Ecrits Vains, Largo de Senespo - Un Conscient

Jaime De Sousa

« Tu ne t'investis pas, c'est tout. Je pense que tu as peur de te rendre compte que peut être tu n'es pas fait pas pour ça...Tu veux un conseil? Va au-delà de tes peurs ou tu n'avanceras pas...»

Mon frère, Tiago, avait toujours eu cette faculté de toucher des points sensibles. C'est pourquoi je l'aimais si fort, mais que je ne le lui prouvais jamais. Il venait de me déposer devant chez moi, et nous discutions sur le pas de ma porte.

«Peut être aussi que je ne veux pas des conseils d'un lecteur de Tuning Magasine?»

Pour ma part, j'avais toujours eu cette faculté à couper court à toute conversations en attaquant mes interlocuteurs avec une fabuleuse mauvaise foi.

« Largo,reprit sans sourciller mon frère, tu as de l'imagination.

Exploite la!

- Si j'avais de l'imagination, je n'aurais pas tant de difficulté pour écrire...

 - Tu imagines tout et n'importe quoi mano! Je pourrai te donner des tas exemples! Ça se lit sur ton visage quand tu pars dans tes délires!

- Mes délires?

- Façon de parler, c'est juste que...»

Tiago n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Une voiture de police venait de s'arrêter derrière sa Rover, stationnée sur un passage piéton. Mon frère alla à la rencontre des fonctionnaires, je restai de l'autre coté de la rue.

Les policiers sortirent de leur véhicule; à leur démarche je compris que ça n'allait pas être facile pour Tiago de parlementer. Les trois hommes de la Municipale avait envi d'en découdre; ils voulaient sans doute sauver leur journée fastidieuse. Dans un sens, je pouvais les comprendre. Ce n'était pas dans cette ville de l'est parisien qu'était B., où le nombre élevé de retraités frisait l'indécence, qu'ils allaient vivre des moments intenses.

J'imaginais déjà la poussée d'adrénaline qu'avait dû être la leur en apercevant la voiture expérimental de mon frère, avec ses portières de couleurs différentes et son état délabré. Ils avaient du dégainer en même temps leur carnet d'amendes, repérant l'infraction du premier coup d'œil, à la limite du gyrophare hurlant. Ils s'étaient arrêtés sur un espace dévolu aux personnes à mobilité réduite, mon frère leur avait fait remarqué, les papiers furent donc demandés. Tiago les donna de mauvais cœurs sans pour autant s'arrêter de négocier leur tolérance.

Je traversai pour écouter l'échange. L'arrogance des policiers et l'insistance agressive de mon frère me fit sourire. L'un des trois policiers le remarqua.

«Ça vous fait rire? Me demanda t-il.»

Je pris une cigarette et l'allumai.

«Vous me faites rire, je lui répondis en lui soufflant la fumée sur le visage.

 - Pardon?

 - Vous avez bien entendu.

 - Venez par ici!

 - Non.

 - C'est un ordre!

- Vous n'avez pas d'ordre à me donner.

- Vos papiers et fissa!!!

 - Venez les chercher.»

Le policier regarda ses collègues médusés, tandis que la sulfateuse verbale de Tiago s'enrayait. Sans réfléchir, je me mis à courir. Le policier jura et se lança à ma poursuite.

Je courrai ainsi au milieu des passants, les évitant, slalomant entre eux, sautant par dessus des étals sans les renverser. Je n'étais pas inquiet, j'étais même heureux. Je réalisais enfin un vieux rêve de gosses, celui d'être le héros d'une course poursuite avec des flics. Je voulais être l'adversaire sympa des policiers, celui qu'on foutrait en taule mais que tout le monde aimerait bien; le genre de type détendu dont la nonchalance ferait craquer toutes les filles.

Le policier était toujours derrière moi, il fallait que je m'en défasse. Je savais que je n'étais pas très loin d'un passage permettant d'accéder à la partie haute de la ville. J'accélérai pour en atteindre les marches que je gravis ensuite deux par deux.

Dans mon ascension, je croisai une magnifique femme; elle me sourit, j'aurai voulu m'arrêter.

Arrivé au sommet, je vis les autres policiers apparaître en début de rue, ils voulaient m'encercler. Ils ne m'avaient pas encore aperçu, je me cachai alors dans le renforcement d'une porte jouxtant les escaliers. Le premier policier, essoufflé, passa à ma hauteur et ne me vit qu'au moment ou je redescendis vers le centre ville.

La belle inconnue du passage s'était arrêté en milieu de parcours, me tendant une carte que je pris à la volée.

En bas des marches, Tiago m'attendait dans sa voiture, la porte passager ouverte; j' y plongeai avec une incroyable souplesse. Il démarra ensuite en trombe, les crissements de pneus accompagnant notre fuite dans les méandres du labyrinthe que constituaient les rues de B.

Mon frère n'arrivait plus à s'arrêter de rire; moi, je regardais béatement la carte de cette inconnue, qui me dévoilait son nom et le moyen pour la contacter...je souris...

« Monsieur?! Ça vous fait rire?»

Je clignai des yeux.

Les policiers étaient devant moi, me dévisageant et attendant une réaction de ma part.

Dans ma main, la cigarette allumée n'était plus qu'une tige de cendres brûlant mes doigts.

Mon frère, lui, m'observait d'un air amusé...

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