ELOGE DE LA MEDIOCRITE

Hervé Lénervé

Un conte d’amour au pays des mille et une nuits.

Allez, une dernière pour la route ! « The last one.» Comme disent les pakistanais. Nous sommes d'ailleurs au Pakistan au temps des tapis volants. La situation se passe dans un palais, celui où une belle princesse, comme il se doit, l'était tant qu'elle devait vivre entièrement voilée, de la tête aux pieds pour ne pas susciter un Amour destructeur de tous les habitants mâle du pays et une vengeance jalouse de toutes les femelles de la même contrée. Cette incommensurable beauté vivait donc cloîtrée dans l'ignorance de son apparence, seuls ses parents, le sultan et son épouse la soutane avaient le privilège de la regarder et sans cesse, de lui vanter la finesse de ses traits, la vertu de ses manières et le charme ensorceleur de toute sa personne, elle était unique et comme toute unicité il fallait la protéger en l'enfermant, elle était prisonnière de son excellence. Elle se regardait longuement dans les miroirs et se pâmait à sa propre image.

Pourtant, il ne faut rien de moins qu'une telle histoire pour créer une renommée, une légende même et celle de cette enfant s'accrut bien au-delà des frontières de l'état, dans le pays voisin le Cachemire où vivait un prince au doux visage dont la beauté n'avait pas d'égale, il pouvait néanmoins vivre exposé aux regards de tous, car même s'il déclenchait des émois, il était homme et en avait, lui, le droit. Des jeunes femmes se damnaient en le voyant et des jeunes hommes en perdaient le boire et le manger face à leur médiocrité révélée par sa présence. Seulement le prince était victime de son propre rayonnement, car aucune femme, à ses yeux, n'avait assez de chaleur pour susciter une flamme dans son cœur. Il finit par entendre parler de celle dont on disait être la merveille des merveilles et n'écoutant que sa jeunesse, son hardiesse et sa richesse notre altesse diligenta une caravane pour demander la main de la belle à ses illustrissimes parents. L'arrangement des fiançailles fut rapidement conclu par les parents, expédié dirions-nous, entre les deux enfants, entre les deux pays et tous ici, comme nulle part ailleurs, se réjouirent de cet heureux dénouement, ils avaient bon cœur les déshérités des lignées, les démunis de la vie, ils aimaient être bercés par des contes naïfs, se baigner dans l'eau de rose. La princesse allait enfin être prise pour épouse et prise tous court, mais ne soyons pas vulgaires, des enfants écoutent derrière les mots et dessous leurs airs innocents. Cette nouvelle était ressentie comme une libération par la gentille population et une délivrance pour la captive.

Une rencontre entre le prince au doux regard et la princesse à l'incomparable beauté fut prestement organisée.

Les deux jeunes gens étaient face à face  à présent, le prince dans ses plus beaux atours, costume hermany, short à bretelle en peau de veau et chaussettes montantes à pompons, la princesse drapée dans ses voiles les plus fins, burqa made in china.

Le prince s'approche de l'Hygiaphone de la belle, un grillage de lin à travers lequel il n'y voyait goutte. La princesse toute vêtue était déjà sous le charme du prince court vêtu.

-         Veux-tu que je lève le voile comme « le frêle esquif sur la mer sombre » abat les siennes, que je me dévoile à toi, mon tendre marin d'Aladin.

-         Fait ! Je te prie, ma joie, je ne peux en supporter davantage, l'attente me tue, tue-moi plutôt de ta beauté.

La caravane du prince héritier quitta le Pakistan plus vite qu'elle n'était venue, en toute hâte, en tout désordre, semant, de-ci de-là, les présents destinés à l'élue. Au Cachemire tricoté main, le prince convoqué par ses parents leur tînt ce langage.

-         Le laidron des laidrons ! Il n'y a pas d'autres mots, une pouffe comme il ne m'a jamais été permis de voir, à y repenser j'en ai encore des frissons d'horreur et de dégout.

 

Ainsi la belle, qui ne l'était pas tant, alla s'enfermer dans un ordre où on ne la revit jamais de tout temps. Quant au prince isolé par sa beauté il finit seul avec des manies de vieux garçon dont il se rapprocha, nous dit-on, tout écœuré qu'il était par la gente du sexe opposé. 

Moralité : Vive la normalité de la médiocrité !


PS. Une dernière pour la route, car je prends celle des vacances bien mérités. Je vais me faire plus rare ces temps-ci, je me raréfie comme un gaz, je gaz pars dans des contrées vierges d'Internet. Un retour à la vie sauvage en quelque sorte ou l'homme, incroyable, sait encore vivre sans téléphone portable. Il va falloir apprendre à vous passer de moi. Je sais, ce sera dur, mais j'ai confiance en vous mes petits amis virtuels, vous y arriverez. Je reviendrai si les autochtones ne m'ont pas cuisiné au court-bouillon dans un grand chaudron magique. A bientôt, peut-être.


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