J'écris à quelqu'un ...

mandragaure

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Parce qu’il n’y a personne …

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Je suis crevée en fait et je ne sais pas même pourquoi …

Je n’ai vu que quatre personnes dans ma taverne depuis ce matin …

Et mon réviseur d’entreprise, ce soir …

C'est tout !!!

Ma journée fut misérable, c’est comme ça, elles se succèdent et finissent toutes par se ressembler …

...

...

« Les choses vont mal partout » me dit mon réviseur d’entreprise, et du coup il faudrait que je trouve ça normal …

Je suis sur le pont du Titanic, c’est sans doute déjà mieux que d’être à fond de cale …

Je pense tout haut …

« C’est tout à fait ça, me dit le réviseur, nous sommes sur le Titanic !  Plus rien ne va … »

Vous voulez des exemples ?

J’en ai …

Non seulement le fait que plus personne ne passe la porte de ma si jolie taverne où on mange si bien, non seulement le fait que dans ma boîte à lettres je trouve de plus en plus souvent du courrier qui n’est pas le mien et que je refais moi-même la redistribution dans la rue et même plus loin, non seulement le fait que quand il faut téléphoner dans une administration on prend la déroulante déferlante voix mécanique qui te dis « poussez sur le 4, tournez à gauche, faites le carré, faites le trois, prenez à droite, revenez en arrière, tapez les cinq premiers chiffres de votre numéro de client, prenez droit d’vant, tapez le deux, puis le trois à moins que le sept si tu veux parler en lingala », non seulement le fait qu’on te vend du périmé et si t’as rien vu tu r’pass’ras non pas seulement tout ça mais tout le reste …

Oui tout le reste …

Tu dois 123,36 euros à l’ONSS qui t’en doit 1573,87 euros ? Tu payeras d’abord et tu seras remboursé dans deux ans parce que l’ONSS ne rembourses jamais avant deux ans …  Mais toi tu payes au plus vite sinon tu s’ras assigné ! La TVA te doit de l’argent ? Ils viennent te faire un contrôle avant de te rembourser résultat après le contrôle c’est toi qui leur en dois !  Non seulement tu restes mal parce que ta bagnole sort du garage avec une note de 1537.83 euros (Pneus, boîte de vitesse, alternateur, freins, contrôle technique) et tâche de les trouver sinon tu iras à pied !  Non seulement parce que si tu as besoin d’un dépanneur pour ta machine à café le gars n’est pas encore arrivé dans le comptoir que déjà tu lui dois 50 euros pour être juste venu jusque là pour voir ce qu’il faut réparer … Non seulement parce que tu cherches un avocat valable pour te défendre contre un employé indélicat et qu’il n’ouvrira le dossier que quand tu lui auras déposé une provision de 1200 euros et trouve les sinon ben tu perdras ton procès …

Non seulement  …

Mais tout le  reste …

« Oh mais vous n’êtes pas la seule » me dit le réviseur d’entreprise et le voilà parti dans l’énumération de tous ses clients qui sont en faillite ou presque et qui ne s’en sortent plus, et qui bouffent des médocs à crever pour tenir encore le coup et dont, tout comme moi, les charges dépassent de loin les recettes ce qui au total, quand on sait compter, signifie tout bonnement le déficit, dont le synonyme s’appelle inévitablement la faillite.

Et je frémis …

...

...

Tu t’accroches à ce qui ne tient plus …

Tu essaies d’y croire encore alors que tu vois bien que rien ne va plus mais bon …

T’es pas toute seule hé il y en a plein qui vont mal et qui ne suivent plus …

« Nous coulons » lui dis-je au réviseur, « Nous coulons et qu’allons nous devenir » …

Et lui de me répondre

« Bien sûr oui, nous coulons …  Nous allons droit dans le mur et il n’y a plus personne aux commandes qui soit en mesure d’arrêter ça … »  Réjouissant non ?

Je me dis qu’un de ces quatre matins je vais aller m’installer le long du canal, j’ai là une très vieille petite caravane, et advienne que pourra …  J’irais à la pêche aux carpes, au moins si elles ne causent pas c’est parce qu’elles sont muettes …  Et voilà …  Je ne deviendrais pas salariée, j’ai essayé ça ne me va pas de m’incliner devant potentat et de toute manière il n’y a plus de métier …

Plus de salaires plus d’emploi …

« Le monde court à sa perte, et tous nous le savons, nous le voyons bien nous réviseurs, c’est tous les jours que  nous sommes confrontés aux drames des faillites et des fermetures et des dépôts de bilan » …  S’il le dit, depuis le temps que je le connais et qu’il s’occupe de mes affaires je peux lui faire confiance …  « Hier nous avons du vendre un bâtiment d’un client, expertisé à 235.000 euros il est parti en vente publique pour 48.000 euros même pas de quoi rembourser sa faillite …  L’homme est à genoux »

Ben voyons …

Et qui tiendrait debout ???

Je vais devenir quoi me demandé je à part moi ?...

Ecrire des livres sur du papier chiotte et les vendre en brocante ???

Mais c’est pour rire …

Je suis venue parler à quelqu’un parce qu’il n’y a personne …

Je sens rôder autour de moi des histoires pas drôles et j’ai peur …  La petite épicerie d’à côté s’est transformée en vidéoclub pour pouvoir ouvrir plus tard le soir …  Le magasin de journaux va fermer parce qu’il n’a plus d’affluence depuis qu’on a barré la route pour faire des travaux, ça va faire un an que ça dure et puis déjà qu’ils n’avaient plus de clients et puis ça merde et c’est comme ça …  Alors la petite épicerie devenue vidéoclub vendra aussi les canards …  Le soir …  Il n’y a plus de gens, plus personne dans les rues, à partir de 8 heures le soir et même avant on se croirait en couvre-feu dans un pays de l’est c’est misère et tout le reste …  Je jette quant à moi plus de nourriture que ce que je parviens à  en vendre, du coup je ne cuisine plus …  Je faisais tous les mercredis du pain, une dizaine de bons pains et quelques fougasses que je parvenais à vendre aux clients, aux habitués …  Il n’y a plus de clients …  Il n’y a plus d’habitués …  Il n’y a plus rien …  Et pour moi toute seule allumer le grand four pour deux pains ?…  Au prix où on nous facture le courant c’est foutu je ne peux plus …  Alors je ne pétris plus qu’une fois par mois, et je congèle et ça ne ressemble plus à rien …  Qu’est ce que je vais faire ?...  Qu’allons nous faire, qu’allons nous devenir ?...  Je me dis que je vais transformer la taverne en quartier général, que je vais faire la révolution mais bon …  Qui va me suivre ?…  Soupe populaire ?  J’y pense aussi …  Repas à pas cher ?...   J’y pense aussi oui …

Je suis fatiguée et j’ai peur …

Ma taverne c’est un peu comme mon atelier, j’y œuvre et j’y crée des œuvres …

Un pain est une œuvre, un plat du jour est une œuvre, une exposition est une œuvre, un film suivi d’un débat est une œuvre, une conférence est une œuvre, un concert est une oeuvre mais s’il n’y a plus personne pour venir en profiter de ces oeuvres je vais faire quoi ?...  Les gens, les petites gens auxquelles s’adressent mon œuvre n’ont plus de quoi sortir même quelques deniers pour en profiter …

Alors …  Les donner ?...

« Ah non tout de même ! » rétorque le réviseur d’entreprise « Ca suffit comme ça les déficits … »

Ah oui, les déficits …  J’oubliais …  Un tiers de charges en plus de la recette pour l’exercice passé et voilà c’est foutu faudra abandonner ???

Je déguste …  C’est le mot …

Les concerts c’est même plus la peine non plus, il n’y a plus que des spectateurs sans le sou et comme je suis d’avis qu’on ne peut obliger personne à consommer ben voilà, les soirées concert me coûtent plus qu’elles ne me rapportent …  C’est ainsi …  Les soirées ne sont plus que des esquisses. Il n’y a plus d’œuvre aboutie, il n’y a plus que des œuvres inachevées faute de pouvoir les continuer …  Même si je suis convaincue que tout est en perpétuel devenir faut pas s’leurrer …  Ici nous entrons de plein pied dans l’impossible à finir …

Idéaliste à crever comme je peux l’être je veux encore y croire et je m’accroche comme une punaise à des demains chantants mais bon …  Ce qui me paraît extraordinaire c’est que de plus en plus les gens me semblent endormis, abrutis (dans le sens sonné ou assommé ou trépanné) et que personne ne réagit …

Maintenant si vous trouvez que je suis défaitiste ou désenchantée, tournez la page et ne lisez plus ou allez lire ailleurs …  Pour rire de ces temps il n’est plus l’heure …  Je ne pourrais que difficilement vous conter fleurette alors qu’il fait sinistre et obscur …  L’’argent n’a jamais été mon moteur ni ma motivation mais les réflexions obligent à la raison et comment tenir si le peu que l’on parvient encore à réaliser ne suffit plus pour payer le beaucoup qu’il faut assumer …

Pas d’chance ?  C’est un échec ???

Non …

Je l’avais sentie venir moi la marée montante, depuis le mois de mars 2008 déjà je la sentais et la prévoyais …  Et mon livre de caisse, d’ailleurs, je pourrais l’utiliser en graphique ou en diagramme il représenterait exactement la réalité économique globale …  Ca descend beaucoup et tout le temps, ça remonte de temps en temps mais très peu et puis ça redégringole à nouveau …  On perd vachement du terrain et 2009 n’a fait que de nous engloutir le peu de réserve qui nous restait …

Rien de neuf à l’horizon ?  Non …

« Nous en avons au moins pour trois années encore et personne ni rien ne permet de dire que nous allons nous en sortir » dixit le réviseur qui essaye de me remonter le moral, enfin il le croit, en me racontant tout ça …

Je parle à quelqu’un parce qu’il n’y a personne …

Nous sommes dans la logique du gagnant qui gagne …

Celui qui a des tunes, c’est bien connu, en période de débâcle il peut s’arranger pour en avoir de plus en plus …

« C’est bien connu oui … » me répond le réviseur comme un perroquet …  Non …  Je ne suis pas sympa là, il n’y peut rien … « Je n’ai jamais autant mis costume et cravate que ces dernier mois tellement je me trouve sans cesse devant des tribunaux du commerce, des commissions de rogations, des commissions de dispense et des avocats »

Ainsi me dit-il mon réviseur d’entreprise …

Et moi je ne parle à personne …

Je ne vois plus personne …

Parce qu’il n’y a plus personne …

Je continue de nourrir ma vie de ci de là des quelques conversations par ci par là que je peux tenir encore avec les quelque ceux qui d’aventure viennent s’arrêter un moment en mes lieux et cela me reste  précieux. Mais à force d’aller sans plus rien pouvoir réaliser je rentre tête baissée dans le mur et sous peu je risque de me retrouver dans le vide, suspendue, et plus rien à mettre dans mon assiette …

Déjà que je mange en général plutôt par cœur …

Il est vrai que l’œuvre culturelle a rarement gagné de quoi vivre sa vie dignement mais jusqu’à présent, enfin jusqu’à hier ça fonctionnait comme ça pouvait, modestement …  Très modestement …  Chétivement …  Mais ça fonctionnait ...

Aujourd’hui ce n’est plus la galère …  C’est le naufrage …

A moins de me recycler …  De vendre mon âme à Belzébuth …  De me transformer en taulière, de me peindre la face ou de me mettre à montrer mes nichons ou mon derrière …  Ou de tricher …  Ou de compter double ... Ou d’accepter que l’on vienne se bourrer la gueule sans que je n’en éprouve ni remords ni regrets …

Inutile même d’y penser …

Si l’on veut gagner du pognon, comme ils disent, il faut accepter de produire et de faire ce qui est demandé …  Sans se mettre à réfléchir ni à penser …  Sans états d’âme précisément …  Faire ce qui arrange et non ce qui dérange …  Devenir rentable pour le sauve-qui-peut …  Et surtout faire semblant de prendre le tout avec philosophie …   Je ne le puis ...  Je n’ai pas le talent du marketing d’ailleurs je trouve qu’il a aussi peu de rapport avec la création qu’un moustique avec un mouton …  Créer pour moi n’a jamais signifié vendre …  Faire recette se devrait d’aller de soi et non par la force des choses …  Ce n’est plus du tout le cas …

Alors ?...  Coule navire ???

J’ai échappé au mimétisme parce que je suis tout bonnement née sans …  Je n’avais pas de bon modèle dirons nous pour faire court …  Je ne me calque ni ne me copie …  Et sur mes principes et idéaux je suis sans concession …

« Oui mais tout de même » …  Tente le réviseur …  « Il faudrait savoir ce que vous allez faire … Et choisir … Commerce ou culture » …

Nous en sommes là donc ???  Alors c’est que l’heure est grave et même gravissime …

Pas mal de créateurs ont cette faculté de se mouler …  Moi non …

Beaucoup d’entre eux ne se posent plus trop de questions …  Ca se vend ???  C’est qu’c’est bon !...  Ils visent juste, comme au vogelpik, par opportunisme ou par chance ou par flair ils tombent pile et c’est dans la poche …  Bien d’autres visent à côté et se soumettent, produisent, fabriquent et se rendent rentables …  Moi, non …  Je n’y arrive tout juste pas …

Alors ?...

Je pense que les créateurs qui veulent rester au plus près de leur âme dérangent et sont poussés aux extrêmes limites de leur endurance …

Là il n’est même plus question de créer …  Il est question de "manager" …  Faudra-t-il trouver un revenu de survie par des moyens annexes ?  Hélas, je le crois, oui …  Pour pouvoir continuer à donner de mon œuvre ici, pour conserver la pureté de sa nature, il me faudra, au regret, trouver un revenu de survie …  Et encore …  Où et comment ?  J’ai le sentiment d’être prise dans une tenaille …   Abandonner mon œuvre c’est comme de m’abandonner moi-même alors autant m’emmurer vive dedans …

Je sais maçonner !...

« Mais il ne faut pas vous mettre dans de pareils états voyons tout de même » …  Toujours le réviseur …  Evidemment que non voyons …  Il ne faut pas se mettre dans des états pareils …  Alors que la situation ne fait que d’empirer …  Et qu’il ne vienne pas me sortir le chapelet de ses exemples de cas particuliers …  Je hais !...  Ce que je comprends de mieux en mieux c’est que si j’avais la capacité, ou le talent, de fabriquer de la merde payante et de la fourguer l’air de rien à de crédules clients je m’en sortirais …  Je vois que ça marche pour certains …  Je vais quoi faire alors ?  Transformer ma taverne en vidéoclub ?…  Ah non …  C’est l’épicerie d’à côté qui en a eu l’idée …  Ma taverne elle est culturelle et elle le restera !…

Ou alors elle mourra …  Avec moi …

« Je sortirais d’ici les pieds devant » que je lui dis au réviseur « ou je n’en sortirais pas, c’est tout vu !!! »

Il ne répond pas …  Eberlué …

Pourquoi devrai-je donc me laisser descendre dans les égouts pour rester debout ? Je refuse !...  Net !  La question ne se pose même pas …  Pour moi …  Et pour tant d’autres comme moi …  Une seule fois déroger à mes principes de vie et je suis foutue, je deviens traître !

Demain, le monde sera fait de quelques riches rentiers, de beaucoup de loups du marketing et d’une flopée de malheureux …  Parmi lesquels les créateurs honnêtes, intègres et généreux …  Qui ne parviennent pas à calculer …  Voilà ce que je crois …

Ma taverne a toujours marché sur une patte …  La voici devenue cul de jatte …

« Mais il ne faut pas le prendre comme ça »  me dit le réviseur …

Il essaye quoi ?  De me consoler ?  Le réviseur ?

Si je vis pour créer il me semble naturel de pouvoir aussi ‘en vivre’ et pour moi en vivre ce n’est pas d’accumuler les deniers mais tout juste d’en gagner assez pour pouvoir continuer à créer …  Créer pour vivre en conservant la particularité d’un renouveau constant, de l’originalité, de la terra incognita …  Voilà mon option, mon idéal …  En dehors de cela, je suis apatride …  Vendre pour vendre n’est pas mon talent, vendre pour m’enrichir n’est pas mon rêve et vendre pour survivre n’est pas mon choix …

« Alors il faudra arrêter … »  Encore le réviseur …

« Jamais ! »

Je crie oui je crie ...

« Jamais vous m’entendez !... »

« Pourtant il faudra bien …  Si vous n’arrivez plus à nouer les deux bouts … »

Nouer les deux bouts !…

Encore une de ces expressions que je hais …  Comme celle de devoir tirer le diable par la queue !...  Pourquoi ?  Parce que je veux créer, apporter de l’oxygène, un bol d’air frais aux méninges, de l’originalité ?  Pas vendable en ces temps de disette, déjà en période de vaches grasses c’est risqué ?...  Oui je le sais …  Pourtant …  Je reste persuadée qu’il faut persister …  Qu’il faut combattre l’économie d’abondance et de consommation en lui opposant la curiosité culturelle …  Le désir de découvrir du neuf, toujours.  Je n’ai jamais cru à la culture payante ni surtout à la publicité pour la booster …  Je crois que la création est culture et que la culture appartient à tous …

Mon adage, que dis-je, ma devise a toujours été et sera

« Le capital au service de la culture.  La culture au profit des gens »

Je m’obstinerais toujours à fuir le consumérisme qui détruit toute forme de renouveau …  Qui ne fait que de couler toute création dans les moules de la grande distribution …  Je refuse le principe de la consommation culturelle tout autant …  Je crois et toujours le croirais que la création, l’œuvre sont chose unique et propre à chaque créateur et que c’est dans la découverte de cette unicité que peuvent s’ouvrir les esprits et que le monde pourrait, je ne dis même plus pourra remarquez bien, que le monde pourrait (si encore c’est possible dirons nous) que le monde pourrait avancer …   Les œuvres des créateurs servent et doivent servir à cela …  A alimenter dans les esprits le désir d’aller plus loin, toujours plus loin et au-delà  dans la découverte et dans la curiosité …  Si ma taverne était une taverne comme les autres, si je faisais de ma scène une scène de karaoké, si mon grand écran servait pour les retransmissions du « moundial » comme déjà d’audace crasse il me fut proposé, si j’acceptais d’exposer sur mes murs des croûtes, des copies ou des posters à bon marché, elle ne serait plus culturelle !!!…  Elle deviendrait commerciale et ce n’est pas à cela que je l’avais destinée !...  Ce n’est pas pour ce genre de merdier que je l’ai créée …  Si je devais « vendre » ma scène à des artistes ‘full de fan’ et pauvre de musicalité je serais complètement à côté de ce que j’ai voulu créer …

Et je mentirais à tout qui la fréquenterait …

« Mais vous n’avez plus de clients pour ainsi dire enfin …  Avec des moyens pareils, au moins vous en auriez ! » …

Non, je le sais …  Il n’y a plus de clients pour ainsi dire non …  Parce que mon public est un public qui n’a pas de deniers …  Et que pour pouvoir m’en sortir tout juste il faut du monde oui, parce que c’est l’union qui fait la force et que « le monde », chacun avec son minimum de contribution, ça fait la caisse …  Mais il n’empêche …  Je ne vais pas me transformer …  Inutile de plaider …  Des « moyens pareils » jamais je ne les utiliserais …  Dussé je en crever la bouche ouverte ouais !!!  Créer c’est ma richesse et c’est la richesse de tout créateur …  Et tant pis ma foi si je deviens une espèce de paria qui crèvera de faim  …

Je fulmine …

Je trouve scandaleux que des banquiers véreux, des ministres incapables, des chefs d’entreprises obèses et opportunistes gagnent dix fois, cent fois plus qu’un peintre, un musicien, un écrivain, un sculpteur, un acteur …  Je trouve honteux que des « stars » gagnent des dizaines de milliers d’euros pour quelques jours de tournage sans avoir nul talent …  Je trouve scandaleux que des marketeux stupides et crétins parviennent à se faire du profit en farcissant la tête du peuple d’images, de cochonneries et de slogans trompeurs et mensongers et s’engraissent, s’enrichissent alors que des créateurs intègres, dans le sens propre de la création, ne parviennent pas à manger à leur faim et même pas, nous ne demandons même pas de manger à notre faim, nous demandons juste de pouvoir continuer nos œuvre !...

C’est trop demander ?

« Vous êtes une idéaliste !...  Vous ne referais pas le monde !... »  Conclut le réviseur …

La phrase qu’il ne faut jamais me dire !

Parce que bon dieu d’bon dieu je l’sais bien va que je ne r’ferais pas l’monde je l’ai compris enfin depuis bon temps …  Mais je peux le créer mon monde !...  Un monde où à plusieurs nous nous sentirions bien !...  Je veux juste continuer à œuvrer, ici, dans ma taverne …

C’est trop demander ?

Ceux qui détruisent le monde, ceux qui détruisent la planète, les vrais responsables de la catastrophe dans laquelle nous sommes en train de nous enliser sont pour plupart riches à en squetter …  Ils ne pensent pas à l’avenir de tous, ils ne pensent qu’à eux …

Nous sommes loin …

« Oui, nous sommes dans une grave impasse …  C’est un fait !  Pour le moment nous prenons un mauvais chemin, un dangereux chemin …  Et nous allons droit dans le précipice c’est le vrai …  »

Au moins ça il peut l’admettre, le réviseur …  Alors pourquoi ne pas permettre à ceux qui peuvent peut-être, justement par la création et le renouveau, ouvrir l’impasse par le culturel, par le partage, par l’esprit non mercantile ?

« Vous rêvez … »

C’est le mot de la fin …  Je n’ai pas cru bon de le relever …

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Ce matin même j’ai appris qu’un entrepreneur de bâtiment qui vit et officie quatre rues plus loin, brave type de 37 ans, quatre enfants, une épouse sympa l’aidant à bien gérer son affaire …

C’est pendu …

Je le connaissais pas mal bien …  Il venait de temps en temps prendre un verre avec l’un ou l’autre de ses ouvriers, écouter un morceau de musique, raconter des histoires de chantier …  Quelquefois ils venaient tous les deux, elle et lui en amoureux, je leur faisais la table, ils étaient ravis et c’était bien …

Il s’est pendu !  Dans son garage …

Un brave gars …  Vraiment un brave gars …

Le carnet de commande ne se remplissait plus, les clients payaient de moins en moins bien, les ouvriers il avait de plus en plus de mal à les rémunérer, les dettes et les créances commencaient à s’accumuler …   Et voilà …

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Je suis fatiguée, éreintée …

Je parle à quelqu’un parce qu’il n’y a personne …

J’en ai assez d’entendre et de voir autour de moi que tout va de travers …

Il s’est pendu …  Il n’est plus …

J’en suis restée pétrifiée …  Ca ne passe pas, c’est dans la gorge et pas moyen j’ai beau déglutir je me dis c’est comme ça …  Faudra s’faire à c’t’idée là aussi …  Je tournais il y a quelques jours la dernière page du « Magasin des suicides » …  Je viens d’apprendre que je vais devoir probablement déclarer faillite …  Et patatras, voilà que j’ai un suicide sur les bras…  Un bon gars, créateur dans son genre, dans son style …

Loyal …  Courageux …  Pas vénal …  Juste travailleur et généreux …  Ca fait peur ?

Bien sûr que oui tiens qu'ça fait peur …

Et ça m’écœure …

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Mandragaur'En Individu'Elle

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