Et les murs se crispent

loua

Tu cognes ta vie à celle des autres sans jamais calmer ce tremblement qui t'agite.

Elle ne ressemble tellement à rien que ça en fait mal aux yeux.
Elle a un sourire comme un soleil qui a arrêté de briller, et derrière son dentier on devine à peine ses trente ans et les poussières qui l'habitent. 
Tu ne sais pas grand-chose d'elle, mais tu sais qu'elle a un rire de tonnerre qui s'interrompt toutes les trente secondes. Tu sais qu'elle a des soupirs à en déraciner les murailles, et qu'elle tremble toujours trop le matin quand elle s'est encore shootée au café. Tu sais que tout lui semble être une montagne et qu'elle est sûre de ne jamais parvenir à rien, mais que la montagne en fait c'est elle, inébranlable et prête à tout pour ses enfants.
Elle te dit parfois qu'il ne faut pas la prendre pour une bonne poire même si elle en est une, et que le ménage y'a que ça qu'elle sait faire, mais elle le fait bien hein. Quand elle parle c'est un déversoir, un barrage qui cède, et rien ne peut l'arrêter dans ses histoires fleuves où rien ne s'accroche à rien. Elle a une tempête dans la tête et sa bouche n'en est que le pâle reflet, et chaque fois tu as envie de la prendre dans tes bras mais tu n'essayes même pas, surtout pas non, on sait jamais, son malheur pourrait être contagieux.
Elle te raconte tout, ses enfants handicapés, son médiateur de dettes qui ne répond pas, le syndicat et l'assistante sociale, son compagnon que pour bouger ses fesses celui-là il lui faudrait bien un tremblement de terre, et tu sais qu'elle n'imagine même pas combien elle t'ébranle toi, avec tout ce qui la secoue et les larmes qui parfois traversent sa carcasse quand elle oublie d'oublier ses soucis.
Tu l'encourages comme tu peux, ça ne rime pas à grand-chose. Tu n'arrêtes pas de lui répéter pas de panique ! et elle répète après toi pas de panique non, pas de panique parce que si je commence à paniquer j'arrêterai plus jamais, et toi ça te débarbouille le cœur et ça te chiffonne un poumon ou deux en passant. Tu mets tout ce que tu peux de raison et d'institutions entre elle et toi, mais ses grandes mains qu'elle agite à tout va démolissent tout sans s'en rendre compte.
Elle porte sa sensibilité sur sa peau, son visage produit vingt expressions à la seconde au moins, elle est un répertoire d'émotions que tu aimerais parfois calquer sur la tronche des comédiens à la télé le dimanche soir. Sa sincérité resplendit autant que ses fautes de français, et elle s'excuse tout le temps d'une petite voix qui dit je suis bête, j'y peux rien je suis née comme ça, et chaque fois tu te pinces le nez en réfléchissant à une recette de confiance en soi en flacon ou en comprimé.
Si tu devais faire le portrait du courage, tu décrirais ses cernes et sa fatigue, ses rides et ses vêtements pas toujours à sa taille, son portefeuille qui déborde de photos de ceux qu'elle aime et surtout ce matin gris où elle est arrivée en retard sans t'expliquer qu'elle venait d'enterrer son chat, et où tu n'as pas vu combien ça pouvait l'affecter à travers ses yeux secs.
Tu décrirais son dos voûté, ses grandes dents et sa peau grise, ses problèmes de concentration et les phrases qu'elle ne finit jamais. Et puis tu effacerais tout d'un grand coup de gomme, parce qu'elle est trop improbable pour tenir sur papier, trop à fleur de peau pour se limiter à un cadre qu'on voudrait lui imposer, et beaucoup trop tremblante pour que ça ne fasse pas tout gondoler, la table et le crayon, le carnet et ton petit cœur.
Elle fait partie de ces gens qu'il faut très vite oublier pour retourner dans sa vie pépère, elle est déjà comme ces mendiants qu'on ne supporte pas de voir parce qu'ils nous ramènent à notre propre déchéance. Elle est tout ça, avec cette dignité éphémère qu'elle ravive tous les matins comme elle peut, et qui la lâche en cours de journée à mesure que les problèmes ne se résolvent pas.
Face à elle, tu préfères fermer ton carnet, fermer les yeux et surtout fermer ta gueule, parce que sinon c'est toi qui vas balancer les tables contre le mur pour échapper à la noyade qu'elle trimbale avec elle.

  • C'est chaque fois un plaisir de te lire !

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    parismrs

    • Merci :)

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Dsc03904

      loua

  • C'est magnifique, franchement t'as tout tué sur ce texte là c'est vraiment top. Plein d'émotions, et un sujet que j'aime, et une chanson que j'adore.... Bref, coup de cœur.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

    • Ravie que ça t'ait plu :)

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Dsc03904

      loua

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