Emilie au miroir ou Femme se coiffant
rosabella
Il est bien connu qu’une femme de mon âge, à peine 30 ans, n’a plus d’attrait et qu’elle finira vieille fille. C’est désolant et je suis la première à le regretter. Mon seul plaisir est dans la toilette. Tout ce que Paris compte de chapelier, de tisserand ou de cordonnier est passé par mes appartements. Une jeune femme de mon rang se doit d’être à la dernière mode en ce début de siècle. Je sors toujours plusieurs tenues de mes placards avant d’en choisir une, puis je passe des heures à me préparer, assise devant ma coiffeuse. Il est difficile d’être belle et la jeunesse est bien ingrate de s’être ainsi enfuie après tout ce que je lui ais sacrifié. Mais c’est ainsi. Je me rattrape en dépensant l’argent de mon vieux père avant qu’il ne s’en aille aussi, me laissant sans protection.
Voilà que je philosophe encore devant mon miroir. Il faut dire qu’il y a tant d’épingle à mettre dans une coiffure que l’on a le temps de penser à autre chose. C’est une chose que je tiens à faire moi-même. J’ai passé l’âge d’avoir le crâne piqué par des servantes incompétentes et je ne tiens pas à ce qu’elles voient mon visage sans fard pour ensuite raconter à tout va combien mes rides sont profondes. Non, je préfère rester seule, assise là, sans personne, sans bruit, sans cri, dans la solitude de ma vieillesse…
Mais qu’est-ce que je raconte ? De nombreuses femmes ont trouvé un époux après trente ans. Evidemment, elles étaient souvent veuves et riches de la fortune de leur mari. Mais Dieu soit loué, je ne manque pas de fortune et veille à ce qu’aucune de ces jeunes demoiselles à peine sortie du pensionnat ne soient admises dans mon salon.
A propos de salon, il est temps que j’aille accueillir mes ôtes. Ils doivent connaitre les moindres détails de ma décoration depuis le temps qu’ils attendent. Heureusement que je suis une femme intelligente, avec de bonnes manières et de la conversation. Mon salon est prisé de ces nouveaux intellectuels et beaucoup me font la cour.
Un dernier regard dans le miroir, je suis à mon avantage ce soir. Mais que vois-je ? Je n’avais encore remarqué cette horrible couleur sur les murs de ma chambre. L’orange est dépassé depuis au moins six mois, cela ne va pas du tout. Je ferais venir demain le tapissier.
Je suis radieuse, je le sais, j’ouvre donc la porte de ma chambre avec conviction pour faire mon entrée dans ma société.
« Eh bien Fanny, personne n’est encore arrivée ? ils devraient pourtant être là à m’attendre !
Comment cela, ils ont tous décommandé, cela est impensable ! »