l'accident

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                     L'ACCIDENT

J- 15 :

Il a profité du dernier week-end ensoleillé pour les rejoindre au bord de la mer où s’achèvent leurs vacances. Après avoir confié les enfants à mamie, elle s’est accordée une parenthèses amoureuse avec lui pour la soirée.

Ensemble ils ont dîné dans un restaurant, bercés par le clapotis des vagues, arpenté plus tard les pontons en rêvant d’embarquer sur chacun des voiliers. Pour la première fois depuis longtemps, depuis la naissance du dernier en fait, ils se sentaient légers, légers…

La nuit était douce, au dessus d’eux les étoiles invitaient à danser.

Il l’a suivi lorsqu’elle a proposé de se baigner nus dans l’intimité de la mer couleur d’encre, elle l’a suivi quand il l’a allongée, encore frissonnante de froid, dans la tiédeur de ses bras.

J-7 :

Il est revenu les aider à emballer les affaires de plage, la poussette, et tout le barda. Ils ont rendu les clés de la maison de Pornichet, bien fait le tour du jardin pour voir s’ils n’oubliaient rien, admiré la plage une dernière fois. En se quittant avec sa mère ils se sont souhaité bonne route, à bientôt, soyez prudents.

Mais c’était déjà trop tard.

J-3 :

Elle n’a pas eu le temps en arrivant de se poser une minute. Ni de téléphoner à sa mère pour la rassurer qu’ils étaient bien rentrés. Les valises à vider, le linge à laver, les enfants à s’occuper, surtout le petit dernier, elle n’a pas vu le temps passer.

J-2, J-1 :

Toujours rien à signaler.

J+1, J+2 :

Une impression étrange d’avoir oublié quelque chose d’important s’insinue sournoisement en elle. Mais elle n’arrive pas à s’y intéresser vraiment, elle est beaucoup trop occupée. D’ailleurs elle est crevée.

J+7 :

Elle se rappelle qu’il faut qu’elle prenne rendez-vous avec sa gynéco car cette micropilule ne lui convient pas du tout. D’ailleurs elle n’a pas terminé la dernière plaquette, cette cochonnerie la détraque complètement, elle saigne tout le temps, impossible de s’y retrouver.

J+13 :

Sa nounou lui annonce froidement au téléphone qu’elle ne viendra pas demain pour garder les enfants. Ni après demain. En fait elle ne viendra plus du tout. Il faut la comprendre, elle préfère un plein temps, et là, avec le bébé qui va aller en halte-garderie spécialisée la journée, et la grande en maternelle, le mi-temps qu’on lui propose ne lui suffit pas. Bon, il va encore falloir jongler. Demain c’est la rentrée, elle a des rendez-vous plein la semaine, le rodéo continue. Quand la vie va-t’elle enfin se calmer ?

J+17 :

Ils sont au lit, il est tard. Il la caresse doucement en lui remémorant leur dernière nuit d’amour, là-bas, dans la maison de Pornichet. Comme c’est loin déjà. Elle est soucieuse. La jeune fille au pair trouvée au pied levé arrive demain, pourvu que ça marche. Elle retire doucement la main sur son sein, ça lui fait mal là, elle sent comme une grosseur, une boule. Il va vraiment falloir prendre RV chez la gynéco, c’est bizarre cette boule tout de même. Et si c’était grave ?

J+30 :

Ouf ! Elle repart soulagée de chez son médecin avec une ordonnance pour un stérilet, fini cette fichue pilule. Pour la boule dans son sein il s’agit probablement d’un kyste mais une mammographie de contrôle lui a été prescrite, il vaut mieux vérifier.

J+31, 12H :

Coup de téléphone de sa sœur qui rentre de vacances à son tour.

Elle réalise qu’ elle n’a pas de nouvelles de sa mère depuis qu’ils se sont quittés à Pornichet. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, sa mère est en vadrouille en Bretagne chez des amis, pas de raisons de s’inquiéter.

Tout de même, elle pourrait appeler. Ca fait combien de temps au fait ? Quel jour sommes nous ?

J+31, 12H10 :

Elle compte et recompte les jours, tourne les pages de son agenda, sent l’angoisse s’infiltrer dans son sang, elle transpire mais elle a froid, elle palpe encore son sein gauche, elle écarquille les yeux devant la glace, elle se rue dehors, vite, en avoir le cœur net, elle ne prend même pas la peine en rentrant d’ôter sa veste, elle s’enferme dans les WC, elle est au bord de la nausée.

J+32 :

Elle compose en hâte le numéro de sa sœur. A sa voix blanche celle-ci s’affole, quoi, quel accident , que se passe-t-il bon sang, non, c’est pas vrai, mais comment ç’est arrivé, tu as eu Maman ?

Non elle ne l’a pas encore appelé, mais elle va le faire, plus tard, pas maintenant, et puis pour lui  dire quoi, et comment ? Elle est encore sous le choc, lui aussi bien sûr, elle aurait dû se méfier, oui, elle aurait dû comprendre, et cette gynéco qui lui prescrit une mammographie !

J+40 :

Le radiologue qui lui fait l’échographie la félicite, elle est enceinte de 6 semaines, bravo Madame, l’heureux événement aura lieu fin mai, une date idéale pour mettre au monde un enfant.

D’après la loi il lui reste à peine deux semaines pour prendre une décision.

Lui la laisse choisir, même si au fond, il est catastrophé. Après tout, si elle s’en sent capable, il ne veut pas la forcer à avorter. La gynéco lui a donné une adresse sûre, elle peut appeler untel de sa part.

En d’autres circonstances sa nouvelle grossesse l’eut fait dansé de joie. L’aînée a trois ans, le second un an et demi, quelle belle nichée ils auraient fait à trois…Oui mais voilà, avec son handicap le second compte pour deux, voire pour trois. Sa mère et sa sœur sont formelles, elle est déjà épuisée par les soins à lui donner, elle ne pourra pas assumer un troisième si rapproché…

Elle repense à cette nuit magique sous les étoiles de Pornichet, et elle se répète, sonnée : un accident, on a eu un accident…

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