el delantal ou le tablier de mamée

il était noir en finette...brillant sur le dessus et laissant voir l'envers pelucheux...se nouant au dos à la taille et long comme le bon pain jusqu'à la cheville...il était aussi en satin épais, en coton percale à carreaux de parme rose et violet..les couleurs qu'il s'autorisait sur le noir du deuil connaissant peu le demi....et comme le kangourou, sa large poche à l'avant portait le torchon découpé dans les draps usés qui essuyait les verres...les traces de doigts sur la fenêtre..la poussière sur les morts en cadre sur la commode...et des lettres... aux écritures malhabiles ou policées de la ville....le coeur qu'on trimballait en espoir et en chagrin...
l'autre poche sur le côté enfouissait avec le large mouchoir de cholet du trousseau de jeune mariée un bric-à-bras d'épingles à nourrice, d'épingles à chignon, des bouts de ficelle et de corde et le couteau au manche de bois qui coupait la salade mais aussi les roses et le lilas pour les pierres au cimetière...
le tablier....il servait replié de manique pour sortir la tarte du four.. il tamponnait les larmes qui débordaient à l'impuissance des mains tordues pour les arrêter... il était aussi le panier des oeufs, des patates, des poires et des mauvaises herbes du jardin...on agitait un de ses pans en guise de soufflet pour activer les flammes dans la cheminée... on y a écosssé les jambes écartées pour coincer la soupière les petits pois les fèves et les châtaignes...on y a enfoui les doigts déformés par les lessives à la rivière pour les soulager ou les réchauffer...
et le dimanche... propre et repassé, c'était le coeur d'espérance des visites qu'il portait..
le tablier
nov 2019 d'après un texte de angèle fuentes