Ecrire, c'est...

Serge Boisse

Vieux comme le monde ? Et si on prenait cette litote au pied de la lettre ?


Ecrire, c'est susciter l'éclosion d'une fleur de sens. C'est faire jaillir de quelques traces d'encre une corolle d'émotion pure. Un miracle sémiotique qui ne doit rien au hasard pourtant, car il se répète depuis trois millions d'années. Car le premier livre des hommes n'était ni un papyrus, ni une tablette d'agile séchée. Le premier livre humain était fait de boue, et le premier signe écrit fut la trace de nos pas. Savoir reconnaître sa propre trace de celle d'une proie, d'un prédateur, d'un ami ou d'un ennemi fut le premier devoir de lecture de l'être humain. 

Et déjà ces signes imprimés dans la glaise ou l'humus pouvaient provoquer des émotions formidables. L'être humain se distingue du singe précisément parce qu'il était capable de cela, décoder les traces et les signes. Et en traçant une fausse piste à l'intention de ses ennemis, il écrivait déjà des histoires. Il avait déjà le pouvoir de raconter, préserver une histoire en la gravant dans la terre, la neige ou le sable. 

Je ne puis croire que l'invention de l'écriture telle qu'on nous la raconte remonte à seulement six mille ans. Non, pour moi les hommes savaient écrire bien avant cela. Simplement, de ces traces écrites, il ne reste rien.

Les hommes préhistoriques savaient dessiner. Ils savaient aussi écrire, mais il ne se servaient pas pour cela de papier, de papyrus ou de tablettes d'argile. Ils écrivaient avec des traces de pas dans la boue, des figures éphémères tracées sur le sable, des brins de fils colorés tissés ensemble, toutes choses qui ont disparu au fil des âges... Ou bien, si elles ont survécu, nous ne savons pas les reconnaître pour ce qu'elles sont. Qui sait, si certains silex taillés n'étaient pas des symboles ? Qui sait si les vénus magdaléniènnes  n'étaient pas le support d'histoires racontées, de contes transmis oralement mais enrichis par la présence d'objets magiques, porteurs de sens, évanouis depuis longtemps dans la poussière des siècles ?

Lorsque nous écrivons aujourd'hui, en frappant des symboles sur des claviers numériques, souvenons-nous que ce formidable vecteur de communication est, ne vous déplaise, vieux comme le monde !

  • Bien sûr ! C'est tout le thème abordé dans "Les limites de l'Interprétation" d'Umberto Eco, le grand maître de la Sémiotique, un ouvrage difficile à lire, je dois dire.

    · Il y a presque 6 ans ·
    Serge boisse136x136

    Serge Boisse

  • Il faut quand même distinguer le signe linguistique qui demande la faculté de produire une image mentale de la chose représentée et le signe non verbal qui relève de la sémiologie. :o))

    · Il y a presque 6 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

  • Joli, joli!

    · Il y a presque 6 ans ·
    1338191980

    unrienlabime

  • Les traces de pas sont des signes de reconnaissance. Merci pour ce texte qui ouvre une ou des réflexion sur le principal moyen de communication de l'homme: l'écriture, la parole grâce auxquelles on transmet nos vies, nos cultures, nos histoires.

    · Il y a presque 6 ans ·
    Coucou plage 300

    aile68

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