Evolution (chap 14)

Daniel Macaud

    Androucha venait de regagner les souterrains des mutants. Elle désactiva son armure et demanda à voir Braid. Celui-ci l’attendait.
- Alors, la dauf’, quoi de neuf ? Tu les as sauvé ?
- Oui Braid.
- Et maintenant ? Tu te sens mieux ? T’en as fait quoi de ces humains ?
- Les terriens sont repartis, il y a eu un mort. Les humains de 232 sont sains et sauf.
- C’est ce que tu voulais ? Tu sais que ces terriens reviendront, et en grand nombre ? N’aurait-il pas mieux valu que tu ne t’en mêles pas ?
- Et j’aurais dû porter encore le poids de leurs morts ? Jamais ! Si les terriens reviennent, j’irai les aider.
- Et ta mission ?

    Androucha soupira. Sa mission... Quelle bêtise !
- Braid, commença-t-elle. Je suis devenue enquêtrice pour la commission dans le seul et unique but de protéger les miens. Mais... Je ne peux pas laisser mourir qui que ce soit, humain ou mutant.
- Les humains sont nos ennemis, pourtant, fit la voix caverneuse, calmement.
- Je sais... Les humains de la Terre en tout cas. Ceux de planète 232, j’en suis moins sûre. Après tout, les humains de la Terre les ont attaqués aussi ! Ils les ont pris pour des mutants.
- Non ?

    Braid explosa de rire. Sa voix grave rebondissait sur les parois de la pièce souterraine qui lui servait de bureau. Son corps trapu, agité de soubresauts, semblait vouloir détruire le large fauteuil en bois sculpté dans lequel il était confortablement installé. Androucha se sentit de nouveau mal-à-l’aise.
- C’est trop fort, fit-il finalement, les oppresseurs sont devenus les oppressés !
- Est-ce une raison pour que les oppressés deviennent les oppresseurs ?

    Braid arrêta de rire et fixa Androucha gravement.
- Tu poses une bonne question, la dauf’ ! Je ne souhaite devenir l’oppresseur de personne. Seulement, tu le sais aussi bien que moi, ces dernières années, les humains n’ont pas été particulièrement pacifiques envers nous, que ce soit sur Terre, ou ici, sur les planètes colonies. Et la déclaration d’indépendance n’a pas arrangé les choses ici ! Ces humains se sont cru tout permis. Alors apprendre qu’ils s’entretuent me fait plaisir oui, parce qu’ils nous laissent un peu de répit ! Maintenant, s’ils demandent de l’aide, on essaiera de les aider. Mais les miens passent avant tout !
- Je comprends. N’est-il pas possible d’observer une trêve ?
- Une trêve ? Il y aurait une trêve si seulement nous avions pu nous battre aussi ! Nous sommes enterrés comme des parias pour leur échapper ! N’oublies pas cela la dauf’ ! C’est eux qui nous haïssent !
- Je ne l’oublie pas Braid. Seulement, la situation vient de changer. Alors tâchons de ne pas nous comporter comme eux.
- J’y réfléchirais ! Maintenant, j’ai du travail. Si tu veux te reposer, il y a des chambres disponibles. Demande ce que tu veux.
- Merci.

    Androucha sortit sous le regard fermé du Roch. Comment pouvait-elle lui demander de tirer un trait, d’un claquement de doigt, sur des années de harcellement, de ségrégation, d’oublier, du jour au lendemain, les massacres qu’ils avaient perpétré ? Il avait du mal à comprendre. Pourtant, elle aussi avait dû perdre des proches à cause d’eux ! Il resta longtemps plongé dans ses réflexions.

Androucha sortit, totalement abattue. Le félin qu’elle avait rencontré quelques heures auparavant l’attendait.

- Tu sais, lui dit-il avant qu’elle ait pu dire quoi que ce soit, Braid est un gars bourru, et peut-être un peu agressif. Mais c’est un bon chef, et on a tous confiance en lui.
- Je sais. Je ne remets pas son jugement en cause. C’est juste... Rien. Je te laisse, j’ai besoin de repos.

Elle se fit attribuer une chambre, et se retrouva seule, allongée sur son lit de fortune, avec pour seul compagnon, le cube silencieux. Maintenant, elle pouvait pleurer.

***


    Merks avait attendu le petit jour et guidé le groupe jusque dans les galeries naturelles, qui formait un réseau de grottes, reliées entre elles par des boyaux de roches, sans doutes creusés par l’eau, quand il y en avait autrefois. Ces galeries formaient un véritable labyrinthe, et il était facile de s’y cacher, tout aussi facile que de s’y perdre. Les survivants s’installaient tant bien que mal, allant chercher du bois pour faire du feux, chassant quelques herbivores sauvages, et cueillant quelques fruits. Revenir au temps des cavernes, à l’époque de la conquête galactique, voici qui sonnait étrangement paradoxal pour le soldat. Il repensa soudainement qu’au pied de la montagne, il avait laissé son duad, avec du matériel dedans. Il pourrait toujours aller le chercher avant le zenith. Le zénith. Une autre menace. Il fallait absolument trouver le moyen de limiter l’impact de la réverbération sur les roches. Les feuillages des arbres offraient ce genre de protection. En les faisant sécher, sur des armatures en bois, pour boucher les grottes... Peut-être... Cela devait rester discret... En les recouvrant de poussière de roche... Peut-être... Merks réfléchissait. Finalement, il demanda à deux hommes de le suivre. Ils descendirent la montagne, afin de retrouver son duad. Il fallait faire vite, dans quatre heure, ce serait le zenith.

***


    Stago et l’unité d’élite venaient d’embarquer dans un petit transporteur, chargé de les poser au plus près de la montagne qui servait de refuge aux mutants. Il avait été décidé d’attendre la tombée de la nuit pour se poser. Stago rongeait son frein. Il avait envie d’en découdre avec cette mutante et avec l’autre aussi, “l’humain” . Maintenant qu’il avait une arme, la donne changeait. Il avait eu du bol de pouvoir s’échapper. Cette mutante était faible.

    Dans l’esprit de Stago, un plan simple, et d’une efficacité redoutable germait. Après tout, la fin justifiait les moyens.

    La fin de journée arrivait doucement. Dans l’espace, le petit transporteur fut libéré par le croiseur. Il s’enfonça dans l’atmosphère de la planète 232. A son bord, cinq hommes, silencieux, concentrés sur leur mission.

***


    Le zenith était arrivé vite. Les armatures de branchages étaient à peine terminées. les feuillages séchaient. Le petit groupe, pour échapper à la lumière, s’était enfoncé dans les boyaux de roches. ils en avaient profité pour explorer les environs, et découvrir des dizaines de cavité, capable de fournir des chambres, des pièces de vie. Avec un peu d’aménagement, cet endroit pouvait devenir très vivable. En plein coeur de la journée, les survivants s’accordaient du repos.

Tout était calme. Trop. Merks se reveilla en sursaut. La fin de journée s’avançait doucement, faisant décroitre la lumière. Calme plat. Tout allait bien. Pourquoi était-il anxieux ? Il reveilla quelques hommes. Il fallait finir vite. Boucher les entrées des grottes, les cacher à la vue des terriens. Merks savait qu’ils allait revenir. il fallait faire vite.

***

Elle dormait d’un sommeil lourd et pénible, plongée dans les affres de ses cauchemars. Son esprit était envahi. Elle n’aurait pas su dire par quoi. Il y avait quelque chose. Ou quelqu’un. Ca parlait. Un ton calme et rassurant. Elle ne comprenait pas les mots, mais la voix semblait sereine. Sereine, ancienne, et sage. Elle se sentait flotter. Finalement, un poids la quitta. Dans son sommeil, elle laissa échapper une larme de tristesse. Elle ne se réveilla pas quand une main effleura son cube. Celui-ci ne réagit pas. La main n’insista pas et sortit de la chambre.

La nuit allait revenir. Au sein de la communauté des mutants, la vie dans les souterrains reprenait doucement. Les équipes chargés de l’élevage et de la culture ressortaient s'acquitter de leurs tâches. Androucha s’éveilla. Elle mit quelques secondes à rassembler ses souvenirs. Rêve étrange. Quel était sa signification ? Elle n’aurait pas su le dire. Son vaisseau. Première chose à faire, savoir où en étaient les préparatifs de son départ. Actuellement, elle n’avait toujours aucun moyen de contacter la base Titan, une base avancée, cachée sur l’une des lunes de la planète 232. Le point de contact et de mutualisation des informations des enquêteurs de la commission qui travaillaient sur les planètes de la colonie de Pégase.

Elle se leva finalement, se prépara, et après avoir mangé un peu, alla retrouver Braid.

***


    Les écrans de protections de végétaux étaient terminés et mis en place aux entrées du réseau de galeries et de grottes. Sommaires, mais efficaces. Il se félicita d’avoir suivi régulièrement les cours de camouflage de l’armée. De la roche, réduite en poudre, colorait ceux-ci. De loin, ils avaient l’apparence et la couleur de la montagne. Maintenant, ils étaient protégés. Merks poussa un soupir de soulagement. Il pouvait regarder venir la nuit plus sereinement. Un nouveau petit groupe de survivants venaient de les rejoindre. Ils avaient été accueillis avec joie, et s’installaient maintenant. Merks était heureux de voir qu’il y avait d’autres survivants. Il espérait pouvoir tous les rassembler ici. Ils seraient à l’abri. Les humains de la Terre allaient avoir beaucoup de mal à les retrouver. Même si... Ils le pourraient toujours.
- Vous deux, dit-il en alpaguant deux hommes. J’ai besoin de bois. On va pieger les entrées. Allez m’en chercher. Prenez le duad.
- Oui monsieur.

    Les deux hommes partirent aussitôt.

***

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