Echo Park Prescription
dehel
Echo Park Avenue. Quand le taxi s'est arrêté devant une allée bordée de buissons en fleurs, je ne savais pas encore à quoi m'attendre. J'ai remonté l'allée jusqu'à un bungalow blanc et rose avec des fleurs aux fenêtres. Je suis entrée, j'ai posé ma valise sur le canapé recouvert d'un plaid en crochet et j'ai pleuré jusqu'à ce que le sommeil s'empare de moi.
J'avais dormi tout le trajet, assommée par les somnifères. Ne plus penser. Ne plus voir le monde. À mon arrivée, mon visage jusqu'alors inconnu dans ce pays s'étalait sur toutes les devantures de kiosque. Moi, marchant dans Paris, les cheveux sales et la mine défaite. Moi encore, croisant son regard à Lui à un diner de Gala. Et enfin un montage de sa femme et de moi avec un titre accrocheur mêlant sexe et politique. J'imagine que même ici, ça devait faire vendre.
Il m'avait obligé à partir. Il avait préféré un Airbnb, plus discret que l'hôtel. Je l'avais trouvé pathétique à ce moment-là et j'avais eu envie de le gifler. Mais il répétait sans cesse que je devais lui faire confiance, que tout allait s'arranger.
Quand j'étais sortie de l'aéroport, la chaleur m'avait giflée de plein fouet, mais j'avais quand même resserré le col de mon imper autour de mon cou. Taxi. Cigarette. "No smoking M'am". J'avais jeté ma cigarette par la fenêtre de la voiture sous le regard désapprobateur du chauffeur. À travers le filtre de mes lunettes noires, j'avais regardé le paysage qui défilait et je m'étais demandé ce que je foutais là. Derrière nous, Downtown s'était éloigné avec ces tours de verre. L'autoroute encombrée avait fait place à des rues larges où se dressaient des maisons en bois aux vérandas ouvertes et des bungalows qu'on aurait cru sortis d'un film pour enfants. Le décor m'avait semblé être en carton et j'avais l'impression qu'à tout moment, les murs des façades allaient s'écrouler et qu'une armée de cameramen allait apparaitre en éclatant de rire.
Aucune brise ne secouait les palmiers écrasés par la chaleur. Au loin, des collines et le fameux signe qui dominait la ville comme une présence divine. On était passé devant un grand parc où se croisaient ouvriers mexicains et joggers hautains. Je lisais le nom des rues sur les pancartes. Tout cet exotisme me laissait perplexe, mais Il m'avait obligée à partir.
La sonnerie de mon portable avait retenti et m'avait fait sursauter. Quand on parlait du loup...
"Alors tu es arrivée ?
- si tu parles de l'enfer, je sens déjà ses flammes m'attraper.
- il fallait que tu partes, tu n'avais pas le choix. Ça va te faire du bien de t'éloigner de tout ça. Le scandale, la presse…
- rejoins-moi, je t'en prie.
- je ne peux pas, chérie. Tu sais très bien que si je le pouvais, je le ferais, mais les gens ne comprendraient pas, on me lyncherait à mon retour.
- et si tu ne rentrais pas ? On pourrait rester ici ou partir encore plus loin.
- chérie…
- je sais, le pays a besoin de toi. Mais moi aussi j'ai besoin de toi. Pourquoi m'envoyer ici ? J'aurais aussi pu m'enfermer dans mon appartement avec une bouteille de whisky et attendre que ça passe.
- fais-moi confiance, chérie. Bientôt tout ça ne sera plus qu'un mauvais souvenir."
J'avais coupé la communication sans répondre.
Quand j'ai ouvert les yeux, le jour se levait dans le bungalow. Avais-je donc dormi si longtemps ? J'ai regardé autour de moi. Tout était calme et paisible, il flottait une odeur de meuble ciré et de citron. J'ai décidé de partir en reconnaissance. À côté de mon appartement haussmannien, l'endroit était minuscule. Les murs étaient peints en vert amande et tous étaient décorés de grands tableaux représentant des paysages de Los Angeles. La cuisine était petite, conviviale, ça m'a rappelé celle de ma grand-mère au bord de la mer. Une porte menait à une petite terrasse avec une table ronde et deux chaises en bois. Un grand rosier faisait promener ses fleurs sur la table. Un vent léger s'est levé. J'ai entendu des enfants jouer au ballon dans le jardin d'à côté. Au loin, un coup de klaxon. Je me sentais à la fois connectée à la ville et très loin. Le quartier portait bien son nom, car ma vie parisienne me parvenait comme un écho lointain. La pluie âpre avait fait place à une brise qui rafraichissait à peine le soleil brûlant. Je suis rentrée et j'ai promené mes yeux vers le lit qui ne m'avait pas accueilli pour ma première nuit américaine. Une enveloppe en papier épais était posée dessus.
« Hi Julie, welcome to my lovely home… »
L'écriture était serrée et le mot était accompagné d'un plan du quartier avec quelques adresses de restaurants et de bars. Je me suis demandée qui se cachait derrière ce mot signé simplement « Monique ». Où vivait-elle ? Que faisait-elle ? Sa vie était-elle aussi compliquée que la mienne ? Surement pas. Peu de gens devaient être obligé de supporter que leur tronche s'étalant sur tous les magazines et sites du monde entier.
J'ai pris un bain dans la vieille baignoire en fonte. J'avais l'impression d'être Maryline dans ce décor des années 60. Je suis sortie sous le soleil aveuglant. J'ai remonté Echo Park Avenue jusqu'à Sunset, ce boulevard immense qui parcourait Los Angeles dans tous les sens et faisait ressembler la ville à une immense pieuvre. Deux femmes mexicaines sont passées devant moi et m'ont saluée. J'étais tellement surprise que je ne leur ai pas rendu leur salut. Au loin, des jeunes rappaient et dansaient. Une odeur de café et de cannelle envahissait l'atmosphère tandis qu'un bus d'écoliers jaune passait. Mon cerveau essayait d'enregistrer tout ce que je voyais mais n'y parvenait pas. Tout était trop neuf, trop authentique pour moi. La ville géante qui m'effrayait était devenue un quartier où les gens se saluaient et où des vendeurs ambulants vendaient de la lemonade dans les rues. J'ai hélé un taxi et lui ai demandé de me conduire au Hollywood Sign. Il a esquissé un sourire et à démarré en trombe. J'ai senti que je quittais un village pour aller dans un autre, relié au premier par une immense Highway où des noms familiers défilaient. Silver Lake, Loz Feliz, Santa Monica Boulevard, Griffith Park puis Beachwood Drive, Ledgewood Drive et Deronda Drive. Le chauffeur m'a dit qu'on était arrivé et des yeux, j'ai cherché le Sign. Il a ri et m'a expliqué qu'on ne pouvait pas l'atteindre en voiture, mais qu'il m'avait emmené au plus proche. Il m'a dit de continuer à pied par un sentier pédestre et que de là, je ne serai pas loin. J'étais septique, mais je n'avais pas le choix.
J'ai marché plus longtemps que je ne l'aurais pensé. Je sentais la sueur couler sous mon t-shirt et mes jambes commençaient à faiblir. Arrivée en haut, j'ai dû m'assoir pour reprendre ma respiration avant de regarder autour de moi. Mais quand j'ai levé les yeux, j'ai à nouveau eu la respiration coupée.
La ville tout entière s'est dévoilée devant moi. Les buildings, les highways qui s'entremêlaient, la mer au loin et le smog se mélangeant avec le soleil comme du lait dans du café. Pendant quelques instants, je suis restée bouchée bée devant l'immensité de ce qui s'étalaient devant moi. J'étais bien loin de Paris, de mes angoisses, de ma petite vie de bourgeoise qui ne voyait pas plus loin que le bout de son quartier. Devant moi s'étendait une autre vie, bouillonnante, mystérieuse. Au-dessus de moi, un vautour volait et se perdait dans les collines brulées par le soleil. Sous mes pieds, des plantes grasses s'étendaient presque à perte de vue, abritant peut-être des coyotes et autres animaux exotiques. J'étais là où la nature et la ville se rencontrent. Là où la métropole prend sa respiration. L'inconnu.
Mon portable a sonné, brisant le silence presque religieux. J'ai fixé le nom qui s'affichait sur l'écran. Pour la première fois depuis plusieurs jours, je n'ai pas senti de boule se former dans mon ventre et un frisson de peur ne m'a pas parcouru la colonne vertébrale. J'ai pris mon élan et j'ai jeté mon portable dans le vide.
Quand je suis redescendue, le taxi m'attendait toujours.
"vous avez trouvé ce que vous cherchiez ?
- non, je l'ai perdu."
Quand le taxi a redémarré, je me suis mise à pleurer. La ville défilait toujours devant mes yeux, mais elle n'était définitivement plus effrayante. Les palmiers, l'odeur des pots d'échappement, les buildings qui côtoyaient les maisons en bois. À mesure que je m'enfonçais dans le monde de la contradiction, mon esprit s'éclairait.
Plus tard, je me suis allongée sur la terrasse de Monique, bercée par les odeurs et les bruits de la ville. Je suis restée longtemps, peut-être des heures. Je savais que la France et ses scandales cherchaient à me rattraper à travers un portable perdu quelque part dans les collines. Mais je n'avais plus peur. En levant les yeux, j'ai aperçu une étoile. Ma première étoile à Echo Park. Et à cet instant, sur cette petite terrasse, j'ai compris que maintenant, tout irait bien.
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