Confidences autour d'une muse

milenagorski

Nouvelle érotique, VSD.

Ce n'est pas parce que tu m'as suggéré d'écrire un roman que je dois me plier à tes caprices. Non, moi, ce que je voulais, c'était t'offrir une ôde. Célébrer du mieux que je pouvais l'architecture gracieuse de ton anatomie, suivre les contours de cette cartographie en relief, qui ne recense que trop bien tes monts et vallées, paysages sublimes où je disparais, engouffré par l'inspiration que me susurrent tes douces courbes...


— Christian ?


Je lève la tête de mon ordinateur, les yeux engourdis par les pérégrinations d'un récit que l'imagination n'oserait me souffler. Je tourne la tête vers elle et parviens à articuler quelques balbutiements incertains.


— Excuse-moi, t'étais en train d'me parler ?


Son visage irradie de soleil et sa bouche laisse éclater un rire citronné.


— Tu parais bien distrait ! J'allais me faire chauffer un thé au miel, t'en veux-tu un aussi ?


Son regard bleu-vert me transperce, comme un gamin pris en faute, j'ai presque peur d'avoir l'air trop stupide pour elle, ma babydoll transatlantique en petite culotte blanche. Elle, l'imprenable, l'irréprochable, me fait perdre mes moyens.


— Euh, oui, pourquoi pas.


Elle a été rapide à mettre la bouilloire en marche, je la vois déjà revenir, petite cabri dans ce 25m², brebis immaculée, tendre biche à la peau de pêche. Je m'imagine qu'en croquant dedans, le suc ruisselle et j'en ai l'eau à la bouche.


— Ça s'ra pas bien long, tu vas pouvoir te dévisser de l'écran pour cinq minutes, tu penses-tu ?

Son sourire me transperce de l'intérieur. Maudit que j'ai chaud, la p'tite québécoise fait mouche. J'espère que les gouttes que je sens déjà perler sur mon front se figent d'invisibilité à ses yeux. Je tente une diversion :


— Giulia, dis, tu pourrais me donner un avis sur le premier chapitre, si j'te l'envoie sur ta boîte mail ?


— Bah r'garde, là, ce s'rait pas mal plus simple que je le lise là, j'suis juste à côté,voyons donc !


Ni une ni deux, elle s'accote à mon flanc. Ce n'est sans doute pas assez près pour elle, sans me regarder, ni même me consulter, elle force le passage, prêtresse imperturbable. Surpris, je recule le fauteuil et laisse impunément la jeune gazelle prendre place sur mes genoux. Bouche bée, je reste silencieux. Elle parvient encore et toujours à me prendre au dépourvu.


Quinze ans qu'on se connaît, et la belle est toujours aussi indiscernable, un mystère à percer auquel je m'attache comme une vaine obstination. Je suis le seul envers qui son cœur ose complètement s'épancher. J'ai tout su d'elle le premier. Son premier baiser, son premier coup de foudre, sa première fois, sa première rupture ; il n'y a pas un détail que je ne connaisse pas. J'ai fait partie de toutes ses histoires, bien sûr.

En tant que parfait confident. Toutes oreilles dehors, langue en dedans. Christian ne dit jamais rien, certain. Mais je commence à me redouter. En cet instant précis, je n'ai qu'une unique crainte, celle de lâcher tout contrôle et d'être démasqué en plein jour. Venir gâcher ce dimanche après-midi de printemps ensoleillé, après une veille parsemée d'un vent de confidences initié par mon éplorée, larguée par un énième connard qui aura profité de son minois d'adolescente et son corps de sylphide ! Il est vrai que...enfin, je ne peux pas non plus cacher que... bon, il va falloir que cesse le squattage inopiné de mes cuisses sensiblement réchauffées par le doux fessier rebondi de la fine lectrice. Trop de stimulus. Il faut qu'il s'arrête de suite. J'insiste intérieurement et commence à gesticuler quelque peu nerveusement. Trop tard.


— Mais...Christian ? C'est quoi l'affaire... ?


Elle se retourne et me regarde avec stupeur. Je suis interdit. Elle ne décolle pas de mes genoux et me fixe, interloquée. Merde. Toutes ces années foutues en l'air par un désir inavouable qui a choisi de se manifester au plus inopiné de tous les moments. J'arrive même pas à m'excuser. De toute façon, ce n'est pas la peine. J'suis vraiment con de l'avoir laissée...Mais...Elle m'embrasse ? Goulûment, avec affirmation, sans détour, elle m'avale assurément. Giulia me frenche sans prendre de gants. C'est plutôt agréable, du velours sur la pulpe framboise, de la soie en dedans, nos palais conjugués à la sauce accélération cardiaque. La durceur de mon pantalon ne fait que s'affirmer. La nymphe culottée dont les fesses m'effleuraient tout juste se frotte maintenant à travers la fine barrière de sa lingerie et la belle s'est placée en position compromettante pour mieux me prendre la bouche à l'instant. Mes mains saisissent la chance qui leur est offerte, elles cascadent à l'oblique en poursuivant du bout des doigt la ligne ondulée de la cassure de son dos, sa peau à l'air sous son top un peu trop court. Alors que la poitrine de Giulia est accolée à ma chemise, je sens ses tétons pointer un peu, ma québécoise laisse alors promener ses doigts sur ma nuque, attouchement de douceur suprême. Je frissonne et la voilà qui rit doucement, sans cesser pour autant de m'octroyer la volupté. Tout l'épisode semble avoir un joyeux effet euphorisant sur ses lèvres au sud, humides et gonflées, qui s'en vont narguer mon jeans sur le bord de l'explosion. Je sens à travers le pantalon toute la promesse de son sexe s'ouvrir à moi et j'ose à peine y croire. Giulia ne perd pas le nord, quant à moi, je n'ai déjà plus ma tête. Je gémis...


Un tintamarre strident brise l'intimité magique qui nous liait. La bouilloire sonne la fin de la récréation dans des vapeurs affolantes, et je replace maladroitement mes lunettes, embuées d'émotion. Giulia dans la cuisine met fin au vacarme et verse l'eau dans les tasses.


— J'te dirais, moi, c'que j'en pense de ton chapitre, c'est pas mal hot, après ça dépend si tu cibles une maison d'édition porno ou si tu voudrais être un peu plus accessible pour un premier roman, plaisante t-elle.


Ouf, elle n'a rien senti. Adieu fantasme couleur de réalité! J'aurais juré l'avoir goûtée. Et mes ardeurs se sont heureusement calmées. Je me lève pour saisir la tasse que me tend Giulia.


— Merci. Tu trouves que c'est trop osé ?

— Non, c'est réaliste pis toute. T'as tes chances, tu sais. J'suis pas une pro mais j'te dirais même que l'accroche m'a fait un petit effet...


Je lui souris, un peu gêné. Elle a aimé. Elle qui est, sans le savoir, le centre de mes écrits. Elle, c'est mon prochain hit, la place de tous mes exits, la pièce-maître du tableau, mon Erato et ma bacchante en pensée salace. Je m'efforce de ne rien laisser paraître. Intello sans doute un peu coincé si j'en crois certains, retranché derrière ses livres, ses traductions et son amour de l'art contemporain, je ne fais pas partie de ces indigents salauds que Giulia a l'habitude de fréquenter. Et de quitter. A moins que ce ne soit l'inverse. Mais au cœur de tous les détails dont elle me fait le cadeau, c'est elle que je visionne. Ses murmures dans le creux d'une oreille, ses notes transparentes déclencheuses d'érection instantanée, ce regard pénétrant, celui qui hurle à l'attouchement sensuel, et sa bouche cerise qui effleure le cou de l'heureux élu, puis sa main glissant sur son torse, lui qui se retrouve sans digressions à moitié déboutonné par l'audace d'une fille qui sait ce qu'elle veut. Dansante, tourbillonnante et perturbante, ses ongles caresseront sa peau jusqu'à rencontrer une boucle de ceinture, obstacle temporaire à son désir mordant. Giulia ne se laisse guère démonter et, à l'aide de ses dents et de son experte dextérité, fait la ceinture glisser puis vient le tour du pantalon. Le tissu tendu du caleçon se débat, et de bonne grâce, Giulia le libère. Elle jubile à la vue de ce soldat au garde-à-vous. Elle a faim, il est temps de se rassasier avant de s'engager dans la bataille. La mise en bouche est le commencement d'un intense labeur qui durera la nuit entière et plus loin, pourvu que le défi soit finalement remporté.


— J'demande pas la lune, deux-trois étoiles tout au plus. R'garde, ça a commencé pas mal smooth entre nous deux. Un bon restaurant, nos regards se déshabillent par avance, on aurait pu nous mettre à la porte, à nous deux, on produisant plus de chaleur que les cuisines de l'établissement ! Fait que la fin de soirée, ça s'est passé chez moi. Nos regards se croisent sans oser quoi que ce soit, la timidité s'installe. Pis, à un moment donné, avant que l'on implose par une dose de désirs survoltés, il avance la main vers ma joue en m'disant « t'es cute » avec un sourire plein d'étincelles. Ça m'a startée, j'ai attrapé sa main et l'ai faite glisser le long de mon cou. Pis caresser ma poitrine qui en avait le goût. Là, il a lâché un soupir animal. Il a plongé ses yeux noisette dans les miens, genre, départ immédiat. Il pose ses lèvres sur les miennes. Je ferme les yeux pour mieux ressentir son étreinte. Je crois que j'ai eu un cri étouffé, comme un choc électrique à son contact. Aventureux en terre conquise, il s'en est allé par-delà la barrière labiale. Je coulais en bas, certain. Sans doute l'a t-il lui aussi deviné car, tout en enfournant un sein et caressant l'autre d'une main, demeurait l'habileté nécessaire pour entreprendre une exploration plus poussée de mon anatomie.


— Giulia ! n'avais-je pu alors m'empêcher de lancer. Ça me rendait dingue et pas à peu près d'être aux premières loges rapportées des ses ébats nocturnes.

— Quoi, ça t'choque Christian ? Toi, qui va écrire un roman érotique, tu me fais bien rire, m'avait-elle rétorqué deux semaines plus tôt, au lendemain de sa première « date » avec son nouvel amant.


Et elle avait raison. Loin d'être choqué, ça m'avait plutôt excité à vrai dire. Et encore aujourd'hui, mon érection trahison aurait pu signer la fin de notre longue amitié. J'en ai assez de fantasmer. A choisir entre la publication d'une nouvelle de fesses et les lui manger, je n'aurais aucune hésitation. Je me plongerais avec délice dans l'exploration ses chairs en passant le bout de ma langue sur son nombril. Puis j'irais continuer l'investigation buccale en arrière de ses genoux pour remonter vers l'intérieur de ses cuisses et l'entendre enfin pousser ce petit râle de plaisir. C'est là que je verrais s'écarter sa corolle, mieux que la barrière de corail, ma nouvelle merveille du monde à la senteur exquise des océans perdus de l'Atlantide. Je ne pourrais m'empêcher, c'est certain, de flairer ce met divin, avant de me mettre à table en lui écartant légèrement les cuisses et amorcer ma descente vers le mystère abyssal féminin. Elle n'attend que ça, sa pupille dilatée me susurre son attente indicible mais, le souffle coupé, ma belle ne semble pas en état de proférer quoi que ce soit. Je suis rendu fou de désir, jusqu'à la déraison, et pour me calmer, au lieu de me ruer sur la chatte luisante et ruisselante comme un jeune matou en chasse à la saison des chaleurs, je lui insère délicatement un, puis deux, puis trois doigts pour tâter le terrain. La mousson bât son plein, le terrain est instable et abondamment liquéfié. De plus en plus vient arroser ma main la cyprine mitose exponentielle de mes va-et-vient digitaux. Je m'arrête, assoiffé par la curiosité. Impatience désordonnée d'un prisonnier que l'on libère après l'éternité. Il est temps de goûter.


— Hey, Christian, tu sais que t'es épeurant quand tu bugges de même ! On dirait presque un pervers, t'avais l'air parti ben loin là là ! En tout cas, bravo pour ce premier jet ! Pis tu me laisses savoir si jamais t'as besoin d'autres conseils ou anecdotes pour ton manuscrit. Tu sais que j'te supporte à 100%, mate !

L'impeccable rangée de dents apparaît suivie de son petit clin d'oeil amical encourageant. Un gorgée de thé. Je déglutis.


— Giulia, tu seras toujours la plus belle source d'inspiration qui soit.

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