Ensemble

aile68

Laisser traîner un dessin dans un coin de table, écouter cent fois la même chanson, le même refrain, trouver un brin d'amour dans un couplet tout simple, c'était plus simple la vie à la fin de l'été. On avait refait des confitures à la mure, à la pomme on les avait cachées dans la grande armoire du couloir, c'était un secret de Polichinelle, tout le monde le savait. Après le passage des enfants on savait tous qu'on retrouverait la porte mal fermée, c'était pas grave, on jouait le jeu. Les jours d'école, silence dans la grande maison, on n'entendait que les aiguilles à tricoter qui faisaient tic tic et le bruit de la bouilloire à quatre heures. On sortait alors les biscuits de leur boîte en métal et on croquait dedans en se mettant plein de sucre sur les doigts. Amy et moi on aimait ça quand les enfants venaient le mercredi après-midi, on sortait les confitures à quatre heures et on faisait des "tartines de luxe" disait le petit dernier.

Il y eut une maison remplie d'enfants, Jérôme, Magali, Sophia, Cédric et puis Emilie et Solène, quand ils étaient tous là on se mettait dans le jardin ou dans le garage transformé en grande salle de réception. Amy c'était la bonne mamie, j'étais le grand-père bougon au bon fond qui ne disait rien. Dans mon potager je retournais la terre, plantais des patates et des carottes pendant qu'Amy enterrait de pauvres oiseaux avec les plus petits. Tout était si simple parfois! Et puis les enfants grandirent mais toujours leur visage se grisaient derrière les vitres pleines de givre en attendant Noël. On continua à leur faire des "tartines de luxe", à la myrtille, à la groseille, le pommier ne donnait plus. Et puis un jour on se sentit plus fatigué que la veille et l'avant-veille, Amy rangea ses aiguilles à tricoter dans l'armoire à côté des confitures tandis que je mis de côté ma pauvre binette.

La vie, l'âge nous avaient rattrapés, il était loin le temps où l'on écrasait la neige de nos bottes courageuses pour aller travailler. Notre vieillesse se berçait de couplets et de refrains qui continuaient de chanter l'amour et les glycines sur la façade des vieilles maisons. Les enfants partaient vivre dans les grandes villes, leurs parents ajoutaient des bougies à leur gâteau d'anniversaire. On s'accrocha l'un à l'autre comme un blessé à sa béquille, les pots de confiture se firent plus rares jusqu'à disparaître de la grande armoire dans le couloir. Vendrait-t-on la maison? Il en fut question pendant un temps et puis finalement pas. Trop de souvenirs, de photos, d'enfants, de petits-enfants... Le curé était un ami, nous étions de drôles de paroissiens. On évoqua des choses évidemment, on prit des dispositions pour ne bousculer personne le jour venu...

Il ne reste que le présent pour nous accompagner maintenant Amy et moi, et de belles visites. Nous aimons toujours les fins d'été, une période où l'air est bon, agréable. Cela fait longtemps que l'on ne fait plus de tartines, de luxe ou ordinaires. Les enfants viennent de temps en temps, toujours contents, toujours heureux de nous revoir. Le plus grand a déjà des rides au coin des yeux. On préfère ne pas faire la photo avec les différentes générations dessus. On a jamais bien suivi l'ordre chronologique dans les albums de la famille, mais plutôt notre bonheur d'être ensemble, ensemble.



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