Escroquerie

amiles

J’étais très heureux. Enfin, venait l’occasion d’offrir ce grand plaisir à Moni. Elle attendait cela depuis notre mariage … non depuis son adolescence, depuis toujours en fait. Moni, enfin, allait voir Paris, la ville de l’amour. Et c’était moi qui lui offrais cette joie. Visiter Paris.

Je l’avais rencontré à Kathmandou dans le salon du directeur de l’Institut Goethe, Berndt qui avait invité, pour un vernissage, les professeurs d’allemand de son institut. Moni faisait partie de son équipe.  Je me trouvais là un peu par hasard, recommandé par mon éditeur. Je ne connaissais pas Berndt auparavant mais nous avions vite sympathisé. Même âge, mêmes curiosités, grands voyageurs et polyglottes. Il pourrait m’aider à choisir les sujets, les angles. Jeunesse déboussolée, inégalités sociales ou drames ruraux …. … une routine mais des photos qui pourraient être achetées par des ONG pour leurs calendriers ou pour des albums publiés pour les fêtes de fin d’année. A moi de jouer, m’avait dit l’éditeur.

Berndt m’avait  présenté tout d’abord d’autres hollandais de passage, des alpinistes, prêts à affronter l’Everest sans oxygène… Nous nous sommes épatés de trouver encore, partout et toujours des compatriotes dans chaque recoins du monde … un si petit pays … mais oui, nous étions partout … et si fiers de l’être ! Je me souviens cependant bien mieux de l’arrivée de Moni à la réception. Nous avions très vite  basculé vers l’anglais après les présentations, de façon naturelle, sans y penser. Ses yeux étaient lumineux. Effet de ma solitude, de l’atmosphère tropicale, main invisible du destin qui propose de changer en un instant le cours de toute une vie et de justifier, enfin, notre passage sur terre, j’ai senti, tout de suite, dans mon corps et dans mon ventre, la force de mon attirance pour cette jeune femme pleine d’esprit et de charmes. En quelques jours, le lui proposais de devenir mon interprète, mon guide et mon assistante. Il me fallut plus de temps pour quelle devint ma femme et encore bien davantage de persévérance pour que mon pays accepte sur son sol une étrangère qui ferait désormais partie de son histoire.

Moni s’habituait difficilement à notre solitude occidentale. Sa sœur, ses parents, ses frères, ses amies, la chaleur, le monde, le bruit, les odeurs tout lui manquait. Ses sens étaient laminés par cette traversée. Passé le premier moment d’euphorie, elle n’avait pas tardé à rencontrer l’hostilité voilé des voisins, les regards, parfois injurieux, des commerçants, peu dupes des  manigances de ces coureuses de visas et, aussi, malheureusement la bouche pincée de mes parents lorsqu’ils nous invitaient à déjeuner. Elle se retrouvait abandonnée la journée, face à elle-même, dans une grande maison, moderne et parfaitement équipée. Elle apprit pourtant très vite le hollandais mais son visage, ses vêtements et ses habitudes restaient marqués. Je voyais qu’elle ne serait jamais d’ici tant que l’enfant, celui qui était chargé de résoudre nos différences et d’occuper son temps, ne serait pas là.

Bon anniversaire ma chérie… Bon anniversaire ! Elle ne comprenait pas, comme souvent hélas …. Mais ce n’est pas mon anniversaire, qu’est ce que tu racontes ? Non, c’est notre anniversaire… celui de ton arrivée chez toi ! Chez moi ? Enfin chez nous, répondis-je un peu agacé, voici un an que tu es arrivée… Ah c’est ça, oui,  un an déjà. Ma joie se ternissait tandis que j’entendais dans sa voix les reproches indicibles, ceux qu’elle ne pouvait m’adresser puisque nul n’est coupable de ses erreurs. Moni se demandait ce qu’elle faisait ici. Elle avait tout perdu pour me retrouver et ne trouvait absolument rien d’autre que moi dans ce pays gris.

Moni, je t’emmène à Paris ! À Paris !!! C’est vrai ? Oui, tu vas découvrir, à ton tour, le pont des Arts, le Louvre, Notre Dame, les bouquinistes de la Seine … tu verras tout, tu connaîtras  la plus belle ville du monde. Elle devint en un instant si heureuse, si heureuse. Il me semblait alors que toute l’histoire de notre mariage pouvait se résumer dans ce voyage, comme si, tout au fond d’elle-même, à son insu, elle avait choisi un occidental pour époux afin de pouvoir, enfin, arpenter la cité dont elle gardait un poster dans sa chambre d’adolescente. Une grande affiche  qui représentait, sur fond vert, la tour Eiffel, coincée entre les chutes du Niagara et le Mont Fuji. Je m’étais beaucoup amusé de cette image, elle s’en était vexée. Mais non Moni, je ne me moques pas mais sache que les photographes sont des menteurs et des escrocs, sache le bien ma chérie !

Et voila, nous y étions dans cette ville de rêve… J’avais cassé la tirelire pour la promener partout, sans limite. Le Moulin rouge,  les restaurants, les grands magasins, les monuments et les musées… J’étais mort. Et triste. Je voyais, au fur et à mesure que les jours passaient, mon adorée perdre toute sa gaîté.

Attablé sur une terrasse de Saint Germain des Prés, je regardais son petit visage fermé, ses yeux éteints, sa moue triste … une petite fille dépitée, voila ce qu’elle était devenue. Qu’elle était loin ma petite fiancée népalaise, gaie et souriante, lumineuse et tellement intelligente. Où es-tu mon amour…

-         Qu’y a-t-il Moni ?

-         Rien, il n’y a rien…

-         Comment ça ? Je vois bien que cela ne va pas … Tu ne m’aimes plus ?

-         Oh si je t’aime, me dit-elle dans un bel élan qui me rassurait enfin.

-         Alors dis-moi, que se passe t’il ?

Suivi un long silence. Elle se débattait, ne savait si elle devait me le dire ou pas …

-         Paris …

-         Oui, Paris ….

-         Paris … Mais enfin les gens sont fous, ils racontent n’importent quoi … Paris, mais ce n’est pas la ville de l’amour… C’est juste, c’est seulement… Enfin, Paris, mais ce n’est qu’une ville, s’écria t’elle !

C’est alors que nous nous sommes regardés vraiment, comme deux complices, comme deux amis, comme deux amants… et nous avons ris un long moment, à cœur joie  … Oui, Moni, oui, Paris ce n’est qu’une ville !

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