Paris à sac et à cent.

laura-lanthrax

Précisément, le jour dit de la rencontre, j’avais je crois décidé une bonne fois pour toute, (enfin m’étais-je dit, le moment tant attendu, le voilà venu), de me débarrasser oui des vieilles affaires usées jusqu’à la corde (petits linges troués, petites babioles, sac à puces, blanches écharpes, bracelets, pendentifs, montres de pacotilles et…) et de débuter cette nouvelle vie qui s’offrait à moi, un passé tout neuf, des promesses de bonheur, une nostalgie à construire. Je m’étais je crois levé tôt et j’avais rempli mes sacs méticuleusement pour ne rien oublier des choses du passé. Une nouvelle vie, une nouvelle vie, m’étais-je dit, excité, c’est la séparation, l’avant, l’après, la table rase, tu mesures le chemin parcouru, sauf que je n’avais rien parcouru pour ainsi dire jusqu’ici, j’avais moi aussi atterri un jour sombre ici à Paris, une éternité maintenant, et croyant marcher dans les pas du génie créateur, j’avais rencontré un mur, j’étais resté bien sagement assis devant, la tête relevée cependant, mais n’ayant plus la force d’abattre ou d’escalader cette montagne. J’étais seul à Paris comme à mon arrivée. Je pensais aux milliers de personnes partageant mon sort, bien sagement assises sur le canapé, regardant la pluie tomber, les larmes de nos yeux simultanément présentes sur nos joues rougies par nos poings absorbants, j’avais toujours aimé écouter la pluie tomber sur le toit de ma chambre, on a quelque plaisir quand même, et l’on pense aux partages invisibles de ces plaisirs, triste, dans la grande ville. J’avais décidé, vainquant les forces néfastes de mon exil personnel (le mur), de rencontrer l’âme dite soeur. Les moyens techniques du XXIeme siècle permettaient maintenant de trouver l’âme dite sœur, sans avoir à bouger de son canapé. Mon profil ton profil s’accordant, on se rencontre, oui précisément, aujourd’hui. J’avais eu instantanément la même volonté de me débarrasser de ce passé encombrant signifié par mes petits objets quotidiens accumulés tout au long de cette vie amoindrie. J’avais lu de nombreuses vies au cours de mon existence, je cherchais l’exemple à suivre, je savais bien qu’une vie ne se résume pas à des objets, mais à des actes, courageux ou abjects, des paroles, prononcées ou tues, des attitudes, insolentes ou recueillies, des gestes, anodins ou grandioses. Dans le besoin qui était le mien de me faire remarquer, croyais-je, il en était pourtant tout autrement, je ne voulais pas finir avec un musée à mon nom, mes petits objets personnels exposés à la vue de tous sous vitrine plexiglass incassable, j’avais encore un orgueil démesuré pour m’entendre dire, à l’instar de ces artistes sans œuvre, qu’il valait mieux ne rien laisser au hasard, c’est-à-dire précisément oui ne pas laisser une seule trace derrière moi, mais tracer son chemin quand même, voilà ou était logé toute la difficulté, du style, du style, me disais-je, excité, tu n’as rien inventé de ce jeu-là, tu laisseras toi aussi, remarque bien, une œuvre sans œuvre. A quoi bon être à Paris sans réver d’être un artiste, mais voilà que j’avais abandonné mon idéal carnassier, seul et sans œuvre, la phase deux du plan m’était apparue dans toute sa clarté, j’avais besoin d’être deux, biensûr il me fallait être un couple légendaire, car oui le XXIeme siècle n’avait pas encore trouvé son deux légendaire. J’avais donc rendez vous aujourd’hui au cent-quatre, ce nouveau lieu de la culture parisienne, tombé en ruine désormais, un lieu de rencontre comme un autre, plutôt à l’abri des autres, et elle avait été d’accord, car dit-elle j’habite à côté. Je me débarrasserais auparavant de mes petites affaires, de mes petits sacs remplis à ras bord, lourds comme des valises. Je les abandonnerais en des lieux aimés de moi seul, mes cimetières des chats hurlants, sur une tombe quelconque, puis une autre, j’avais gardé mon dernier sac pour le petit parc qui se trouve rue Charles Baudelaire, près de la rue Saint-Antoine. Ce n’est pas si dur d’abandonner un sac dans un parc même avec cette folie des regards qui prenaient n’importe qui pour n’importe quel terroriste en ce début du XXIeme siècle. Seul le sans domicile fixe assis sur son banc, fixant loin devant sa pensée brumeuse, apercevant dans le lointain, la cogne et la vinasse, ou plus loin encore l’enfant mâchant ses lèvres, était absous. Lui seul pouvait encore s’asseoir entourés de ces sacs, et attendre, puis se lever, traverser l’allée, pour s’asseoir sur un autre banc, où un sac s’était égaré, volontairement ou non, un sac s’additionnant aux autres sacs du sans domicile fixe, il était maintenant tout-à fait impossible de distinguer le sac que j’avais abandonné sur ce banc. J’avais vu toute la scène, cette capacité à repérer le sac et à se l’approprier, dans le désert du parc, un sac se remarque vite, il suffit de se déplacer et ce sac est à vous, à tout jamais. Je n’étais pas rentré dans l’hôtel jouxtant le parc pour observer la scène, non j’étais resté debout à contempler le déplacement lent et difficile du sans domicile fixe, et quelques minutes plus tard, quelle différence cela faisait qu’il soit, non plus à droite, mais à gauche, avec quatre sacs au lieu de trois. J’avais réussi mon affaire, j’étais prêt pour le grand saut par dessus le mur et je me rendis aux cent quatre, le sourire aux lèvres comme il arrive quand on pense avec soulagement à un désastre annoncé qui ne s’est pas produit. J’ai attendu le plus longtemps possible, j’ai même dormi sur un banc cette nuit là. Réveillé régulièrement par le tumulte de la nuit, tabassé moi aussi, ce banc m’allait comme un gant, j’avais regardé les étoiles dans la nuit claire, j’avais vu l’enfant marchant dans les sables et mâchant ses lèvres, j’avais bu moi aussi, et finalement j’avais ri et j’avais sombré jusqu’au petit matin. A mon réveil, mes sacs, mes trésors, avaient disparu, je m’étais levé alors, et j’avais rejoint en face, l’autre banc, mes sacs, après avoir traversé l’allée.

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