Evolution (chap 5)

Daniel Macaud

    La porte se referma d’un claquement sec. Enfin à l’intérieur. Avec le retour de la lumière, les rues de la ville 41 s’étaient vidées soudainement, laissant la place au petit vent frais du matin qui venait courir dans les rues sales et vides, jouant sur les contrevents fermés des cubes d’habitations en béton noir délavé, rebondissant sur les véhicules terrestres bien garés contre les trottoirs. Pas un bruit, pas un mouvement ne venait démontrer que la vie existait ici. les villes de la planète 232 devenaient des villes fantômes le jour. Merks reprenait son souffle. Il s’assit sur le lit militaire de sa cambuse, et réfléchit un instant. Le capitaine n’allait pas aimer son rapport. Pas du tout. Déjà, l’ordre d’extinction des feux venait de sonner. Toute la caserne allait dormir, plongée dans le noir. Il ressortit pour rejoindre le bureau du capitaine.

***


- Merks, vous êtes un imbécile ! Et maintenant, on fait comment pour la retrouver cette armure ?
- Monsieur, si je l’avais laissé s’enfuir de 232, cela aurait été pire.
- Vous voulez une médaille ? Dites-moi comment on la retrouve maintenant ?
- Je pensais aux radars de la caserne Monsieur. d’après ce que j’ai vu, elle s’est envolée assez haut pour qu’elle soit repérée, au moins une fois. Je partirai la chercher dans cette direction.
- Alors allez vérifier, et repartez à la nuit. Et prenez un transcom cette fois ! Je veux des rapports réguliers toutes les deux heures, compris ?
- Oui Monsieur.
- Rompez !

    Merks s’en tirait à bon compte. Le capitaine était sans doute fatigué. En temps normal, il lui aurait déjà fait faire un marathon en plein soleil dans la cour. Il se retrouva dans la salle des radars et commença l’examen des relevés. Au bout de quelques minutes, il trouva ce qu’il cherchait. Direction nord-est. En pleine foret vierge. Bon. Il lui fallait de l’équipement. Cette zone était dangereuse, et les humains s’aventuraient rarement hors de leurs villes. Il allait devoir jouer les aventuriers. Il sortit de la salle en sifflotant la musique d’un vieux film d’aventure du vingtième siecle, l’histoire d’un aventurier justement, avec un fouet et un chapeau. C’est tout ce dont il se souvenait...

***


    Le capitaine s'enfonça dans son fauteuil et contempla sa lampe de bureau. Les affaires ne s’arrangeaient pas. Si cette armure n’était pas là quand les renforts arriveraient, il allait manger, c’était certain. Le colonnel en charge de l’expédition venue de la Terre avait été clair dans son dernier message: La colonie ne recevrait l’aide de la Terre que si elle avait des choses intéressantes à fournir à la Terre dans sa propre lutte contre les mutants. Et l’invention de cette armure, sortie des laboratoires militaires de 232 et dont il avait la garde, était la seule chose dont il disposait. Le capitaine eut un soupir. Au moins, il pouvait toujours fournir les plans. Et puis, pour enfin quitter ce trou paumé, il était prêt à beaucoup de sacrifices. Il soupira encore. La Terre... Objet de tous ses fantasmes. Combien de fois il en avait rêvé de cet eldorado ? Il était né ici lui, et n’avait jamais connu que ces villes, toutes identiques, bien carrées, bien droites. Un ordre parfait et maîtrisé. Il en avait marre de l’ordre parfait des villes. Il voulait voir et vivre autre chose, et pour cela, il était prêt à vendre la planète à la Terre. Il l’avait promis.

    Il éteignit son ordinateur et passa dans sa cambuse. Il était temps de prendre du repos. Quelqu part dans l’espace, un croiseur de guerre terrien, sortant de l’hyperespace, commença un examen approfondi de la planète 232 en approche...

***

Ces quelques heures de sommeil lui avait fait beaucoup de bien. Androucha se réveilla en douceur, caressée par l’air frais et le soleil de fin d’après-midi. Elle avait faim. Qu’est-ce qui pouvait bien être consommable dans une forêt comme celle-ci ? Des fruits. Très certainement. Mais allez savoir comment ne pas se tromper... Et si... Androucha effleura le cube, qui se déplia aussitôt et vint reprendre sa place autour de son corps. Elle commençait à aimer cela. Cette armure devenait presque comme une seconde peau. La visière du casque était équipée d’un scanner biométrique. Elle allait pouvoir analyser les fruits, et détecter ceux qui seraient comestibles pour elle. Le scanner s’afficha sur la visière qui servait d’écran. Elle commença aussitôt son inspection...

***

Merks était prêt à partir. Le soleil déclinait à l’horizon. Son véhicule tout terrain était arnaché, et chauffait, attendant son pilote. il ressemblait à un bloc gris acier, encadré de deux grandes roues de deux bons mètres de haut, le bloc en lui même avait une forme massive, renforcée par deux pare-buffles. Il enfourcha sa drôle de moto et activa le moteur a hydrogène.

Un bruit sourd et lointain lui fit lever la tête. Au loin, des milliers de petits points apparaissaient dans le ciel. Qu’est-ce que c’était que ça ? Sans trop comprendre, il poussa l’accélérateur. Ca sentait le tracquenard, il devait s’éloigner de la ville de toute urgence.

***


    L’appel longue distance résonna dans le bureau du capitaine. Il eut un sourire de satisfaction. Enfin ! Il décrocha et se présenta. A l’autre bout, une voie humaine.
- Enfin ! Pas trop tôt n’est-ce pas ? C’est que c’est loin votre bourbier ! Alors, quoi de neuf ? j’espère que vous avez de bonnes nouvelles pour nous, car nous avons à votre disposition un croiseur plein de chasseurs de guerre, prêt à éradiquer ces saloperies de mutants !
- C’est un plaisir d’entendre ça, répondit le capitaine, j’ai avec moi les plans d’une armure expérimentale qui devrait vous plaire. Un vrai petit bijou de technologie. Aidez-nous à faire le ménage ici, et je vends l’armure, et la colonie.
- Ca m’a l’air intéressant. Pourquoi ne pas la produire à grande échelle ici ? Vous n’auriez pas besoin de nous !?
- Nous manquons de ressources sur ce caillou !
- Bon, et ces plans, ils ressemblent à quoi ?
- Vous êtes assez prêts pour une transmission de données ?
- Oui, d’ailleurs, je passe en visuel, vous pourrez les envoyer directement.
- Très bien.

    L’image qui s’afficha provoqua un mouvement de recul chez les deux humains. Tous les deux se regardèrent un instant. Le colonel hurla quelque chose d’incompréhensible. Le capitaine coupa la communication. Il venait de vendre son âme au diable. Il ne restait qu’une chose à faire, prier pour son salut. Il se mit à genou, et commença.

    Dans le croiseur de guerre, le colonel donna l’ordre d’assaut, lâchant dans l’espace, des milliers de croiseurs armés, prêt à déchaîner les feux de l’enfer.

    Merks venait de rejoindre les collines avoisinant la ville 41 quand il reconnut enfin les petits points noirs. Des chasseurs terriens. Que foutaient les humains de la terre ici ? La colonie de Pégase était indépendante depuis des années ! Il eut la réponse immédiatement. Une pluie de missiles raya la ville en quelques secondes, sous les yeux de Merks, sous le choc. Il comtemplait sans comprendre, le brasier immense qu’était devenu la ville 41. Les humains de la Terre attaquait la colonie de Pégase, mais pourquoi ? L’indépendance avait été déclarée depuis longtemps. Pourquoi ? Merks eut envie de vomir. Il resta de longues minutes, observant le feu au loin, tachant de comprendre.

    Lorsque la nuit vint, enveloppant l’incendie de la ville, lui donnant un aspect encore plus effrayant, Merks décida de se remettre en route. Il n’était plus obligé de retrouver cette armure maintenant, il n’avait plus de capitaine. Mais il pouvait toujours tenter de retrouver ce voleur. Au moins, il avait toujours un but. C’était toujours ça de pris, sinon, que faire de cette soudaine liberté ? Il remonta sur son véhicule, et prit la direction du nord-est.

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