elle est une ile
Yves René Bonjour
Elle est une île
Il est des jours, il est des nuits, dans cette vieille longère au bord de l’océan, où je me prends à rêver que tu es endormie, près de moi, enlacée. Je ne fais plus un geste et je respire à peine, de peur que tu ne t’éveille et prenne ton envol. Alors je ne demande rien car je ne veux pas te perdre. Laisse-moi simplement t’attacher au fil de ma tendresse. Je voudrais mettre dans la balance de ton cœur le poids de mon amour : il est lourd, dense, obscur lorsque je le contemple. Mais lorsque tes yeux s’y posent, il devient léger et brillant de mil feux d’or, de diamants et d’opales.
Dans un port de nulle part, j’ai rencontré un vieil homme. Les mers et les océans ont caressé ses os, mouillés ses yeux et engloutis son âme. Et c’est pendant cette longue nuit, dans un bar si ancien et si sombre qu’il me semblait entendre la voix du Cap’tain Achab et le rire un peu rauque, à trop boire de mauvais rhums, de ce bon vivant de Long John Silver, que ce frère d’écume aux cheveux d’argent glissa dans mon oreille ce rêve d’aventure et de passion.
On murmure sur les vergues et dans les entreponts qu’il existe une île, qui porte ton prénom. Il renferme un trésor que nul ne trouvera, s’il ne possède une âme à toute épreuve et un courage de lion. C’est un havre de paix, une oasis d’amour mais tout homme qui y pose le pied est à jamais perdu, condamné à errer sur cette terre comme une âme en peine, éternel gardien, sentinelle du paradis.
Et en écoutant le vieil homme, j’ai pris la décision de larguer les amarres pour la plus grande aventure de mon existence. Mais sans toi je suis perdu. Tu es mon Sud, mon Nord, mon étoile polaire. Le bateau de ma vie erre sans but ; nul port où accoster, nulle joie à débarquer. Et sur le pont de ce navire je reste là, seul. Les voiles, sans le souffle de tes lèvres, pendent le long des mâts, inertes, immobiles depuis tant de temps que je ne sait si elles peuvent encore m’emporter. Elles attendent l’alizé qui m’emportera vers les rivages inconnus, où les nuits succèdent aux jours sans jamais de lassitude.
Et je pleure, laissant ruisseler mes larmes le long de cette coque de noix. Les gouttes argentées glissent dans le froid, la mer démontée. Elles ne pèsent pas lourd face à l’immensité de cet océan, mais je me plais à penser qu’il a été créé par les larmes des marins du Monde entier, qui rêvent comme moi et sanglotent sur un amour perdu.
Soudain, la tempête enfle dans mon cœur, tourbillonne et jailli sous la violence de mon désespoir. Un vent de renouveau rafraîchit mon visage et fait gonfler les voiles ; Je largue les amarres, allume les lanternes et vogue vers mon destin.
Le voyage semble long, seul dans cet esquif, au milieu de l’océan que j’ai creusé avec mes doutes, mes mensonges et mes craintes. Il a été rempli par les flots d’alcools qui m’ont enivrés à en perdre la raison et l’envie de vivre.
Dans cette mer sans fin se trouve englouti, dans les ténèbres les plus denses, l’amour que j’ai oublié. Je ne sais où il est et sonde, jour et nuit, les fosses abyssales. Je ne sais plus comment l’on aime, ne reconnais plus l’amour dans les yeux des autres. Insensible, j’enrage de n’être plus maître ni de mon corps ni de mon esprit.
Je voudrais tant ressentir cet émoi qui me chavirais dans ma jeunesse. Ce brusque souffle au cœur, la gorge qui se serre lorsque celle que l’on aime se profile à l’horizon et l’impression de se fondre en elle quand je la serrais tout contre mon cœur. Il reste en moi une parcelle de ce savoir mais je ne l’utilise guère, de peur de perdre le reste de mon amour.
Soudain j’entends, est-ce un mirage, des rires d’enfants et des gazouillis d’anges qui font monter du fond des mers des larmes de bonheur. Et j’aperçois enfin les rives de ton île. Je me jette à l’eau comme on se jette d’un toit, avec un grand cri…
Et après quelques brasses, je me retrouve sur le sable de ta peau, Robinson volontaire pour le reste de mes jours. Je boirai tes paroles, me nourrissant de ta beauté, vivant de ton amour. Et si tu as peur que je succombe aux chants des sirènes, sache que depuis que je niche au creux de ton corps, je ne veux plus nager car j’ai trouvé mon trésor.
Quelle belle preuve d'amour !
· Il y a plus de 14 ans ·princessesansdurillon
Superbe! comme ces mots sonnent et résonnent! merci à vous
· Il y a plus de 14 ans ·mlpla
Comme on aimerait y croire ... à cet océan d'amour !! Je fus une île , qui eut son Robinson.... mais seul le chant des sirènes ensorceleuses est immortel , et le trésor se noya dans le gouffre des amertumes !!
· Il y a plus de 14 ans ·Alors, surtout, bouchez-vous les oreilles Robinson, pour continuer à bercer votre île de doux accents poétiques !
moonaria