numéro, je ne me souvenais pas de son nom murmuré après un verre de trop, mais sa rencontre avait laissé une empreinte en moi, comme une caresse.

    La semaine suivante, je me jetai à l’eau et décidai de provoquer une nouvelle rencontre. Nous étions voisins, nous allions bien réussir à nous croiser !

Le hasard faisant bien les choses, je l’aperçus le soir même en terrasse d’un café. Ni une ni deux, je l’accostai et lui proposai de m’accompagner à Bastille où je retrouvais des amies pour un verre. Malheureusement, je n’avais pas vu qu’on l’attendait dans le bar… Je repartis bredouille.

    Le lendemain, j’ai pensé lui laisser un mot dans sa boîte aux lettres pour lui proposer de me rejoindre à un concert, mais en parcourant tous les noms inscrits sur les boîtes de l’immeuble, impossible de reconnaître le sien.

    Dans un dernier espoir, je sonnai à sa porte. Il ouvrit, son portable à l’oreille, l’air ébahi. Je lui exposai le motif de ma visite inopinée en lui glissant mon numéro de téléphone au creux de la main. La balle était dans son camp.

    Un an plus tard, je me souviens de ce concert où, rongée par le doute, je trépignais sur ma chaise en consultant mon téléphone toutes les deux minutes quand il apparut, radieux et souriant. À cet instant, je sus que nous échangerions bien plus qu’un regard et des mots.  Il n’était pas venu les mains vides. Muni d’un deuxième casque et d’un gilet, il me proposa de me ramener sur sa Vespa : un geste d’attention qui ne me laissa pas indifférente…

    Aujourd’hui, il partage ma vie à quelques rues de là. Nous avons quitté la cour de nos premiers émois pour nous installer « chez nous ». Nous n’avons plus les mêmes voisins, mais c’est à notre ancienne adresse que nous irons retrouver ceux qui sont devenus nos amis pour la Fête des voisins.

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