Escale au Grand Paradis
katondutick
Voilà dix minutes que je m'évertue , scrutant les environs tel un forcené , à la recherche d'un endroit pour souffler un peu . Il n'y a plus une seule place de parking libre. Je maugrée et souffre pareil à un templier le dos sous un cilice .Mon regard parcourt la petite esplanade comble de véhicules .Pour seul réconfort , reste un arbre aux minces fleurs égaré là , facétie d'un paysagiste nécessiteux. Il n'y a rien pour m'apaiser ,pour me procurer une planche de salut. Mon embarras augmente car la jauge m'inquiète. L'aiguille indique que le réservoir est presque à court de carburant. On ne pourrait même pas glisser un vélo miniature dans le moindre espace .Non que je sois assis dans une limousine aux allures de paquebot .Comment alors garer mon tuk-tuk rouge ,venu par bateau de ce Siam aux fascinants rivages ?
Oser braver la loi ?Voilà une idée funeste ,mais à laquelle il me faudrait sans doute recourir. D'abord écourter les sonorités de la radio. Un moment d'incertitude doit s'affronter en devenant factice .Pas bien fier, natif d'Asnières, j'opte pour un choix désuet et tente de me composer un visage avenant , tel Fabrice del Dongo. C'est mon personnage fétiche depuis qu'il m' a fait réussir un concours pour devenir arpenteur du domaine de Versailles.
Me ranger sur un endroit exclusivement réservé aux livreurs apparaît comme l'ultime solution. Qu'importe le flocon pourvu qu'on ait l'Everest ! La vaste imprudence que voilà . Et moi qui me moquais d'un collègue adepte résolu du talent des voyantes. En effet , une femme se dirige vers mon véhicule. Elle marche assez vite ,sanglée dans un uniforme sombre qui évoque la police. Jour de déveine. Je frémis, je tremble, sûr qu'elle saura m'entendre sans aucune indulgence. Réflexe d'un nigaud ,me recoiffer avant de délacer ma cravate parsemée de salamandres traversant les flammes. En fait ,c'est le chien à six pattes, emblème de la société pétrolière bien connue à Rome.
Un regard au rétroviseur pour préparer mon sourire le plus contrit certes ,mais enjôleur si possible. Il va me falloir jouer serré. En certaines circonstances , nécessité fait loi, avait coutume de dire ma tante Alice. Après coup, pour esquiver le sermon ,je vais demeurer terré dans mon drôle de scooter le plus longtemps possible . Prétextant la bonne foi et tentant d'encourir a minima les foudres de la justice. A quoi bon nier ma situation rédhibitoire au titre des règlements en vigueur sur le territoire? Tout fournit des griefs à celle qui s'approche. Pour se faire accusatrice probable. Le retard pris avant d'occuper un emplacement interdit n'arrangera rien .Et si je me voyais taxé d'infraction ,avec préméditation en sus ? Quel cataclysme ce serait si mon permis de travail m'était confisqué… Appréhendant la suite avec les doigts posés sur le guidon ,il me reste ,dans la ferveur, à implorer sainte Rita , patronne des causes désespérées. En forçant le trait , subir le martyre est ma destinée. Une mince consolation ,in fine? Entendre la voix, capiteuse ou veloutée, de la policière. Elle signifiera mon exil de ce tricycle qui sert à transporter les touristes du Forum jusqu'à Piazza Navona.
La dame s'est penchée vers moi .Avant qu'elle ouvre la bouche, je discerne sous le badge tricolore une échancrure tentatrice. Autant faire semblant de n'avoir rien aperçu. Fouiller dans le vide-poche d'un air absorbé ,faute de mieux . Son calot galonné a glissé de la chevelure opulente. On discerne dans cet incident la marque de la fonctionnaire novice. La voix se fait plus autoritaire , comme pour effacer l'impression mitigée fournie au début. Pourpre, l'inconnue a sorti du sac accroché à hauteur de sa taille une sorte de notice imprimée .Alors que, pauvre hère, je me voyais déjà emmené chez les carabiniers ,la météo offre le salut ! L'averse a commencé soudaine. Avec des gouttes noires comme du basalte .
Une autre tempête se meut sous mon crâne .Comment faire pour mener cette odyssée vers un terme acceptable ? Inviter l'inconnue à se blottir sous ma capote en tôle… Impensable. Par chance, j' avise derrière moi, une cabane de chantier , un petit édifice. Ecouter le bon cœur qui m'anime .Je désigne sans palabres vaines l 'endroit .Mon mélange verbal inclut un peu de français et d'italien de piètre facture. Avec force gestes empressés. Me voici bientôt suivi par la jeune enquêtrice. Je ne dispose pas de parapluie avec moi .En ces heures d'inconfort, il faut maudire cette coupable négligence. A l'abri, j'ai décidé de m'asseoir sur un banc de fer , maintenu sous le regard sombre qu'on me jette . On dirait celui d'une rigide chef de bureau. Détail appréciable ,debout, elle porte , ce me semble, les seins droits sous la rude étoffe de l'uniforme. Avant tout, je veux respirer à fond. Puis rendre au monde des sens toute sa force motrice .
Conquis devant ce corps , nimbé par la chevelure brune ,jusqu' au tréfonds, mon être brûle de fléchir la gendarmette. Il me paraît sage de calmer mon impatience et sa rigueur par des blandices. Comment lui fournir sur mes intentions inavouables un quelconque repère ?Assez vague pour ne pas paraître incongru. Théâtral un brin, j'ai révélé sur mon poignet la trace d'une ancienne cicatrice. Je l'ai reçue en m'essayant à l'escrime dans un accès de jalousie chevaleresque. Sans crier gare ,folâtre comme un pastoureau revenu au siècle de Fragonard, j'ai orienté la main vers mon interlocutrice .Son courroux semble en répit. Pourvu que cela dure .Il faut se rendre a l'évidence . Sans mobile qui tienne ,j'ai fureté vers son arme de poing. Mon geste a eu lieu avec d'infinies précautions. La peur de toucher ses gants blancs sans doute … Attentive , la policière me demande pourquoi donc avoir tenté de dérober le colt. Pourquoi avoir cédé à cette pulsion provocante ?Pour voir si l'arme ne m'effraie pas, ai-je dit, sans le penser ,mais en filou subreptice. Je m'aperçois que la jeune femme connaît fort bien la langue de Molière. J'en fais la remarque. Elle m'explique qu'elle va souvent skier dans le Val d'Aoste, région frontalière qui inclut le Grand Paradis. Ma main posée sur l'étui de cuir continue son périple. Et bientôt, elle flatte la hanche , inspecte, plus que fervente, les plis de la gabardine , docte et avec empressement .
Pour expliquer ce geste de faquin , je bredouille quelque excuse. J'argue du souvenir ému de ma nourrice. Avec la plupart des responsables des dépositaires de l'autorité, je joue de la nostalgie et des traditions .Ce subterfuge parvient souvent à m'installer dans la catégorie des gens regardés avec bienveillance. La dame semble s'attendrir .Elle parle de la montagne, des confitures que lui préparait sa mère-grand avant de mettre les bocaux sur les claies. Mon interlocutrice précise que c'est exactement comme le travail de Chardin vu au Louvre. Quelle douceur dans le choix des couleurs sur la toile . Comment ne pas admirer ces pichets qui brillent comme les yeux des enfants à la prière . Je ne vais pas tarder à perdre mon aplomb, soumis à un tel amas de confidences ...
Alors que son souffle se fait discret ,mon interlocutrice me sourit , m'agrippe tel une corde dans un naufrage. Elle me serre bientôt comme si je ne devais plus jamais repartir . J'enhardis mes visites entre des soupirs profonds. Chantre de Chardin, j'esquisse de délicates audaces. Emporté par ma fougue, je glisse ,perds pied et me retrouve à genoux. Elle se pâme, verse des larmes sans chagrin. Elle lâche des mots qui ne sont ni transalpins , ni gaulois. Ils n'ont jamais eu cours depuis la nuit des temps. La cadence de l'eau redouble sur le toit et se fait notre admirable bienfaitrice. Le murmure de la pluie m'a toujours invité à chérir et flatter les reins d'une femme…Mes mains la sentent frêle déjà mon accompagnatrice. Sous un jupon je tangue, j' outrage la morale et -oserai je dire -sanctifie tout sévice mignard.
J'ai les lèvres brûlantes , au comble de l'allégresse. Voilà ,qu'insatiable, je pille un étrange galion plein de fragrances. Se précise ,dans la transe et l'envie , la venue d'un beau feu d'artifice. Mon esprit s'égare quelque peu. Je crois entendre les vocalises d'une sublime mélodie. Mes phalanges progressent ? Hardies, sans qu'on les guide autrement qu'en préceptrice qui récite tous les commandements . Un peu à la diable il est vrai. Gageons que le ciel au-dessus de nous aime voir resplendir nos corps à présent que le désordre est consacré sur les deux hemisphères. Tout dégouttant d'ardeur, nous continuons de respirer comme des faons nouvelets la prouesse du monde et la lenteur exilée. Nous nous élançons sans partage. Nous versons dans un tendre précipice .
Il me faudra interpeller les autorités du Quirinal. Les ceinturons des gardiennes de l'ordre romain au déduit se révèlent guère commodes . Malgré la rudesse du banc, nous voilà tous deux en l'état de félicité. On imite la meute qui court à perdre haleine durant l'exercice. Je discerne un visage odorant de musc s'approcher de mes abdominaux. De sa voix qui tressaille ,la skieuse ose me dire ,entre deux sons gémis , que j'ai apporté en ces lieux ma colonne Trajane. J' oublie de lui conseiller de ne pas toucher à de tels monuments ! Ainsi se concilient la crue du Tibre et les assauts de la Seine. A nous de profiter pleinement de cette sainte alliance .Jouis il n'est pas d'autre sagesse, fais jouir ton semblable il n'est pas d'autre vertu. Sage conseil, dont je ne remercierai jamais assez Senancour. J'obtempère. La carabiniera effrontée laisse un ou deux baisers effondrer ma nuque. Ses mains, désormais dégantées, bravent tous les interdits. Peu à peu, elles façonnent un temple du désir. Celui qui mériterait qu'on y ensevelisse toutes les défaites, tous les désenchantements. Je songe à une belle maxime au milieu de son frontispice. Un sexe, confident ,agacé de moiteurs , est-il jamais conquis? La cuisse convie la nacre , deux ou trois volutes ourlent un puits magnifique. M'y voilà ,téméraire. Hagarde presque, amarante toute , ma compagne se donne, décoiffée, cambrée, rendue. Remontant vers l'intranquillité enclose, ,la fureur du mâle dépose à l'intérieur de la crypte un déluge de moires, une symphonie qui se disculpe et saigne.
Après la saison des caresses, ayant joué le rôle de jocrisse avec aplomb, je médite. La mutine gradée a mis un grand paradis aux abords anodins d'une station-service. Revenu de mon trouble , déjà idolâtre de la cadence , je regarde la plaque tombée de la vareuse dans notre hospice bienheureux. La belle Italienne aux cheveux de jais s'appelle Bérénice. Racinien convaincu ,il reste à m'enquérir des horaires de la créature à qui je dois d'avoir éprouvé ces voluptueux instants. Méthodique, enjouée et presque adamantine ,elle repasse sa tenue martiale. Elle rajuste sagement sous son calot ses boucles bousculées en nombre, puis sort de sa poche un objet en forme de calculatrice. A présent me voir verbalisé, quelle guigne ! Nenni. C'est ravi , tout à notre embellie qui s'immisce , que je découvre, lumineux sur l'écran , le numéro de téléphone dont Bérénice est détentrice dans la ville des empereurs.