Bichonnées de partout

Michel Chansiaux

Jusque là où le plaisir va se nicher

Bichonnées de partout

Dans les méandres de la sexualité humaine, qui croit connaître, souvent tombe de haut. Il faut se méfier de ce qu'on peut lire à ce sujet, ici ou là. En matière de rôles respectifs des sexes, que de lieux communs sont véhiculés par la pornographie ambiante. Par exemple, je peux vous affirmer, que ma propre expérience, ainsi que celle de mes fidèles amis, dans le cadre de la soumission des mâles aux désirs impérieux des femmes est telle que d'aucuns à notre place se sentiraient confinés au rang d'animal. Nous, c'est l'inverse. Nous sommes sept vaillants lurons soumis à une maîtresse. Elle nous dicte notre mission lors de soirées très spéciales, intitulées « Bichonnées de partout », qu'elle organise pour ses amies. Dans cet asservissement total à ses lubies les plus inavouables, c'est là que nous nous sentons le plus « hommes ». Paradoxal non ? Durant ces nuits, nous avons trois femmes à honorer à tour de rôle. Ces rencontres sont rares, heureusement, car fort tapageuses. Les voisins sont courroucés. Notamment le vieux garçon grincheux et ivrogne, qui réside au même palier. Au lieu de déguster et de profiter, il tempête, il s'enivre d'autant plus et vitupère si haut et si fort que, finalement, c'est à lui que le scandale incombe.

Aujourd'hui, il a pété un câble ! Grave ! Pour l'instant, il est en garde à vue au Commissariat le temps de dégriser. La soirée était cependant des plus classiques. Ma maîtresse m'a sollicité avec ma bande de six autres mâles. Notre rôle est très limité. C'est ce qui en fait sa saveur ! En effet, on nous demande de nous en tenir à notre langue ! Deux d'entre nous doivent se délecter des orteils, deux autres se concentrer sur les tétons et le duo restant s'occuper des lobes des oreilles. Moi, Roméo, chef du gang, je garde jalousement pour moi l'entrée du paradis. À tour de rôle, chacune des filles est ligotée sur le lit, les yeux bandés, en position d'être honorée par la bande. Les deux autres femmes ont aussi des rôles à jouer. L'une place les lécheurs à leur poste. On l'appelle, la dompteuse. Elle est responsable de la bonne exécution de la partie. La troisième joue les « Monsieur Loyal » en commentant le spectacle par des propos crus. Et elles alternent au moins trois fois, histoire de profiter de chacun des types de plaisir. La dresseuse et la « Monsieur Loyal » disposent de toute une panoplie d'objets à donner du plaisir. Un répit pour nous lorsque nos langues ne suffisent plus ou demandent à reprendre du poil de la bête. La partie dure toute la nuit. Entre chaque tour, ma maîtresse à coutume de servir une gamme progressive de vins blancs extatiques et de mets raffinés. Jugez-en au menu proposé il y a quelques instants :

- Bonnezeaux Cuvée Melleresse — 2005 — Domaine des Petits-Quarts, sur carpaccio d'ananas au gingembre.

- Gewurztraminer Eichberg Grand Cru — 1983 — Vendanges tardives, sur foie gras et pain d'épices chaud.

et, Château Yquem -1967 - Lur Saluces, sur sorbet à la violette avec sa confiture de lait.

Ce troisième service a eu lieu lorsque le jour pointait son museau. Ensuite, les filles ont fait couler la douche à grand bruit d'eau et d'éclats de rire pour disperser les traces des délices nocturnes qui rancissent abominablement avec la lumière. Tout l'immeuble bruissait déjà de gargouillis de robinets. À cette heure, où les honnêtes gens se lèvent, le voisin, qui aurait dû s'écrouler et cuver son vin, au comble de l'excès, va téléphoner à la Police. Sur le palier, devant ma maîtresse, il prétendra qu'il n'a pas pu fermer l'œil de la nuit. Les Forces de l'Ordre ne s'en sont pas laissé compter. Elles connaissent l'oiseau. Plusieurs fois, déjà, avec les Pompiers, elles sont intervenues pour s'en saisir et l'hospitaliser lors de violentes crises de « delirium tremens ». À chaque fois notre charmante hôte est à l'origine de l'appel. Les autres voisins s'en foutent ou ont peur. C'est pourquoi, le flic a coupé la parole à l'homme aux araignées géantes. « Vous devriez être reconnaissant vis-à-vis de votre voisine, elle vous a tiré plusieurs fois de vos hallucinations bestiales. À votre place j'aurais honte de l'associer à vos animaux maudits et de la calomnier. Certes les jeunes femmes ont dû faire profiter l'entourage de leur fête mais qu'est-ce que cela pèse en comparaison de vos crises que l'on entend depuis la rue ? On vous embarque en garde à vue pour dessoûler sachant que Mademoiselle peut vous poursuivre pour allégations fantaisistes, insinuations diffamatoires, dénonciations calomnieuses et délires pornographiques ».

Inutile de vous dire que l'on a fêté çà. Le grincheux à la niche pour quelques heures, ça s'arrose ! Le risque tapage nocturne étant passé depuis bien longtemps, on a fait tressaillir la maisonnée au son d'un bouchon de Champagne. Un « boum » caractéristique qui déclenche les aboiements à tue-tête de tous les toutous festifs qu'elle compte et l'intervention du perroquet gris centenaire de la concierge qui profère en de telles circonstances « Encore une que les Boches ne boiront pas ». En cette fin de service commandé, mes potes et moi, nous sommes alors sentis pleinement hommes. Comme je vous l'ai dit au début, cela survient dans des moments où nous sommes au comble de l'obéissance, et que pour notre extraordinaire prestation de la nuit, ma maîtresse nous offre une double ration de croquettes. Nous les sept petits bichons frisés dans leur corbeille sous l'escalier, avec Roméo leur chef, votre serviteur !

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