Elle intérèsse quelqu'un ma vie, merde ou oui ?

daniel-rebelou

    « L’homme des vœux Bartissol », sur Luxembourg. Dans la rue d’une ville - genre hurluberlu – un homme abordait tel ou tel quidam dans l’espoir de lui vendre une histoire cousue de fil blanc. A vous de le confondre : « Vous êtes l’homme des vœux !!! ») et – plouf ! - dans la poche, le pactole.

   Dans la poche ou presque… Pour voir la tirelire, s’agissait de produire une capsule prélevée sur leurs bouteilles ou de se contenter de ses yeux pour pleurer (petit a, petit b…). La plupart du temps, l’homme de la rue bazardait des excuses plâtreuses tandis que dans le poste une voix trompetait « Car vous, j’en suis sûr, vous le reconnaîtrez !!!» histoire de lui touiller le couteau dans le sang frais. Supplicier le malheureux en direct - pas de la gnognote !!! Les romains n’auraient pas fait mieux. (Plus d’un misérable s’arrachait les cheveux d’avoir égaré la « preuve d’achat »  – je vous jure, je l’ai toujours – TOUJOURS !!! – sur moi et – pan ! - juste cette fois.

  « Non mais quel couillon !!! » il ajoutait. (Entre « lui » et « lui » une forme de distance s’était établie…) Chez le million d’accros, c’était des grands « Oh !!! », des « Ahhhh !!! » de déception laissant en suspens la lampée de blanc ou la pomme noisette.  

  A peine posé dehors un pied, je balayais la rue en quête d’un individu doté des traits propres au fantomatique « accosteur masqué ». Dans cette obscure quête, un jour, je ferre un type violacé à l’abordage de tout ce qui passait à portée de voix pour délivrer un vibrant message d’amour et de paix dont ce qui m’a paru de graves insuffisances en terme de cohésion du discours verbal n’a pas manqué de me tirer l’oreille.

   L’homme m’inspirait moyen, c’est clair. Restait sa voix au timbre aigre et gras - éraillée à la Zappy Max dont Guy Lux fut l’ultime étendard. J’appris sur le tard qu’elle caractérise l’accent parigot.

  Avec dans l’idée de remettre en main propre à mon père Roland ce porteur de joies virtuelles pour qu’il en arrose copieusement la planète, je l’entreprends. (Capsule ou non – mon Père Tout Puissant apte à négocier haut la main le bout de gras !)

  « En route, mauvaise troupe ». Moi tirant par ci, lui ripant par là, vaille que vaille, je l’aiguille Rue de Saint Franc. Une fois franchi l’abrégé de portail tant bien que mal le pauvre gravit nos trois marches.

  A peine j’énonce qu’on tient là – qui sait ? - le porte flambeau de chez Bartissol - C’est lui ou pas ? Qu’est-ce t’en dis,’pa ???? » - qu’un bref démenti arrose de vomi le coin supérieur droit du palier d’accès.

    Futée, notre mère, n’a pas mis des semaines à se ranger à la conclusion que « ç’’était pas le bon » avant de se lancer - ailes grands déployés - dans un plaidoyer étourdissant : Lui jette pas la pierre ! Le petit n’y a pas vu malice.»  (Implorations : des pleins semi-remorques.)

  - Pas la moitié d’un pour rattraper l’autre ! renvoie Roland, l’air triste de triste et remonté comme c’est pas possible. Pas un, je te dis !!! (De la tristesse à la méchanceté, il n’y a qu’un battement d’aile : le regard pivota sur l’auteur de nos jours, sa « Luciole d’Amour ».) Avec 20, qui sait, j’avais une chance de pas gâcher le clair de ma vie sur terre à engraisser la colonie de dingos que tu m’as… que tu m’as… que tu m’as fait cadeaux ? (Un bref répit.) C’est même pas dit…

   Alors que j’entamais - plutôt stoïque - le compte à rebours de la baffe qui tient lieu d’acompte provisionnel : Tagada tsoin tsoin ! il a fait mon père.

   Là où j’ai cru voir une rieuse invite à la paix des braves, il conviait ma mère à fermer le ban.

  Si on se tient aux « vœux », Roland en a formulé une paire :

   - n’avoir pas été partie prenante dans le processus de conception d’un « crétin pareil » ponctué de flopées d’interrogatives à valeur d’auto-accusation : Mais qui m’a fait « ça » ? Qu’est ce que j’ai bien fait  pour mériter un fils aussi con que cet animal ???

     L’autre dans la même veine rétroactive dont j’ai plus souvenir – le numéro deux.

    - Là, j’aurai tout vu », a dit Roland qui avait, cela étant, fait le tour complet.

  Ensuite, il a eu cette promesse : Cette fois, rien jamais m’étonnera plus de ton abruti de fils ! 

  Les choses ensuite se sont tassées. Après un échange de phrases cryptées, l’ébriété pacificatrice de l’homme le rallia sans faiblir à la cause Mystico-Castriste. (« Heureux les éthyliques, ils s’extrairont de ce merdier sublime  pour une heure ou deux !»)

  Quand il eut servi à « ce frère en Jésus » un café bouillant enrichi du fond de roulement de thés bruns que Luce-Marie gardait pour les clients, Roland m’a regardé d’un drôle d’air.

  La voix a perdu dans les aigus tandis que dans sa tête, quelque chose a fait le joint avec « sa » jeunesse… Ses yeux dans les miens, il m’a adoubé d’une sorte d’ardente et nouvelle confiance. On aurait dit qu’il allait puiser quelque part très loin le souffle d’une ancienne complicité qu’on aurait sagement gardée secrète…Quelque chose qui disait qu’entre lui et moi dorénavant ce serait : « La vie à la mort ». Un truc aussi fort !  

  Qu’il pourrait, « lui », compter sur moi. Que je pourrais, « moi », compter sur lui de ce jour, disons, à plus l’infini…

  Une chose que les mots peinent à exprimer – mais très jolie ! 

   Et même si je pouvais pas ignorer que ça passerait pas la journée à venir, tout autant qu’à lui, ça m’a fait du bien.

- « Tu m’en feras pas d’autres ! », il a souri. Une sorte de phrase-rite pour sceller un pacte entre père et fils. « Tu m’en feras pas d’autres ! » plutôt comme on dit « Elle est bonne, celle-là !!!», que me mettre en garde contre toute récidive.    

  

   D’un geste rêche et plein de retenue, sa main droite est partie se caler sur l’omoplate du petit bonhomme qui lui faisait face.  

   - Sacré Toto !!!

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