Evolution (chap 8)

Daniel Macaud

Il y avait franchement de quoi se sentir idiot. Les deux humains se regardaient avec méfiance.
- T’es humain toi ? Demanda Stago. C’est juste impossible, on a eu l’ordre de raser les villes de mutants. Le colonel a été clair. Raser les villes de mutants, et sauver les humains qu’on pouvait trouver.
- C’est malin, fit Merks, nous sommes humains. Et notre apparence n’a pas changé tant que ça en un siècle.
- Vous êtes noir !
- Et vous, vous êtes blanc ! Et maintenant, qui es le vrai humain ?
- Moi ! Je viens de la Terre !
- Avec le taux de radiation qu’il y a chez vous, comment être sûr que vous n’êtes pas devenu des mutants sans vous en rendre compte ? Sur 232, il n’y a pas de radiations. Vous étiez peut-être noir avant, vous aussi !
- Ça m’étonnerait !
- Ah ouais ?

Les deux hommes étaient prêts de nouveau à se battre. Les poings serrés, ils ne se quittaient pas des yeux. Des bruits de coups contre la carlingue de l’appareil, qui se trouvait à quelques mètres d’eux, les sortirent de leurs préoccupations belliqueuses. Ils allèrent voir discrètement. La dauf était allongée sous l’engin, en train de frapper avec un marteau. Elle semblait avoir quelques difficultés à réparer l’engin, ce qui fit sourire Stago.
- Evidemment, si elle cherche à le répare comme ça... Elle est pas partie !
- C’est pas une mutante pour rien ! ils sont vraiment crétins ! Bande d’imbéciles !
- Ça...

Androucha se redressa et jeta un regard en direction des fourrés. Ils étaient encore là. Ele soupira.
- Vous êtes vraiment casse-pieds ! Pourquoi êtes-vous encore là ? Cria-t-elle.
- On fait quoi ? Murmura Stago, sans se montrer.
- J’en sais rien, répondit Merks sur le même ton.
- Allez, sortez de là, de toutes façons, j’ai besoin de vous.
- Bon...
- Ouais...

Les deux hommes sortirent du taillis, et approchèrent en silence. Androucha, que son armure protégeait toujours, leva son canon, pour les tenir en respect.
- Toi, le pilote, vous n’avez pas de quoi réparer dans vos engins ?
- On est pas censés les réparer ! On est censé les piloter, tout massacrer et rentrer !
- Vous êtes vraiment impayables ! Et la prudence, vous en faites quoi ?
- Hey la mutante, si t’es pas contente, tu me rends mon vaisseau, et tu te tais ! et estime toi heureuse que je te descende pas.

Le tir de plasma explosa juste devant ses pieds, Stago en fut quitte pour une belle trouille. Merks ne dit rien. Il y avait eu droit quelques minutes plus tôt, il se doutait que cette mutante avait la gachette facile.
- Toi... Merks, c’est ça ? Où se trouve la prochaine ville ?
- Je croyais que tu étais certaine que toutes les villes avaient été rasées ?
- Elles le sont certainement, confirma Stago. Les ordres étaient clairs.
- Bande de...
- Silence, coupa Androucha sèchement ! Je sais qu’elles sont détruites. Mais j’ai besoin d’un morceau de tôle pour réparer le gouvernail et d’une soudeuse. On doit pouvoir trouver ça, même dans une ville en ruine.
- Et pourquoi ne pas retourner à la ville 41 ?
- Parce que si jamais il y a des survivants que tu connais, je ne veux pas que tu puisses les prévenir et leur parler.
- A sa place, je préviendrais n’importe qui pourvu qu’il soit humain.

Une second tir érafla la cheville droite de Stago qui s’écroula sous la douleur vive de la brûlure du plasma.
- Je ne t’ai pas demandé de la ramener, fit Androucha, très calme. Et toi, tu vas me suivre jusqu’à la prochaine ville, j’ai besoin de bras. Si tu veux que l’autre humain reste en vie, il va falloir que tu m’obéisses.
- Tu peux le tuer, c’est pas un humain... Commença Merks.
- Va te faire foutre ! Hurla Stago qui se tenait la cheville, au sol, en se tordant de douleur.
- Pas humain, hein ?! Allez, suis-moi, et toi... Ne meurs pas tout de suite. Si tu es sage, je te jetterais dans l’espace pas loin de ton croiseur, tes semblables te récupèreront. Sinon, je te laisse mourir ici.

Merks ne répondit rien. Il ne jeta même pas un regard au pilote qui, toujours au sol, avait entreprise d'examiner sa blessure. Une trace de brûlure avait troué son vêtement au niveau de la cheville et un peu au dessus, sur une dizaine de centimètres. La brûlure remontait sur le mollet. C’était agressif le plasma !

Sur un signe de tête d’Androucha, Merks et elle se mirent en route, en direction de l’Est, vers la ville 36. Les numéros des villes étaient attribués en fonction de leur année de construction, et non en fonction de leur position géographique. La taille et l’organisation géographique de celles-ci étaient par contre parfaitement identiques. Pour la rejoindre, selon le GPS que Merks récupéra sur son duad, il fallait environ une bonne heure de marche. Avec un peu de chance, ils seraient revenus avant que le soleil ne soit trop haut dans le ciel. Ils devaient à tout prix éviter le zenith, pour ne pas finir aveugle.

Sitôt partis, Stago se précipita vers son appareil, afin de demander des renforts. Peine perdue, la mutante avait vérouillé le système. Comment avait-elle fait pour casser les codes d’accès et en mettre de nouveaux ? Elle était douée cette garce ! Stago en cria de colère ! Coincé sur une planète pourrie, à la merci de mutants dégénérés, et sans espoir de fuite, avec un chasseur en rade ! Et si... Tant pis pour le chasseur ! Stago sortit son briquet tempête de sa poche.

***


La marche à travers la foret avait quelque chose de presque reposant. Pour Androucha, tenir le rythme de marche que lui imposait l’humain n’avait rien de contraignant. Celui-ci était bien sûr en tête, Androucha voulant à le tenir à l’oeil, et avait adopté une marche forcée. D’une part parce qu’il espérait que le poid de l’armure fatiguerait la mutante, et d’autre part parce qu’il souhaitait faire l’aller-retour au plus vite, histoire de rester voyant. Androucha le suivait sans sourciller, son armure ne lui pesant pas le moins du monde, ce qui était d’ailleurs très étrange. Elle n’avait pas remis son casque, celui-ci s’étant naturellement replié derrière elle, presque invisible. L’air frais lui caressait le visage, et la lumière, diffuse, était douce. L’humain ne semblait pas le ressentir. Comment pouvait-on ne pas être sensible à toutes ces sensations agréables ? Elle ne venait presque à le plaindre. Les humains devaient être une race triste avec une vie triste.

Ils furent assez vite aux abords de la ville 36. Le même décor de fin du monde les attendait. La ville avait entièrement brulée. Dès qu’ils eurent quitté les frondaisons, la lumière les aveugla. Merks se protégea les yeux avec son masque, Androucha activa son casque. La visière se teinta, et elle put elle aussi supporter la violence de la lumière. Ils prirent tout de suite la direction du quartier commercant, là ou devrait se trouver des restes de garagistes et réparateurs en tout genre. Avec un peu de chancs, ils trouveraient de la tôle, et une soudeuse.

***


Cela lui faisait mal au coeur de détruire ainsi son propre appareil, mais pour signaler sa présence, rien de mieux ! Il alluma son briquet, et enflamma les branchages qu’il avait plongé dans le reservoir. Comme prévu, l’appareil explosa, et le système de sauvetage envoya le dernier relevé GPS, avec l’identité de l’appareil, juste avant de brûler.

***


Le silence de la ville en ruine était extrêmement troublant, et même Merks se sentait mal-à-l’aise. De temps à autre, ils croisaient un reste de foyer qui finissait de brûler, émettant en sourdine, un crépitement entêtant. Les murs calcinés, noircis, ressemblaient à autant de cadavres. Quelques corps qui ressemblaient encore à des humains jonchaient les rues. Pas âme qui vive. Personne ne semblait avoir survécu.
- A ton avis, demanda soudainement Merks en désignant un cadavre, mutant ou humain ?
- Je ne sais pas. Si dans la vie, nous sommes différents,une fois calcinés, on se ressemble pas mal.
- Arrêtes avec ta philo à deux pièces ! C’est pas à moi que tu feras la morale.
- Dommage.

Ils arrivaient dans le quartier commercant, Androucha commençait à examiner les ruines. Une explosion au loin leur fit tourner la tête à tous les deux.

- Qu’est-ce qu’il... Oh non ! S’écria Androucha qui partit en courant dans la direction de l’explosion.
- Pas mal du tout, pensa Merks. Je vais la suivre quand même, maintenant qu’elle n’a plus de vaisseau, je vais juste me montrer patient, tôt ou tard, elle me la rendra. Nous sommes définitivement coincés sur cette planète !

Merks se mit à courir aussi. Androucha savait que le chasseur venait d’exploser, Elle courrait pour une bonne raison, quitte à se jeter dans la gueule du loup, il lui restait une chance de se sauver d’ici, elle ne devait pas la rater. Que soient maudits les humains ! Celui-là venait de se condamner tout seul !

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