Paris, Milan, New-York, Tokyo
zoemeyer
Paris, Milan, New-York, Tokyo.
Soirée de crise et elle piqua la sienne d'une humeur de chien. Comme chaque année, il était impensable de passer les fêtes à Paris. Milan et New-York n'étaient plus envisageables. Lors de leurs précédents voyages, elle s'était chargée de la location. Dans la plupart de ces villes, dénicher un pied à terre sur ce site relevait d'un jeu d'enfant. Ils auraient passé deux ou trois nuits dans un quartier dépaysant comme ils aimaient en découvrir. Cette fois encore, elle aurait pris le temps de choisir, y aurait consacré des heures. Cliquer sur une image, faire défiler sur l'écran de son ordinateur les photos de ces intérieurs lui procurait le même plaisir que s'accaparer une couleur dans un nuancier. Chaque lieu ressemblait à un décor, une scène pour une nature morte de Karen Kilimnik. Il y avait toujours un détail, touche reconnaissable qui envoyait un petit signe rassurant . Elle pénétrait dans chaque espace, en prenait possession avec cette sensation d'ubiquité grisante qui envoie des frissons. Cette grande fenêtre donnant sur les platanes semblait avoir été conçue pour attendre l'heure du crépuscule. Elle admirait le velours rouge d'un fauteuil. Le motif des coussins lui rappelait une maison d'été dans son enfance.
Paris – Milan - New-York - Tokyo, le quatuor de destinations indiquant des adresses de boutiques s'inscrivait sur un sac en papier aux anses fragiles. Casilde l'avait posé sur le parquet de sa chambre, pour se rappeler d'aller faire un tour sur bnb. Elle allait organiser le départ pour les vacances de Noël. Paris – Milan – New -York – ou bien Tokyo ? Milan, elle en rêvait. New-York c'était il y a deux ans, dans cette cuisine typique où ils avaient joué aux répliques de Woody Allen. Pour Tokyo il leur faudrait davantage de temps. Aujourd'hui cet emballage de boutique la narguait, au même titre que le rappel d'impôts locaux qui ne lui avaient pas fait de cadeau. L'escapade en Italie s'incarna dans une brune élégante lui envoyant un Ciao d'une main lascive. Elle se lova sous son plaid. S'immobiliser devant la télé pour se laisser ramollir résumait sa dernière volonté.
Un reportage sur Noël à Strasbourg montrait des lumières dans la nuit, des pains d'épice en forme de cerfs, sapins, figurines et des stands de confiseries. Imaginer les odeurs de vanille, des bâtons de cannelle dans le vin chaud faisait effet comme un morceau de sucre après un coup de pompe. Son imagination se réveilla, ses images mentales esquissèrent un lot de consolation. L'envie de passer un Noël traditionnel en Alsace la réconcilia avec son avenir proche. Le quartier était loin du centre et Damien un peu en retard au rendez vous fixé quelques jours avant. Rouler et se diriger dans Strasbourg s'était avéré simple voir agréable. Descendre les avenues, passer d'un quartier à l'autre, franchir des ponts relevait d'une facilité magique. Chaque partie de la ville possédait son caractère, chaque arrêt aux feux rouges leur avait permis de profiter d'un point de vue nouveau. On échangea les premiers mots pour expliquer comment on avait trouvé rapidement. Une place pour la voiture sur le même trottoir que l'immeuble leur était apparue tel un signe de bienvenue, Wellkumma en alsacien. Dans la rue, murets en pierre et portails en bois faisaient comme à la campagne. Ils étaient arrivés à la tombée de la nuit. Des maisons aux façades immanquables illuminaient autant par leur présence chromatique que les guirlandes électriques aux fenêtres. A côté des habitations hétéroclites notre immeuble paraissait muet. L'ascenseur menait à l'étage et rien ne suscitait de commentaire. La température douce n'annonçait pas les dernières heures précédant un réveillon de Noël. Sans doute Damien était il fatigué par une journée de travail car aussi peu loquace que sa compagne communicante. C'est avec elle que Casilde avait correspondu par mail pour la réservation. Tout avait été préparé pour leur accueil et rien ne manquerait à leur confort. Les serviettes qu'ils devaient apporter se trouvaient déjà dans la salle de bain, les draps blancs iraient au lit par leurs soins. Le tour des questions était bouclé, les recommandations entendues et comprises. Il suffisait de se rassurer une ultime fois avant de prendre congé. Devant la porte, coincés dans le couloir devant le placard servant de vestiaire, les mots s'éternisaient par convenance. Comme un sapin qui s'éclaire soudain après un faux contact, leur gêne partagée se mit à fondre comme du chocolat fin en bouche. Dans un dernier échange de politesse, ils évoquèrent leurs menus. Leurs regards n'auraient pu dissimuler la gourmandise des mets à venir. Les escargots préparés par leurs mères avaient le même goût de convoitise. Eux, venant d'une autre région, lui d'ici et leurs familles, partageaient cette part de patrimoine indéfinissable qui ressemblait à leurs appartements.
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