Enterrés
jones
Dans le ventre de l’animal, enterrés, filant dans le boyau, les visages comme des masques et les néons qui clignotent. Au fond des yeux, les regards, sous les tissus, les cœurs sourds, les réseaux de veines palpitantes et de chairs irriguées, fatiguées, qui ronronnent à couvert. Dans l’espace, la tectonique des peaux, des souffles et des voix, babil siphonné par le bringuebalement. Le cocon métallique roule sous la terre, le béton et la ferraille. A chaque arrêt, il ingurgite, régurgite sa nourriture.
Elle est montée avec sa poussette. Souple, s’est postée derrière le plastique froid d’une banquette, est restée debout et a parlé tout doucement penchée vers l’enfant. On va chez mamie, hein mon cœur ! Elle a répété ça plusieurs fois, très vite, sur le même ton. Elle a levé les yeux vers le plafond de la rame, vers le ciel au-dessus de tout. Ses yeux verts bleus, clairs, tristes, lavés. Ses mains ont fait une prière à voix basse au fond de ses poches puis se sont échappées, se sont jointes devant son visage, sur ses cheveux, sur ceux de l’enfant, se sont reposées sur les poignées de la poussette. Elle était juste devant moi, je pouvais presque la toucher. Elle a dit encore une fois on va chez mamie, mon cœur. Elle a dit ça encore une fois comme elle aurait dit autre chose, comme elle aurait dit n’importe quoi. Elle a dit ça en fouillant dans ses poches, elle a dit ça en sortant un téléphone qu’elle a rangé sans même le regarder, elle a dit ça en comptant des pièces de monnaie dans sa main. Ses mots avaient comme une odeur, une odeur de pièce vide, de parti, de déjà loin. Elle les a dit et redit sans cesse comme s’ils les renvoyaient dans sa chambre d’enfant, sous ses draps de lit, comme s’ils luttaient contre la fièvre, les monstres et la nuit qui approche. Elle les a dit pour qu’ils montent une barrière autour d’elle. Des mots tout doux pour se protéger, répétés encore et encore pour qu’ils forment comme une laine, des mailles, des plumes, du chaud. Des mots serrés comme des feuilles pour faire de l’ombre.
Elle est sortie du ventre de la bête poussant ses mots vers le ciel ouvert à nouveau. Elle s’est arrêtée, a fait le tour de la poussette et elle a serré fort la poupée dans ses bras.
Non, non mais c'est chouette d'avoir un fan club ;)
· Il y a plus de 12 ans ·jones
Je copie si je dis comme Lyselotte que je suis de plus en plus une inconditionnelle de tes écrits ???
· Il y a plus de 12 ans ·Et moi, aussi.
eaven
Merci pour le passage et le commentaire, d'autant que cela m'aura donné l'occasion de refaire un tour ici.
· Il y a plus de 12 ans ·Ce texte-là, je ne l'avais pas encore lu. Et c'est juste énorme.
Écriture, mots, images, rythme... tout me parle.
Je copie si je dis comme Lyselotte que je suis de plus en plus une inconditionnelle de tes écrits ???
junon
Vous en servirez 2 , s'il vous plait ? j'arrive...
· Il y a presque 13 ans ·lyselotte
Merci beaucoup, très touché... Je me sers un petit verre pour la peine, hé hé ;)
· Il y a presque 13 ans ·jones
Inconditionnelle de vos écrits. J'aime la fugacité latente des instants décrits et le sillon qu'ils tracent dans mon esprit.
· Il y a presque 13 ans ·CDC
lyselotte