Face à l'Autre
nassira
Dehors, sous les regards vacillants des réverbères, j’arpente les ruelles silencieuses et menaçantes. Ce soir, j’ai osé une désobéissance même si n’ayant pas encore absorbé tout à fait l’acte que je suis entrain d`accomplir. Je suis soulagée mais contrariée par cet étrange apaisement. Je me risque à travers des quartiers inconnus. C’est le bus qui me tire de mes pensées. Il devait souffrir à remonter la pente, un bruit de moteur suffoquant, vomissant ses tripes. Je me rends compte que je suis en fuite depuis quelques heures déjà, je marche au bord de la route au hasard de mes pas. Je suis dehors, traversant en vrac des ruelles inconnues, ravalant mes nausées et mes craintes.
L’obscurité qui se prolonge au-delà d’un ciel défraîchi par endroit, saupoudré de taches grisâtres s’enfonce en moi, épaisse et noire. Traquée par ma propre peur, je force la cadence, je me retiens toutefois de courir par peur d’attirer l`attention sur moi, de me faire remarquer même si l’envie de m’éloigner le plus loin possible me tenaille, elle m’empêche même de réfléchir.
Cela n’a pas été facile pour moi de passer à l’acte, j’en tremble encore. Les jours précédent ma décision de fuir, j’ai passé des nuits blanches, en proie à de multiples sentiments confus. J’étais pétrifiée de peur à l’idée de sortir de la maison mais lorsque l’heure choisie par moi de partir arrive, j’avais certes les jambes comme sciées mais tapie dans l’obscurité, je m’encourageais diablement. Quand enfin j’ai pu franchir la porte d’entrée et me fondre dans la nuit, bien que j’aurai aimé fondre dans le néant….Oh ! J’aurai aimé disparaitre comme une étoile filante qui devient poussière dans le ciel, car à cet instant je ne suis pas certaine d’avoir réussi l’insensé pari. Je ne trouve pas que j’ai été courageuse, j’ai même été lâche, je t’ai pas quitté en te le disant dans les yeux. Pourtant, j`aurai aimé le faire juste pour voir ce qui allait passer chez toi en me voyant déterminée et maitresse de moi-même. J’ai juste capitulé, les yeux repliés comme un coin de drap sur mon visage, je ne voulais pas tenter le diable.
Mes bras s’agitent anarchiquement, signe évident du désordre qui culmine en moi. Je force de discipliner mes mouvements, de me donner plus d’assurance mais je ne fais que les rendre pas mécaniques. Mais en m’enfonçant dans une ruelle transversale, je prend mes jambes à mon cou, ne m’arrêtant que beaucoup plus loin, riant de moi-même, c’est la toute première fois que je m’offre « une fugue » ce mot me fait sourire, me fait souffrir, à mon âge, les choses ne devaient pas se passer ainsi. Je m’adosse contre un mur, le temps de reprendre mon souffle, je suis en proie à un déchirement, dans ma mémoire, le lit douillet, les draps qui sentaient la lavande - un parfum que j’utilise souvent pour ma lessive- puis sur moi l’odeur de l’Autre, collée à moi comme un serment, un serment de mariage, de promesses inachevées, d’un engagement pour le meilleure et pour le pire et je n’ai eut que le pire.
Il ne s’est pas réveillé quand j’ai quitté le lit, il ne s’est pas réveillé quand j’ai mis ma robe, enfilé mes bas, noué un foulard sur sa tête. Il ne s’est pas réveillé quand j’ai sorti du bahut de cuisine, un sac préparé d’avance, caché dedans mes papiers, mes maigres économies, mes bijoux, ceux que j’avais ramené de chez mes parents. Il ne s’est pas réveillé quand j’ai jeté mon voile beige dans le sac poubelle, par dépit, mon premier acte d’indépendance. Il ne s’est pas réveillé quand j’ai ouvert la porte et quitté l’appartement…avance…a v a n c e , me dis-je, tu n’as pas droit à l’erreur. Toutes ces semaines d’incertitude, toutes ces nuits blanches où je devais mûrir cette idée, où je devais prendre une décision. Oh ! Cela n’a pas été facile. Mais là, je suis anesthésiée par l’acte. Je ne sais pas ce qui m’effraye le plus ? Est-ce le fait de me retrouver seule, de ne plus dormir dans mon lit, d’être sans ressource, d’être dans la rue…en dépit de mes calvaires j’avais un toit. Je chasse vite cette idée méprisable. Plus question d’être lâche, je ne reviendrais plus vers l’Autre, quelle que soit l’issue de ce péripétie. Cette pensée m’apaise un peu. Je me remets à marcher tranquillement, seul le froid fait vibrer mes lèvres mais je tente de rester sereine, de ne pas céder à la panique, de me laisser aller dans cette nouvelle sensation, cette pleine mutation qui s’opère en ce moment même en moi, qui me transforme, qui me donne de la force.
Je devine l’Autre, endormi, la tête enfouie sous les oreillers, les bras ballant, les jambes écartées, accaparent tout le lit. Il s’agite dans son sommeil, je sens le coup de coude, planté dans mon flanc, Il se retourne, m’emprisonne lourdement sous sa cuisse. Je sursaute contre ce mur de fortune, je ressens sa peau contre la mienne. Je me souviens que le moindre mouvement me réveillait, je priais alors pour qu’il se rendorme, pour qu’il ne se réveille pas à son tour. Des sentiments honteux me submergent, certains souvenirs plus violents que d’autres. Je dors toujours au bord du lit, en fusil de chasse, je craignais ses assauts nocturnes. Au moindre frôlement, je m’agrippais à ma chemise de nuit, je fermais les yeux et j’attendais. Lorsqu’il enfonçait en moi, poussant d’un coup de reins sec, déchirant mon intimité, les larmes, l’alcool, les râles, la sueur…Puis vient ce silence effroyable, le sien, je pinçais mes lèvres pour réprimer un sanglot, faire semblant de rien, mourir, ne pas bouger. Il se lève toujours après, s’arrache des draps en me découvrant, traverse d’un pas la chambre, claque la porte, va pisser, j’entends la chasse d’eau qu’il tire, l’eau qui gronde dans la tuyauterie, le désespoir qui gronde dans mon cœur. Chaque soir la hantise d’être prise de force, la puanteur qui s’étale sur les draps que je m’empresse de laver dès le lendemain matin pour effacer ces taches brunes, ces sueurs fétides, je tente de laver mon corps, purger ma mémoire.
J’arrive au bout de la rue. J’hésite sur la destination à prendre, puis je traverse la chaussée, attirée par l’odeur iodée de la mer qui emplit l’air. L’aube arrive, éclaire les bâtisses qui se découpent dans un ciel qui bleuit. Mes yeux sont happés par l’étendue glaciale devant moi. Je devine l’eau froide, piquante, stimulante. J’aime voir tanguer les quelques barques de pécheurs amarrées au port. Le silence accentue le sinistre qui me ravage de l’intérieur, puis cette mer, une invite, l’évasion, la solitude absolue au fond de la Méditerranée, là, au milieu de l’eau, personne ne viendra me chercher…me laisser aller au fond…couler a pic sans résistance sans envie de respirer sans chercher le salut, il là au fond des abysses. Je revois ma salle de bain aux carrelages bleus. J’aimais m’y prélasser, rêvasser dans un bain moussant, me détendre en me massant le cou, la poitrine, les cuisses m’oublier durant des heures. Cela m`était aussi interdit. Je n’avais pas le droit de gaspiller l`eau, j’étais réduite à me laver dans une bassine, accroupie dedans, versant sur moi une eau rationnée, rapidement aussi pour ne pas prendre froid, rapidement pour ne pas être surprise par l’Autre.
Sur le boulevard, je m’achète un croissant dans une boulangerie. Puis, je reviens vers le parc, je prends l’allée qui mène à mon banc, un joli banc en bois, peint en vert comme les touffus arbustes qui bordent le jardin, allures de sentinelles bouddhistes, le ventre en l’air et saillants. Sur les ombrages où des chats passent la nuit à l’abri dans le fouillis de ombrages nonchalants, désordonnés, allés enlisées dans l’obscurité ; cette vision effarante, le bout d’une vie….la mienne, comme si rien n’existe. Tout est dans ce renoncement fatal et chaud. Abandonnée dans les bras d’une nuit, amante affectueuse. Pourtant, la hantise d’être surprise par l’Autre, par d’autres.
Synopsis
Une jeune femme fuit un mari violent et tyrannique après dix ans de Mariage. Dans le parc ou elle passe sa nuit, elle évoque toutes ces années de souffrance et de privation. On est dans l`Algérie des années 80 avec l`émergence de la pensée islamiste. Elle doit lutter pour sa survie dans une société qui ne lui apportera pas son aide. Pourtant, sa mère consciente de la condition des femmes a poussé sa fille a s'instruire et avoir des diplômes Elle refusa toutes les demandes de mariage quand elle était jeune, refusa à sa fille toute relation amoureuse. Mais le temps passe et les coutumes et les traditions ainsi que le regard des autres finissent par rattraper la mère qui ne voit plus sa fille que comme une vielle fille sèche sans intérêt que les hommes boudent à cause de son instruction et de son âge. La jeune femme marginalisée par son voisinage et sa famille subit les affres d’une mère acariâtre et une société fermée et hypocrite. Lorsque se présente cette unique chance de se marier, elle est accepté sans aucune condition, Commence la descente en enfer avec un mari qui va désorganiser sa personnalité, la remodeler peu à peu jusqu`â la déconstruire complètement, la maintenant dans un état de soumission et de peur totale. Un mari violent et pervers psychiquement puisqu`il va asseoir sur elle une autorité sans faille ou se mêle ses propres préceptes inhumains et les préceptes religieux qu`il utilise pour lui faire peur.