Ecrire, ce n'est pas un métier (ou la nuit des mort-vivants)
Jean Basile Boutak
Je regardais il y a peu une interview de Jean Echenoz et une chose m'a frappé : cet auteur reconnu, lauréat de plusieurs prix célèbres, s'excuse presque d'être écrivain et de vivre de sa plume. Il explique avoir fini par penser qu'être écrivain était un état, et non un métier. Il répète plusieurs fois dans la vidéo qu'il a "une chance infinie" de vivre de sa passion et qu'il n'a jamais l'impression de travailler. Dans une autre interview, Laurent Mauvignier confie qu'il ne travaille pas non plus car travailler, c'est gagner sa vie en faisant quelque chose que l'on aime pas faire. Quand leur interlocuteur leur parle de travail, on a presque l'impression que c'est un gros mot, et ces deux auteurs sont visiblement mal à l'aise. Je me trompe peut-être mais j'ai une idée du pourquoi du comment.
J'imagine assez bien le jour où ils ont décidé d'arrêter de travailler, et un peu leur quotidien depuis. Au début, des proches pleins de bonnes intentions ont du leur expliquer que ce n'était pas un moyen sûr de gagner sa vie, qu'il y avait beaucoup de candidat et peu d'élus. Et c'est vrai. Devant leur entêtement, certains leur ont peut-être dit des choses moins diplomatiques. Ils ont néanmoins bravé l'interdit. Petit à petit, les gens l'acceptent. A peu près. Il y a toujours les petites réflexions qui ont un goût de "moi, je travaille". L'oncle frustré et un peu con qui dit "tu dois pas être bien fatigué, t'as pas besoin de te lever le matin pour aller bosser". C'est rarement méchant mais c'est régulier : on doit finir par développer un complexe, une culpabilité à faire ce que l'on aime. C'est d'autant plus vrai dans le cas d'Echenoz et de Mauvignier que les écrivains sont souvent des êtres sensibles, pour ne pas dire hyper sensibles.
J'imagine cela car je connais mon quotidien. Si j'ai la chance demain de pouvoir me consacrer à l'écriture, je serais comme Jean Echenoz ou Laurent Mauvignier, je ne cesserais de me confondre en excuse.
En attendant, j'abhorre mon métier. Ça étonne d'autant plus les gens que je suis relativement compétent. J'aime profondément l'informatique et les nouvelles technologies : ce n'est pas incompatible avec mon désespoir profond d'être informaticien. Je crois même pouvoir dire que je ne cesserai jamais de programmer, mais je ne cesserai jamais non plus d'être un joueur d'échecs. J'aime beaucoup les échecs mais je n'envie pas vraiment la vie de Magnus Carlsen.
Je porte une lourde responsabilité dans mon échec — je vous prie d'admirer la transition. Je veux "raconter des histoires" depuis mes dix ans et pourtant, j'ai relativement peu écrit (un roman, trois quart d'un autre, une demi-douzaine de nouvelles). Je culpabilise de ne pas m'être toujours donné les moyens de réussir, d'avoir trop souvent laissé la déprime ou la dépression m'anéantir, de m'être complu dans des états d'âme qui m'empêchaient au final d'affronter la grande question : étais-je ou non capable de le faire ? Je n'aime pas particulièrement Patrick Besson mais il doit avoir raison quand il dit que l'écrivain, "c'est celui qui a eu le moins peur".
L'orientation à la française, si vous me permettez l'expression puisqu'il n'y en a aucune en réalité, est également coupable. Vous devez vous demander comment je peux être aujourd'hui informaticien — profession qui ne sied guère à l'écriture, à mon avis — alors que je sais depuis ma prime enfance quel est mon souhait le plus cher ? Au collège puis au lycée, je n'ai jamais osé dire à mes professeurs que j'avais envie d'écrire. J'aurais peut-être pu me confier à un prof de français, je n'étais pas le plus mauvais élève mais j'étais timide et complexé. J'ai même suivi une 1ère Scientifique avant d'obliquer en Terminale L, à la faveur de résultats encourageants au bac de français. Le bac en poche, je me suis inscrit en Fac, optant pour la discipline qui me semblait la plus proche de l'écriture : "Lettres Modernes". En exagérant un peu, rien n'est moins vrai… On forme des lecteurs, certainement, mais pas d'écrivain, et je ne pense pas que le professorat (qui doit être également une vocation) soit le milieu rêvé pour celui dont les mots piquent le bout des doigts, à moins peut-être d'une carrière universitaire. J'aurais du penser au journalisme mais j'avais à l'époque, allez savoir pourquoi, l'image du reporter de guerre et je suis trop peureux pour aller m'immiscer en territoire ennemi avec pour seule arme une carte de presse. Je pensais qu'on ne choisissait pas sa spécialité, son affectation et avec ma chance légendaire, j'étais certain que la guerre du golfe était pour moi. Cela me parait complètement idiot, aujourd'hui. J'aurais certainement fait un excellent journaliste d'investigation, de faits divers. J'ai aussi pensé à la librairie et à l'édition mais ce sont davantage des métiers de lecture que d'écriture. D'autres auront cependant tout intérêt à les envisager. Si j'avais eu les capacités d'analyse et les connaissances idoines, et non seulement l'intuition, j'aurais aimé écrire des discours politique, à l'image du personnage de Toby Ziegler dans la série A la maison blanche. Cela étant dit, je pense qu'il y a encore moins d'élus, et tous sortent de l'ENA. Je n'étais ni assez brillant ni assez passionné pour envisager de telles études. Curieusement, je n'aurais pas voulu être journaliste politique : que se passe-t-il dans ce milieu pour que même les questions sans concession de Jean-Michel Apathie me paraissent bien fades et à cent lieux de celles que j'aimerais poser à nos hommes politiques, et pour que personne n'ose les mettre en face de leurs contradictions sur un plateau de télé ou de radio ?
Je n'écris pas ce texte pour moi, je l'écris pour ceux qui me suivront — je n'ose pas dire les jeunes, je ne suis moi-même pas très vieux. Je n'écris pas non plus à l'adresse exclusive de ceux qui ont la vocation de l'écriture. J'aimerai que tous prennent conscience de l'importance de viser un métier qui les nourrisse, mais qui les nourrisse avant tout de l'intérieur. Le reste suivra. Depuis trop longtemps, l'orientation consiste pour beaucoup à chercher les filières porteuses et/ou rémunératrices. La faute parfois à nos soixante-huitard de parents, qui se sont retrouvés curieusement angoissés sur le tard. Des milliers de jeunes commencent à chaque rentrée des études basée sur ce genre de considérations, pour se diviser rapidement en deux lots : ceux dont la motivation est si faible qu'ils ne finissent même pas la première année ; ceux qui sont plus motivés et qui se cassent les dents sur le milieu impitoyable du travail, enchainant les stages sans décrocher le job rémunérateur promis sur la brochure. Une partie décrochera la place au soleil mais déprimera de se sentir dans les chaussures d'un autre et rendra la vie impossible à sa femme et surtout à ses enfants qui, non de non, devront aussi s'emmerder au boulot.
J'ai moi-même connu un peu tout cela. Après avoir flingué ma première année de lettres, je me suis retrouvé emploi-jeune dans une association. J'ai eu tellement peur que j'ai saisi la première occasion de faire autre chose et de reprendre mes études. J'ai opté pour l'informatique sans y réfléchir, bienheureux d'échapper à ce que j'avais aperçu de la vie active. Je m'en sortais pas mal avec un ordinateur et tout le monde disait à l'époque que c'était un des derniers domaines qui n'était pas "bouché". J'ai enchaîné ainsi deux BTS et une licence : j'ai su bien avant la fin de ces nouvelles études que je ne voulais pas faire cela toute ma vie. Je suis allé jusqu'à la licence parce que le système "LMD" m'y poussait, que j'étais boursier avec un "redoublement" et que je n'avais donc plus droit à un nouveau départ. Ont suivi des expériences professionnelles qui m'ont encore un peu plus dégouté, mais en aurait-il pu être autrement ?
Oh, le jeune ! — j'ose maintenant. N'écoute pas trop tes parents et écoute davantage ce qui résonne au fond de toi. Quand on a une vocation, c'est comme quand on est amoureux, on le sait. Fais ce qu'il faut pour arriver à tes fins, même si le chemin n'est pas direct. Parle aux anciens, ceux qui font aujourd'hui ce que tu aimerais faire demain. Certains te paraitront désabusés : écoute-les mais pas trop. Certains seront dithyrambiques : écoute-les mais ajoute un peu de mauvais jours. Si tu le peux, essaie, demande à faire un stage libre, avant même d'y être contraint par tes études (ce sera sans doute trop tard à ce moment là). Ceux qui ont une vocation artistique auront peut-être la chance d'avoir un entourage qui leur laissera la chance de réussir ; dans le cas contraire il leur faudra trouver le métier le plus connexe possible. Encore une fois, parler avec ceux qui sont passés par là pourra leur être d'une grande aide.
Ceux qui n'ont pas de vocation se demandent peut-être comment être sûr d'avoir trouvé sa voie, de peur sans doute qu'on leur tranche la tête. C'est simple : si vous n'avez pas envie de vous plaindre, c'est bon. La passion du travail efface ses mauvais côté. On a le droit de râler un peu bien sûr mais à la fin de la journée, on ne doit garder que les bons côtés. Vivre de sa passion, quelle qu'elle soit, n'a pas de prix.
Ne pas oublier non plus les raisons qui vous poussent à avancer, celles qui vous confortent dans votre intime conviction. Pensez à ceux qui vous entoure ou vous ont accompagné un bout du chemin.
Pour ma part, je pense à cette prof d'éco-droit. Contre ses recommandations de début d'année, je me souviens d'avoir utiliser l'humour dans l'introduction d'une dissertation. En me rendant ma copie, elle m'a dit : "Je sais que je vous avais dit de ne jamais faire d'humour dans vos dissertations mais j'ai eu beau tourner la chose dans tous les sens, ce coup-ci, ça marche…". Je me souviens surtout du jour où elle m'a dit qu'elle aimait particulièrement lire mes copies, que j'avais une aisance à l'écrit qui lui plaisait beaucoup. C'est le plus beau compliment qu'on m'ait jamais fait et c'est un souvenir précieux auquel je me raccroche. Elle ne s'en souvient peut-être plus et j'ai sans doute donné plus d'importance à ses compliments qu'il n'y en avait réellement, mais cela a compté pour moi, d'autant plus venant d'une personne pour qui j'avais une haute estime intellectuelle.
Je pense à mon oncle, professeur d'université, metteur-en-scène et auteur spécialiste de Tintin, qui a été le seul à me dire que je pouvais y arriver. Cela ne lui coûtait pas grand chose et peut-être n'avait-il pas de raison objective de le penser, mais un encouragement de la part d'un homme de lettres est toujours bon à prendre.
Je pense à toutes ces fois où l'on m'a dit que je savais trouver les mots justes dans un courrier, et plus particulièrement ceux qui blessent ou ceux qui provoquent une réaction chez le destinataire. Je me plais à croire que j'ai, si ce n'est du talent, au moins des facilités dans l'écrit.
Enfin, je pense bien sûr à ma femme, à qui je veux prouver que ma vocation en est une, que je suis capable de le faire. Je pense en même temps aux enfants que je n'ai pas encore et qui préféreront sans doute avoir un papa bien dans ses baskets et intellectuellement épanoui.
Gardez espoir. Le monde il est pas beau, le monde il est méchant, mais je pense qu'il reste encore de la place pour tout le monde, que l'on peut encore arriver à son but, avec un peu de volonté, et parfois un peu de chance. Tout n'est pas figé et il reste encore des passerelles qui nous permettent tôt ou tard d'arriver là où l'on voulait aller. Pour se rassurer, il suffit de s'intéresser de plus près à ceux que nous admirons : ils ont souvent emprunté des itinéraires loin des parcours balisés de leur profession.
Dans le cas où tout serait immuable, il n'y aurait plus qu'à se tirer une balle. Je voudrais dire à ceux qui sont tentés par le suicide que je les comprends, j'y ai pensé aussi mais je vous en conjure, n'essayez pas, on en revient rarement. Si vous pensez renaitre de vos cendres et avoir droit à une nouvelle chance, j'ai peur que vous soyez déçu. Avoir le droit à une chance, c'est déjà beaucoup et ne la laissez pas passer sans rien faire. Au pire, vous n'avez pas grand chose à perdre à attendre la mort en vous donnant une possibilité de réussir. Soyons des mort-vivants, en somme.
Télécharger le fichier ePub, Kindle ou PDF de cet article.
Merci.
· Il y a presque 13 ans ·lou-crashstone
Merci. Je vais m'y remettre.
· Il y a presque 13 ans ·ernestin-frenelius