Ecoute !

Hervé Lénervé

Putain, c’est long ! Comme si on avait que ça à faire ?

-         Ecoute...

-         .......

-         Oui, j'écoute ! Tu es toujours là ?

-         Une seconde, je réfléchis !

-         Ça va être long ?

-         Ça dépend de ce que l'on entend par long et de la difficulté de la chose à laquelle on doit réfléchir longuement ?

-         Certes ! Long c'est subjectif et réfléchir, aussi, cela manque de précision et l'on sait que la médiocrité n'accepte pas la précision. Donc, nous en étions restés à ta demande de t'écouter. Voilà, voilà, donc, je t'écoute, je suis tout ouïe à point, 180° pendant 20 mn de chaque côté.

-         Bien sûr, tu as créé des perturbations ondulatoires, avec tes histoires à dormir debout d'ficelle, dans mon cerveau et maintenant je ne me rappelle plus le contenu du message hyper very important que je devais te communiquer, straight away !

-         Fait un effort, merde ! C'est peut-être grave. Ma mère est morte ! C'est ça ?

-         Pas du tout !

-          (J'me disais bien aussi, que ça n'arrivait qu'aux autres, ces trucs-là.) Bon, alors, je n'sais pas... tiens, ta femme est morte, allez, comme ça ?

-         Putain ! Ça y est, je me souviens, à présent et effectivement, ma femme est morte, mais tu le savais déjà.

-         Pas du tout ! Juste un coup de chance. Je l'ai dit au pif et paf, BINGO ! Je tombe juste, pile-poil, dessus. Je me demande si je ne vais pas me mettre à jouer au loto, moi ?

-         Tu te rencontres, quatre-vingt-quinze ans... Ce n'est quand même pas un âge pour mourir, non ?

-         Certes, mais les 95, c'était son âge avoué, je présume. Car sincèrement ta femme, je crois qu'elle t'avait un peu grugé grave sur son âge. Elle est... pardon, était... respectons la correspondance des temps, via Leclerc. Ta femme, elle n'était pas vieille, elle était antique. Tiens, d'ailleurs avec les copains, on l'appelait « la mamie momie. Le Retour II».

-         Un peu de décence quand même. Vous pourriez respecter une morte !

-         Non, mais ça, c'était d'avant qu'elle soit totalement réhabilitée par la mort. Nous ne nous serions jamais permis, nous sommes des gentlemen, quand même......... Silence sans bruit........... Si tu veux je peux rédiger ton oraison funèbre, enfin son oraison à elle, pour toi, quoi !

-         Non, merci, sans façon, Hervé ! Je vais l'écrire moi-même. Si je retrouve mon bouquin sur les dix meilleures oraisons funèbres célèbres du siècle, enfin de l'ancien.

-         Tu peux même remonter plus loin dans le temps, tu en trouveras peut-être une avec son prénom, faut dire que Cunégonde, c'n'est pas courant de nos jours.

-          Pas grave, il y a juste à changer les noms et le genre si on est homosexuel.

Là, j'ai coupé. Il me parlait de leur amour inoxydable qui avait traversé les anniversaires à la rame sans prendre une seule ridule dans les embruns... etcétéra, etcétéra... soporifique à souhait. Donc un peu plus tard.

-         Tu vas faire une cérémonie religieuse pour ton macchabée ? Pardon ta feu épouse, elle avait la foi, me suis-je laissé dire, je crois, des fois ?

-         Vite fait la foi, elle avait surtout le foie fragile.

-         Ah oui, c'est vrai qu'elle picolait liquide grave ! D'ailleurs, avec les copains, on s'disait pour rigoler que pour picoler si grave, faut avoir un truc grave à se reprocher. Mais ça aussi, c'était avant. Maintenant on dit, « la femme à Pierrot, je ne l'ai jamais vue, ne serait-ce qu'une seule fois, un verre à la main ». Voilà... pas besoin de préciser qu'elle buvait toujours au goulot.

-         Eh, oui partie d'un simple coup de couteau et hop ! C'est triste.

-         La vie est injuste ! Dans le foie, le coup, je subodore.

-         Même pas, le cœur !

-         Oui, le cœur, c'est bien aussi. Mais dis-moi, comme ça, juste pour savoir, ils n'ont pas de moyens plus sophistiqués pour euthanasier les momies, maintenant ?

-         J'ai bipassé la chaine classique, j'ai tout fait moi-même.

-         T'as raison, pourquoi faire faire par un personnel, qui n'coûte rien, les choses que tu peux faire toi-même, à mille euros les trente minutes de ton temps ? Logique, quoique, dit comme ça, je sens un piège.

-         Le tout c'est d'avoir un bon couteau.

-         Bien sûr, on se fait toujours de fausses idées en pensant bêtement que pour faire un sale boulot, il vaut mieux avoir un couteau méchamment mauvais, c'est con, un bon, marche pareil. Allez sur ce, le devoir m'appelle, c'est bientôt l'heure de ma sieste. On se reverra aux obsèques.

-         Trop tard, j'ai bipassé les pompes funèbres, j'ai tout fait tout seul dans le petit bois, derrière chez moi.

-         Good, tu es un self-made-man ! Alors, résumons-nous, si la police me pose des questions au sujet de ta femme, je leur dis que tu ne la connaissais pas et que tu ne l'avais jamais rencontrée. C'est ça ?

-         Parfait et tu précises que nous avons passé la soirée d'hier ensemble à faire du tricot toute la nuit. Ils n'y verront que du feu.

-         Cool ! Tu sais tricoter, toi, des fois qu'il voudrait vérifier par un excès de zèle ?

-         On dira qu'on débute !

Sûr, il faut bien commencer un jour  et Rome n'a pas été tricoté en une nuit.

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