Echappée belle

nadinepec44

Fébrile, je fais une nouvelle fois l’inventaire de mon sac à main. Je suis partie dans une telle précipitation et un tel état de stress, que j’aurais pu oublier quelque chose d’essentiel, qui m’obligerait à revenir sur mes pas, à décaler mon départ.

Or, c’est vraiment impossible, je ne peux pas me le permettre, je n’ai pas le temps.

Passeport, permis de conduire international, billet d’avion, cartes de crédit et deux billets de vingt euros. Ouf, j’ai tout. Ce sera suffisant, pour l’instant.

Je suis rassurée sur ce point, mais toujours anxieuse. Ca ne me ressemble pas de partir ainsi, de tout quitter du jour au lendemain, mais j’ai peur, c’était maintenant ou jamais.

C’est une question de vie et de mort.

Je regarde ma montre, pour au moins la vingtième fois en une minute. J’ai peur de ne pas être à l’heure, peur de ne pouvoir rejoindre l’aéroport Charles de Gaulle avant qu’il ne soit trop tard.

J’essaye de me rassurer, le timing est bon, je suis dans les temps, j’ai prévu large, connaissant bien la circulation parisienne, mais je reste angoissée.

Le chauffeur de taxi, bougonne tout seul. Après la pluie, la circulation difficile, les mauvais conducteurs...

Il ne s’intéresse pas à moi. Tant mieux. Je ne suis pas d’humeur à faire de la causette !

Et surtout, je ne veux pas qu’il me remarque, que l’on puisse me retrouver, savoir où je suis partie.

Regarder une dernière fois la circulation sur le périphérique de cette ville qui m’a vu naître, en écoutant d’une oreille distraite les vieux tubes à la radio, m’aide à tuer le temps.


Quand apparaissent enfin les panneaux indicatifs de l’aéroport, je ne peux exprimer le soulagement que je ressens à cet instant. Je suis enfin presque libre, mais je le sais en sursis seulement.

L’enregistrement des bagages, l’embarquement, et le passage à la douane, se font pour moi dans un brouillard. Je ne suis plus consciente de ce qui se passe autour de moi, je suis dans un état second, mais sereine, j’ai pris la bonne décision.


Je prends place sur mon siège, côté hublot. Il va être le mien pour les nombreuses heures de vol, qui m’attendent. Ces heures vont me permettre de me reposer et d’être en forme pour démarrer ma nouvelle vie, là bas. Surtout, ce temps m’aidera à me faire à l’idée que tout sera différent dorénavant. Mon quotidien est à présent derrière moi, je quitte tout par choix, par obligation, mais c’est ce que je devais faire, pour moi, pour eux.

On pense toujours que l’on a le temps, puis un jour on se rend compte que notre temps est compté, que notre avenir ne nous appartient plus.

C’est pour cela qu’il faut que je me dépêche, que je croque la vie à pleine dent, la vie passe vite, si vite, il faut que j’en savoure chaque instant, il me reste si peu de temps pour profiter. Chaque minute, chaque seconde me rapproche de l’issue fatale, à si brève échéance.

J’ai soldé mes comptes épargne, j’ai quitté le poste de chargée de communication que j’occupais depuis dix ans dans l’agence de publicité.

Personne n’est au courant de la véritable raison de mon départ, je ne veux de la pitié de personne, nul n’est au courant, ni ma famille, ni mes amis. J’ai dit à tout le monde que je souhaitais faire le tour du monde. C’est peut-être égoïste, mais je préfère qu’ils me croient folle de quitter ainsi une vie confortable et un travail que j’adorais, plutôt que de leur apprendre la vérité.


J’ai refusé de subir l’inévitable, de faire partir des statistiques, je n’accepte pas de me plier aux consultations médicales, aux traitements, au diktat des protocoles de soins, de ne plus être libre de mes choix.

J’ai choisi de partir avant de subir l’opération, de mutiler mon corps atteint de ce trop courant cancer du sein, de prendre les médicaments qui me rendraient malade, qui feraient tomber mes cheveux. Je souhaite fuir le plus longtemps possible la réalité de cette maladie, fuir ce diagnostic qui m’est tombé dessus à 35 ans, l’épée de Damoclès au-dessus de ma tête et surtout les regards apitoyés que je n’aurais pas manqué de lire dans les yeux de ma famille, mes amis, mes collègues.

Non, je refuse cela !

Demain, je serai à Sydney, premier point sur ma liste.


Une jeune femme s’installe sur le siège voisin du mien, elle paraît charmante, elle me salue avant de mettre en place les écouteurs de son lecteur MP3, qui donne la chanson : « Si on devait mourir demain, qu’est ce que je ferais de plus, qu’est ce que je ferais de moins... ».

Auparavant, lorsque j’écoutais cette chanson, je ne savais pas ce que je répondrais et ne me posais même pas la question. Aujourd’hui, je sais.

Je veux réaliser mes rêves, le plus de rêves possible avant de mourir.

Mais combien aurais-je le temps d’en réaliser : 1, 5, 10, 15, 20, aucun ?

Ce sera une course contre la montre à la poursuite de rêves fous, frivoles ou profonds comme découvrir l’Australie, nager avec les dauphins, sauter en parachute, conduire une voiture de sport, monter en haut des pyramides, apprendre les langues asiatiques, se promener à dos d’éléphant, apprendre la peinture avec un maître vénitien, connaître New York comme une vraie New Yorkaise, voir les pingouins sur la banquise, participer à un safari au Kenya, à un projet de fouille sur un site préhistorique, découvrir les chutes du Niagara, le grand Canyon, s’amuser comme une gamine à Disneyword en Floride, faire un bébé...

Certains de ces rêves seront facilement réalisables, d’autres moins, voire pour quelques uns impossibles à mettre en œuvre, mais tous auront leurs places dans le blog, dont la tenue permettra de laisser une empreinte du passage sur terre et accessoirement, aidera une connaissance parisienne à suivre les traces de la fuite, pas si parfaite, finalement !

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