Exercice 14

nouontiine

« Ne surtout pas lui ressembler », songe-t-elle avec agacement, au bord de la nausée, tandis qu’elle malmène la chaussée de ses grandes jambes mal assurées sur de hauts talons perchées. En aucune façon. Son esprit est encore sous le choc de la nouvelle que lui a annoncé cet homme, dont la voix froide et impersonnelle, visiblement impatientée par son état, résonne encore dans son esprit tourmenté. Elle tente de réajuster les pans de sa cape noire et esquisse un mauvais sourire en songeant que c’est sa mère qui l’a lui a fait parvenir, sans un mot, sans même une annotation au bas de l’adresse griffonnée à la hâte. Elle l’a pourtant revêtue jusqu’à l’usure cette cape de laine noire qui, elle le sent, l’a fait ressembler à un oiseau sombre et inquiétant, tant elle s’accorde mal à son corps déchiqueté et sec. Elle presse le pas et tente de dissimuler son coeur effondré dans la nuit enveloppante. Elle lui en veut de ne s’être toujours pas manifesté, de ne pas même feindre une quelconque inquiétude à son égard. L’angoisse assèche sa bouche et de dépit, elle fouette le trottoir de son pas tourmenté. « Je te l’avais pourtant bien dit ! », entend elle déjà sa mère ricaner, mielleuse, complaisante jusqu’à l’outrance. « Oh, comme je te méprise », siffle-t-elle dans la pénombre pour reprendre l’avantage et se convaincre qu’au-delà de son corps qui lui échappe, elle conserve encore la mainmise sur son esprit. Bêtement, lâchement peut-être, elle s’est laissé enceinter par un homme qui se dérobe plus sûrement encore que son grand corps gauche et indélicat et elle craint de ne jamais le retrouver, puisqu’il a décidé de faire le mort après avoir semé une graine inopportune dans son ventre pourtant jugé ingrat. Paradoxalement elle se sent vide ; à la fois effondrée et stupéfiée. Comment va-t-elle annoncer la chose à sa mère ? Sa mère dont elle s’est tant de fois détournée, moquée à cause de cette vie chiche et sans apprêt qu’elle s’est retrouvée condamnée à mener des années durant pour avoir elle aussi enfanté alors qu’elle sortait à peine de l’adolescence ? « Je te l’avais pourtant bien dit... ma fille ! », lui lancera-t-elle dédaigneuse à son tour et peut-être – qui sait ? – triomphante en son coeur abandonné. Suis-je ainsi punie pour mon arrogance, ma présomption face au brillant avenir, qu’intransigeante, je me promettais de vivre ? Moi qui ne voulais surtout pas lui ressembler, songe-t-elle avec agacement, au bord de la nausée, tandis qu’elle malmène la chaussée de ses grandes jambes mal assurées.

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