Evolution (chap 3)

Daniel Macaud

    Androucha n’avait rien d’autre à faire qu’attendre. Attendre le départ pour la Terre. Elle en profita pour s’asseoir sur un tabouret de bar sale, et détailla les environs. La salle de la taverne était assez petite et terne. Les murs, en tôles, avaient été peints en marron, et c’était moche. Les occupants restaient le nez plongé dans leurs verres opaques, buvant ce qui devait certainement être un alcool maison. Les odeurs de la salle remontaient au nez d’Androucha, et elle en avait presque des hauts le coeur. La pieuvre humaine réapparut de derrière son rideau.
- La navette est prête à partir, fit la pieuvre, mais avec ce foutoir, il vaut mieux attendre quelques heures. A l’aube, les miliciens devraient se calmer. On dirait qu’ils n’aiment pas le jour.
- Donc je pars à l’aube, c’est ça ?
- Oui, ce sera plus discret.
- Parfait. Je sais que vous n’avez pas forcement envie de rentrer dans cette guerre mais...
- Nous y sommes déjà, dans cette guerre, ma pauvre petite, coupa la pieuvre. Nous y sommes depuis que nous avons muté.
- Et depuis quand...
- Nous avons muté ? Il y a des mutants humains à chaque génération depuis environ 80 ans maintenant.
- Mais comment faites-vous pour...
- Disparaître ? A chaque naissance, le bébé mutant est abandonné par ses parents. Ils prétendent qu’il est mort. Vous comprenez, pour eux... C’est une infamie... Une punition divine.
- C’est horrible.
- C’est humain.
- Et donc, vos parents...
- Je ne sais pas qui ils sont, et je ne veux pas le savoir. Ils m’ont abandonné aussi, et j’ai été élevé ici, dans le quartier des damnés... Et vous ?
- Moi ? Mes parents m’ont élevé. Nous avons muté depuis presque un siècle. Je suis issue de la dixième génération de dauphins mutants de la Terre.
- Et vous pouvez vivre hors de l’eau maintenant ?
- Nous sommes des mammifères.
- Ah... Désolé, je connais pas la Terre. Mes parents sont nés ici. Comme tous ceux qui vivent sur 232, et ce, depuis la première vague de colonisation. Il n’y en pas eu d’autres ici.
- Ah... Je comprends. Donc les premiers colons de 232 étaient des humains, et des mutants qui avaient été chassés de la Terre.
- Oui. Les gouvernements en avaient profité pour vider les prisons. Et puis... Les premières mutations sont apparues lors de la seconde générations de natifs. les enfants des enfants de colons humains nés ici.
- Ah. Alors les humains ressemblent à ceux que j’ai vu ici ?
- Ben oui. Pourquoi, il n’y en a plus sur Terre ?
- Ils se cachent depuis quelques années. Personnellement, je suis trop jeune pour en avoir vu en vrai sur Terre.
- Vous avez quel âge ?
- Vingt ans.
- Ah. Et la situation sur Terre ?
- On se bat contre des mines, des missiles, des nuages toxiques. Mais des humains... On en voit pas beaucoup. Des fois, on trouve des morts... Un cadavre, ça parle pas beaucoup, surtout quand il est décomposé.
- Je vois...

    La discussion s’enlisait dans l’ennui. Ni Androucha, ni la pieuvre n’avaient plus rien à dire. Attendre. Androucha detestait attendre. La pieuvre, après un silence gêné, s'éclipsa avec un vague “je reviens”, et Androucha se retrouva seule. Autour d’elle, les autres mutants ne bougeaient presque pas. Il semblait que la misère les paralysait dans une attitude de prostration. Androucha ne voulait pas se prostrer, elle voulait vivre libre, et les humains ne lui donnaient pas le choix, elle devait se battre.

***


    La pluie s’était calmée. Merks était aux portes du quartier des damnés. Repaire de monstres. Créatures des enfers. Merks ne put s'empêcher de faire un bref signe de croix avant d’entrer dans le quartier. Celui-ci était fermé, encerclé par de hautes barrières de barbelés. La seule entrée n’était pas gardée, c’était inutile. Les mutants ne sortaient pas, cette prison était aussi le seul endroit où ils avaient un salut. Partout ailleurs dans les villes de 232, ils étaient poursuivis et massacrés. Dans chaque ville, il y avait un quartier comme celui-ci. Vaste prison à ciel ouvert, où s’entassait le rebut mutant de la planète. Merks avait vaguement entendu parler, il y a quelques années, de mutant humains, qui auraient rejoint le quartier, mais il ne pouvait y croire. Des humains mutant, c’était inenvisageable.

    Il respira un grand coup. Il était temps d’y aller. Il entra. Le long de la rue principale, les quelques ombres qui passaient dans la lumière blafarde des lampadaires ne faisaient qu'apparaître, avant de se fondre à nouveau dans l’obscurité. Il devait faire vite. Le jour allait bientôt se lever, et il devrait trouver un abri pour dormir. Le jour, sur 232, était presque intenable. Trop de lumière. La chaleur était supportable, mais la lumière du soleil était implacable, et de nombreux humains étaient devenus aveugles dans les premières années. Rien n’y faisait, toutes les lunettes de soleil du monde n’auraient jamais raison de cette lumière maudite. Alors les humains vivaient la nuit. Le jour, les mutants grouillaient, et la nuit, les humains reprenaient leurs droits. et pour surveiller les quartiers humains de la ville, les caméras faisaient l’affaire. Pas de robots. Surtout pas de robots, pas depuis la révolte des damnés.

    Quelques années auparavant, les mutants des planètes colonies s’étaient révoltés, laissant éclater leur violence, soit-disant, suite à des massacres perpétrés illégalement. Comme si ces monstres avaient des droits ! Les robots humains, étrangement, avaient pris le parti des mutants. Ensembles, ils avaient failli renverser le pouvoir en place, et chasser les humains. Heureusement, l’intelligence humaine avait fait la différence. Un virus informatique, de nouvelles armes, et les machines, déroutés, s’étaient retournées contre les mutants, les obligeants à se terrer dans les quartiers retranchés, devenus depuis, les quartiers des damnés.

    Tout à ses réflexions, Merks s’enfoncait dans le quartier, à la recherche d’indices pouvant le mener à l’armure dérobée. Une activité suspecte attira son attention. Ca bougeait beaucoup derrière cette palissade. Il se hissa pour voir au dessus. Un vaisseau ? Ici ? On s’affairait en silence autour, ils devaient préparer un départ. Seuls les bruits de pas, et les chuchotements discrets trahissaient l’activité. Merks se félicita d’avoir une bonne ouïe. Il était là son indice ! Saloperies de mutants ! L’armure devait être dans les parages. Il décida de se faufiler dedans.

***


    Le capitaine eut une sourire de satisfaction en lisant le petit message sur son ordinateur. Les renforts arrivaient de la Terre. Il allait enfin pouvoir quitter cette planète pourrie, ils allaient enfin pouvoir éradiquer les mutants.

***

  • aaaaaaaaaaaah, trop bien, et en plus, comme j'ai du retard, je n'ai pas besoin d'attendre la suite, je peux la lire directement! Merci Daniel de continuer d'écrire cette histoire. En plus, tu fais ce que j'adore, tu distilles les informations sur le monde et ainsi on peut le construire dans notre tête petit à petit.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Xgk 2125 orig

    ysee-louise

  • Oh Daniel, pardon pardon, j'ai disparu de la stratosphère, retour au travail oblige! Mais chouette, je vois que j'ai la suite de mes aventures préférées, je m'y mets tout de suite!!!

    · Il y a presque 14 ans ·
    Xgk 2125 orig

    ysee-louise

  • Ça c'est un super compliment merci. :)

    · Il y a presque 14 ans ·
    Default user

    Daniel Macaud

  • Moi qui ne suis pas fan de SF, je trouve ça passionnant! Comme quoi...Bravo!

    · Il y a presque 14 ans ·
    Arbre orig

    pointedenis

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